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Pourquoi une telle création ? Quelle articulation avec le rôle du professeur principal ? Quelles évolutions pour le fonctionnement du conseil de classe ? A terme, le professeur principal (et le conseil de classe) pourraient-ils être remplacés par le professeur référent de groupe d’élèves (et le conseil de groupe d’élèves) ?

Qu’est-ce que « professeur référent » veut dire ?

Une personne référente est un(e) interlocuteur(trice) servant d’intermédiaire entre plusieurs personnes ou groupes de personnes concernées par une problématique partagée.

En matière d’orientation scolaire, les professeurs référents sont ceux qui, tout en devant assurer un  suivi individualisé de leurs élèves, ont pour mission de servir d’intermédiaires entre les élèves dont ils ont la charge et leurs parents, les professeurs de la classe de chaque élève, l’équipe de direction, les personnes en charge de l’orientation  (psychologues de l’éducation nationale, autres personnels en charge de l’orientation …), et divers interlocuteurs externes au collège ou lycée fréquenté (organisateurs de journées portes ouvertes, de salons de l’orientation, partenariats avec des établissements d’enseignement recruteurs d’élèves issus du collège ou du lycée fréquenté), etc.

De ce point de vue, il n’y a pas que le « professeur responsable de groupe d’élèves (PRGE)» qui peut être qualifié de personne référente. C’est, depuis leur création dans le cadre de la circulaire du 23 septembre 1960, le cas des professeurs principaux (PP). Alors pourquoi, dans le décret du 19 juillet 2021, ne qualifier de « référent » que les seuls PRGE ? Le but nous semble être de bien signifier qu’on s’inscrit dans une perspective de questionnement concernant les rôles des conseils de classe et du professeur principal.

Quelles sont les missions spécifiques qui seront confiées aux « professeurs référents de groupes d’élèves » (PRGE) ?

Dans son article 5, le décret précité précise que « le professeur principal  d’une classe ou le professeur référent de groupe d’élèves, assure une tâche de coordination, tant du suivi des élèves que de la préparation de leur orientation, en liaison avec les psychologues de l’éducation nationale, et en concertation avec les parents d’élèves. Le professeur référent de groupe d’élèves assure un suivi individualisé des élèves dont il a la charge ». On ajoute que « le professeur référent de groupe d’élèves assure un suivi individuel renforcé », ce qui signifie qu’on attend de lui qu’il complète le travail accompli en ce domaine par le professeur principal.

Il peut donc désormais arriver que, dans certains cas, selon l’organisation pédagogique décidée par les chefs d’établissements, un même élève relève à la fois du PP et d’un PRGE, donnant à certains le sentiment qu’on crée ainsi un inutile doublon, si ce n’est une sorte d’usine à gaz.

En outre, ces deux catégories de professeurs devront remplir les mêmes missions, telles que définies par la circulaire N°2018-108 du 10 octobre 2018, concernant le rôle du professeur principal (PP) dans les collèges et les lycées. La question se pose donc de savoir ce que les PRGE sont supposés apporter de plus par rapport aux PP ?

Le préambule de texte officiel précise que «le décret prévoit la possibilité pour les chefs d’établissements de désigner  (…) dans le cycle terminal de la voie générale et technologique, des professeurs référents de groupes d’élèves (…) ».

Ainsi, alors que les PP interviennent à tous les niveaux de l’enseignement secondaire (de la classe de sixième des collèges à celles de terminale des lycées), les PRGE ne le font  que dans le cycle terminal des lycées (classes de première et terminale).

Autre différence : alors que les PP officient dans toutes les classes de l’enseignement secondaire, y compris dans la voie professionnelle,  les PRGE ne le font que dans les cycles terminaux des voies générale et technologique, et non dans la voie professionnelle ou existe déjà un « professeur référent » chargé du suivi des élèves lorsqu’ils sont en milieu professionnel.

Une chose semble évidente : au contraire du PP, qui a la responsabilité d’un ensemble d’élèves réunis par le seul fait d’appartenir au même groupe classe, le PRGE se verra confié le suivi individualisé d’un ensemble d’élèves aux caractéristiques particulières, les distinguant de la plupart des autres élèves, et pouvant être membres de classes différentes.

Pour reprendre l’expression d’un Recteur d’une importante académie de province nous ayant demandé de garder son anonymat, « Ils auront des fonctions très semblables, mais qu’ils n’exerceront  pas toujours  sur les mêmes publics. Alors que le PP est normalement au service de tous les élèves de la classe devant laquelle il enseigne, le PRGE se verra assigné une tâche semblable, mais auprès d’un public particulier, composé d’élèves dont il ne sera pas forcément l’enseignant. Ce pourrait par exemple être un groupe d’élèves ayant choisi un enseignement de spécialité de sciences de l’ingénieur, ou encore un autre composé d’élèves porteurs d’un handicap ».

Le PRGE peut donc être considéré comme étant une sorte de « spécialiste », alors que le professeur principal est un « généraliste ». Voilà pourquoi, dans l’immédiat, loin de se faire concurrence ou d’être  des sortes de « doublons », leurs rôles devraient logiquement être complémentaires, et donc sont susceptibles de s’additionner.

La création du « professeur référent de groupes d’élèves »  vise à répondre à la nécessité croissante de suivre individuellement  des élèves à besoins éducatifs particuliers :

Depuis une vingtaine d’années, de nombreux textes réglementaires officiels ont été promulgués en vue d’inciter les établissements scolaires à être plus « inclusifs » qu’auparavant. C’est ce que dit clairement l’article 111-1 du Code de  l’éducation : « le service public de l’éducation (…) veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans distinction ».

C’est tout particulièrement le cas pour l’accueil et l’accompagnement des élèves en situation de handicap, ainsi que l’exige la loi N° 2005-102 du 11 février, dite « loi pour l’égalité des droits et des chances ». Autre population clairement ciblée : les « élèves à haut potentiel » ou « intellectuellement précoces» (cf. l’article 27 de la loi N° 2019-791 du 26 juillet 2019, ainsi que les articles L 321-2 à L 321-4 du Code de l’éducation). Par extension, ces textes concernent diverses autres catégories d’élèves à besoins éducatifs particuliers : sportifs et artistes de haut niveau, élèves scolarisés dans des lycées proposant des classes à forte vocation internationale, élèves allophones, etc. En s’ouvrant progressivement à l’idée d’une nécessité de plus et mieux accueillir dans « l’école pour tous » des populations d’élèves jusqu’alors prises en charge au sein de structures éducatives spéciales, le plus souvent « hors Education nationale », les établissements d’enseignement primaires et secondaires ont dû faire face à la question de savoir comment assurer efficacement le suivi personnalisé de ces populations d’élèves besoins éducatifs particuliers . La création du « professeur référent de groupe d’élèves » se veut une réponse à cette question.

En outre, la réforme du lycée a augmenté le besoin de renforcer l’accompagnement personnalisé d’élèves à besoins éducatifs particuliers dans la mesure où, dans les voies générale (surtout) et technologique (dans une moindre mesure), la part des enseignements figurant dans le tronc commun a fortement régressée, au profit d’un important accroissement de la part des enseignements proposés au choix des familles, ce qui crée une forte différenciation des profils des élèves qui composent une même classe.

On est donc passé d’un lycée se présentant fondamentalement sous la forme d’une sorte de « menu », à un nouveau lycée au sein duquel les enseignements  proposés « à la carte » ont pris une beaucoup plus grande importance. C’est ainsi, par exemple, que la nouvelle voie générale, désormais « unique » puisqu’il a été décidé de supprimer les anciennes filières S, L et ES, a vu la part des enseignements « à la carte » (au choix) augmenter fortement, passant de 20% dans l’ancien lycée, à 45/60% (selon les choix des familles).

A cet égard, on peut considérer que la réforme du lycée a bousculé le groupe classe et oblige à reconsidérer le mode de fonctionnement du « conseil de classe», ainsi que le rôle qu’y joue le PP. Désormais, la répartition  des élèves en « groupes classes » traditionnels a beaucoup moins de sens qu’auparavant, une moitié en moyenne des enseignements se déroulant dans des groupes à géométrie variable qui échappent parfois au suivi individuel permis par le conseil de classe traditionnel qui atteint de ce fait ses limites.

Ainsi, par exemple, comment garantir qu’un élève qui, en première puis terminale générale, a choisi un enseignement  de spécialité tel « lettres et civilisations de l’antiquité latin, » bénéficiera d’un suivi tenant bien compte de son profil particulier ? Les professeurs de cet enseignement  seront-ils à même de participer pleinement aux travaux de tous les conseils de classe les concernant si leurs élèves se répartissent sur plusieurs groupes classe ?  Le fait que s’offrent désormais au choix des familles trois enseignements obligatoires de spécialité en première générale (puis deux en terminale), auxquels peut s’ajouter un enseignement optionnel facultatif en terminale générale, conduit à multiplier les profils d’élèves et donc à remettre sur le chantier la question du suivi individualisé efficace.

A plus ou moins long terme, les PP (et les conseils de classe) ne sont-ils pas destinés à être remplacés par les PRGE (et les conseils de groupes d’élèves) ?

Il y a peu, une telle question aurait semblé des plus saugrenues. Depuis leur création, en 1960, les professeurs principaux ont progressivement vu leur champ d’intervention s’étendre fortement, ce qui en fait aujourd’hui des acteurs centraux du fonctionnement de cette instance de toute première importance dans l’enseignement  secondaire qu’est le conseil de classe. L’idée de voir cette catégorie de professeurs et l’arène dans laquelle ils officient s’effacer, ne serait venue à personne.

Mais c’était sans compter sur la lame de fond que représente depuis fort longtemps la généralisation de la scolarisation des jeunes aux niveaux collège d’abord, lycée aujourd’hui. En s’obligeant à accueillir tous ces jeunes, l’enseignement secondaire à découvert la nécessité de prendre en charge des élèves à profils de plus en plus diversifiés. Il a donc fallu refondre le collège, puis le lycée, afin de mieux prendre en compte le besoin d’accompagnement d’élèves aux profils de plus en plus divers, ainsi que nous venons de le voir dans la partie 3 de cet article. Dans ce contexte, le conseil de classe (et le rôle qu’y joue le professeur principal) ont été soumis à l’obligation de s’adapter, en prenant plus en compte chacun des publics diversifiés qui les concernent.

Petit à petit, cette évolution des publics scolarisés au niveau secondaire a provoqué interrogation sur les missions du conseil de classe, pleinement fonctionnel pour remplir sa mission traditionnelle de hiérarchisation  des élèves d’une même classe, mais moins apte à assurer le suivi de ces « nouveaux élèves » que sont les handicapés, ceux qui sont porteurs d’un haut potentiel de réussite, les allophones, les élèves sportifs de  haut niveau…, etc. En outre, on a de plus en plus reproché au conseil de classe de ne pas suffisamment tenir compte des compétences transversales des élèves, parfois acquises dans le monde extra- scolaire…

Ainsi s’explique le fait que de façon quasi continue depuis le milieu des années 1960, et ce malgré les réticences (pour ne pas dire plus) d’une majorité des enseignants, et d'une partie des familles, on a progressivement réformé le conseil de classe, par petites touches successives, en le conduisant à moins se comporter comme une instance de pure analyse des résultats scolaires et de classement des élèves, et corrélativement, de plus lui demander de devenir une instance de réflexion collégiale sur les parcours de chacun, donc élargie à d’autres compétences que purement scolaire, et tenant compte de la diversité des élèves concernés.

La réforme du lycée est venue amplifier (et n’a donc pas créé à elle seule) ce besoin ancien de remise à plat des missions du conseil de classe et du rôle assigné au professeur principal. En augmentant fortement la part des enseignements au choix, on a amplifié la tendance à l’éclatement du groupe classe au profit d’une composition de plus en plus modulaire qui oblige à repenser les missions traditionnellement confiées au conseil de classe, et donc au PP.

Pour l’heure, la création du PRGE n’a pas pour vocation de remplacer le PP, pas plus que des conseils de groupes d’élèves à profils spécifiques ne sont destinés à se substituer aux conseils de classe. Officiellement, les deux peuvent cohabiter, les seconds étant susceptibles d’apporter une sorte de plus-value aux analyses des premiers. De plus, cette évolution est contenue aux niveaux première et terminale des lycées d’enseignement général et technologique (LEGT), pour la bonne et simple raison que c’est  à ces seuls niveaux que se présente un véritable éclatement de l’offre de formation au profit des enseignements au choix, donc de la modularisation de l’offre de formation. En aval du cycle terminal des LEGT, les choses demeurent en l’état passé. Pour qu’il y ait extension, voire généralisation de cette double évolution, il faudrait qu’une autre réforme étende cette modularisation de l’offre d’enseignements en classe de seconde, voire tout au long des années collège. Ce n’est pas (pas encore ?) d’actualité.

Ajoutons que le remplacement du conseil de classe par une grande variété de « conseils de groupes d’élèves » à profils multiples provoquerait une sorte d’émiettement du nombre de ces conseils, et créerait d’inévitables tensions du fait de l’impossibilité de créer un tel conseil pour l’ensemble de ces situations diversifiées.

Comment, par exemple, sera vécu le fait que dans tel lycée, les élèves à profil latin + mathématiques n’étant qu’au nombre de trois, on renonce à créer un groupe d’élèves spécifique pour si peu de personnes concernées, quand d’autres groupes d’élèves à profil spécifique bénéficient d’un GRPE et d’un conseil ad hoc ?

Et quid du coût financier d’une dérive vers un beaucoup plus grand nombre de conseils que cette évolution entraînerait ? Le décret créateur du PRGE stipule clairement que ces derniers bénéficieront des mêmes indemnités que les PP. On imagine sans peine que les autorités rectorales vont veiller de près à ce que des dérives vers un trop grand nombre de PRGE ne viennent pas contrarier les possibilités de financement. Or, inévitablement, cette réforme va créer un appel à la multiplication des « groupes d’élèves à profil modulaire ».

Les équipes de direction et les enseignants concernés vont devoir trouver un équilibre acceptable entre le possible et le souhaitable. Ce ne sera pas toujours facile ! A terme, il en ira de même, quand bien même certaines créations de PRGE seront financées par suppression de PP.

La création du PRGE n’a rien d’obligatoire et ne peut être décidée que par le chef d’établissement

La création de tels « groupes spécifiques d’élèves », et donc la désignation des « professeurs référents » correspondants, sont laissées à l’initiative du chef d’établissement. Elle n’a donc rien d’obligatoire ! Le décret N° 2021-954 le dit clairement en écrivant, dans son préambule (voir la version initiale en début de texte), que la désignation du ou des professeurs référents de groupes d’élèves n’est qu’une « possibilité pour les chefs d ‘établissement», donc ne revêt pas de caractère obligatoire. Cette position souple est confirmée par l’article 5 de ce décret, qui stipule que « le chef d’établissement désigne les professeurs principaux des classes, et, le cas échéant, (…) les professeurs référents de groupe d’élèves(…) ».

Toutefois, les professeurs disposent très anciennement d’un droit de refuser la fonction de professeur principal. Ce droit est confirmé, et étendu à la nouvelle mission de PRGE. L’article 5 du décret précité stipule que « le chef d’établissement désigne les professeurs principaux des classes, et, le cas échéant, les (…) les professeurs référents des groupes d’élèves, avec l’accord des intéressés ».

Or, dans la plupart des établissements  d‘enseignement secondaires  (des exceptions existent cependant), il n’est pas facile de convaincre un nombre suffisant de professeurs d’accepter la charge de professeur principal, et ce d’autant que la réforme du lycée a précédemment créé l’obligation de désigner un deuxième professeur principal pour chaque classe terminale. Il en découle que, de plus en plus fréquemment, les PP désignés par le chef d’établissement sont faussement volontaires pour remplir cette mission. Il ne va donc pas être facile de trouver en plusdes PP, des professeurs volontaires pour devenir « professeurs référents  de groupes d’élèves ».

On aurait aimé que ce texte vienne en aide aux équipes de direction en rendant  ces deux missions financièrement, plus attractives. Un tel coup de pouce aurait été d’autant plus justifié que, d’année en année, les tâches remplies par les professeurs principaux se sont alourdies et complexifiées. Il n’est pas interdit d’espérer qu’une telle décision soit prise dans un futur pas trop lointain !

Conclusion :

D’après une étude récente du service statistique du Ministère de l’Education nationale (« Les effectifs d’élèves à chaque heure de cours dans le second degré », Note d’information N° 20.43, novembre 2020, étude accessible sur le site www.education.gouv.fr ), les élèves suivant la scolarité fixée par la réforme du lycée passent désormais en moyenne deux heures sur trois en groupes à effectifs réduits, alors que ce chiffre n’était que de une heure sur deux dans le lycée d’avant la réforme. Autre évolution mise en lumière par la même étude : ces groupes  sont désormais composés d’élèves issus de 3,4 classes en moyenne, contre 1,9 auparavant.

Ces données justifient les actuelles interrogations concernant le  fonctionnement du conseil de classe et le rôle du PP qui en est le principal animateur. La création du rôle de PRGE se veut un commencement de réponse à ces besoins nouveaux. L’avenir nous dira s’il convient d’aller plus loin.

Bruno MAGLIULO

Dernière modification le jeudi, 03 novembre 2022
Magliulo Bruno

Inspecteur d’académie honoraire -Agrégé de sciences économiques et sociales - Docteur en sociologie de l’éducation - Formateur/conférencier -

(brunomagliulo@gmail.com)

Auteur, dans la collection L’Etudiant (diffusion par les éditions de l’Opportun : www.editionsopportun.com ) :

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