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La gouvernance promeut un type de management qui consiste en une application de directives par un personnel formé en vue de rechercher la performance d’un système, d’articuler l’environnement extérieur avec les ressources internes, d’articuler le formel propre au système avec les éléments informels qui en font partie.

L’objectif de ce management est originalement la production d’objets matériels, financiers ou administratifs. La finalité de l’éducation et de l’enseignement  est différente : elle concerne l’humain.

Peut-on mettre sur un même plan cet objectif et cette finalité ?

L’histoire des sociétés humaines montre deux tendances concernant l’éducation.

L’une décide que tout être humain doit être conforme à un modèle unique décidé par une autorité suprême,  l’emprunt du modèle de la gouvernance pour l’éducation ne pose pas de problème.

L’autre reconnaît que chaque enfant,  chaque adolescent, chaque adulte possèdent sa propre personnalité et que l’éducation et la transmission des connaissances ont pour finalité de développer ses capacités singulières en vue qu’ils de viennent acteur dans son environnement : l’être humain n’est pas un produit, un texte administratif, une gestion financière, une production industrielle, une suite de chiffres correspondant à une classification, attribut de tragique mémoire. Le concept de la gouvernance publique concrétisé par le NPM peut agir dans ce domaine sous forme de directives de bonne conduite. Les processus relationnels de l’éducation et de la transmission que l’acteur de terrain met en œuvre  échappent à la gouvernance et sont hors de son champ. Ils nécessitent une réactivité permanente, créatrice de conduites adéquates à des situations aléatoires pour lesquelles une casuistique des normes de la gouvernance serait pléthorique et inadaptée.

Ce n’est pas un déni de l’utilité d’une gouvernance mais cela souligne que l’acte d’éducation et d’enseignement conforme à une conception de l’humain[1] ne peut pas être traitée par ce concept.

Ces processus relationnels ont pour finalité, l’éducation et la transmission de connaissances à un enfant à un adolescent si l’on s’en tient au début de la scolarité.

Qu’est-il cet être humain ?

Quand il arrive dans un établissement de l’Education nationale, l’enfant n’est pas « un vase vide qu’il faut remplir » pour reprendre une expression américaine des années 1950 : de nombreux compte - rendus de pratiques  scolaires[2] en prouvaient à l’époque l’inanité.

Hubert Montagner développe ce constat en ses termes:

« l’école doit être repensée dans ses conceptions, son organisation temporelle et spatiale, ses modes d’accueil et de fonctionnement… et ses finalités, avec des stratégies pédagogiques fondées sur une réelle prise en compte de la diversité des écoliers dans leurs dimensions d’enfant, qu’elles soient biologiques, émotionnelles, affectives, morales, cognitives, rationnelles ou « étranges », mais aussi sociales et culturelles, et pas seulement dans leurs dimensions d’élève (les enfants ne sont pas des réservoirs de processus cognitifs ni de rationalité permanente). Bien évidemment, dans un cadre de concertations flexible et évolutif entre les différents partenaires »[3].

Claire Leconte concrétise cette approche à propos des rythmes scolaires :

« En effet, on ne peut ignorer que les 864 h annuelles du temps scolaire couvrent moins de 10% du temps de vie total des enfants alors que la plupart d’entre eux passent près de 1000 h en temps périscolaire »[4].

Un proviseur se souvient des interrogations de ses enseignants :

« Bâtir de nouveaux ponts entre élèves et professeurs, tel est le challenge qui s'offre chaque année aux acteurs du monde de l'éducation à chaque rentrée scolaire. Avec toujours les mêmes questions : comment les intéresser ? Comment donner du sens aux apprentissages ? Comment arriver à les approcher sans violence ? Comment aller les chercher là où ils sont ? Faire preuve d'une certaine autorité sans altérer une complicité mutuelle. Voie étroite qui demande efforts et beaucoup d'humilité.»[5]

Certains auteurs sont attachés  au vocable élève, cependant le plus souvent ils parlent de la personne humaine donc de l’enfant, de l’adolescent, de l’adulte.

Si Philippe Meirieu interprète la déclaration du Ministre de 1989 en affirmant que le texte contient l’expression « l’élève au centre du système » à la place « l’enfant »[6], il complète la définition du vocable élève par « l’enfant entrain d’apprendre »[7].

Après les attentats de 2015, il recentre l’activité du « pédagogue »  sur l’enfant :

« Sans le projet de transmettre à nos enfants pour qu’ils le (le monde) rendent meilleur, nous faisons de nos amphithéâtres et nos salles de classe de simples parcours du combattant pour de dérisoires récompenses »[8].

« L’élève » est une personne humaine qui porte en lui les marques de son environnement que les attentats, destructeurs de vie humaine, rappellent à la conscience collective.

F.X. Bellamy défend la transmission de la culture de « notre propre civilisation »[9] en l’opposant à l’idée que l’enfant, l’adolescent peut grandir à partir de sa seule pensée. Cependant quand il décrit sa pratique d’enseignant, il appréhende l’élève comme une personne humaine ayant des acquis:

 « …il faut les aider à combattre eux-mêmes leurs propres pesanteurs, tout ce qui les empêche de s’élever- tout ce qui les retient d’être élèves ».

Cependant il faut s’interroger sur le sens de « pesanteur » : Faut-il comprendre que la personne humaine doit abandonner une partie d’elle-même ? Ou est-ce une ouverture vers une éducation qui lui permet de surmonter ses propres difficultés pour acquérir de nouveaux comportements, de nouvelles connaissances ?

Le débat entre les tenants de l’élève et ceux de l’enfant paraît vain car la spécificité de tout acte éducatif, de tout acte de transmission est la relation entre des êtres humains qu’ils soient enfant, adolescent, adulte  avant que le système ne les catalogue élève, apprenti, étudiant, chômeur éligible à une formation ce qui demeure un objectif de la bonne gouvernance.

Les terminologies d’enfant, d’adolescent, d’adulte ne suffissent pas à définir le public concerné. Ces notions provoquent de nombreuses définitions suivant les points de vue expérimentaux et théoriques, il est donc nécessaire de les appréhender dans le champ de la pensée complexe pour en saisir la place en tant que personne humaine dans le domaine de la transmission et de l’éducation.

Cette finalité propre à l’acte éducatif échappe au domaine de la gouvernance qui présente « le processus d’apprentissage de l’enfant comme la finalité d’une procédure administrative établie par les politiques gouvernementales… » [10]alors que ces processus pour le praticien de terrain sont une perpétuelle interrogation[11].  Interrogation, car en acceptant que l’apprenant soit une personne qui a un passé et un présent extérieur à l’établissement scolaire, il a la liberté d’exprimer sa conception de l’objet d’étude qui peut être différente ou partielle de la représentation didactique proposée.

Cette relation qu’elle soit éducative, pédagogique ou didactique appartient à ceux qui sont reconnus pour avoir  pratiqué et relaté leurs expériences vécues, d’éducateur d’enseignant et de formateur[12]. En relation en permanence avec la vie humaine, l’éducateur met en œuvre des qualités comportementales et cognitives qui demandent de « la bienveillance » pour reprendre une expression de Jacques Puyou[13], d’avoir la capacité de mettre à distance sa propre connaissance pour comprendre la singularité de la compréhension de l’autre, d’amener son public à saisir la place des propositions explicatives du monde dans leurs différents contextes, de donner la possibilité aux apprenants de « se confronter à la différence, voir les petits copains les copines sous un autre jour et aussi avec leur bien être, leur mal être et ce mélange là il permet à certains jeunes de s’épanouir hors de la cellule familiale où parfois c’est pas facile »[14].

Relisons le poème pédagogique de Makarenko[15], les  écrits de ceux qui ont apporté des points de vue innovants sur l’éducation et qui ont été des créateurs d’école et nous constatons qu’ils agirent en marge des normes et parfois en s’y opposant, car acteurs de terrain, ils parlaient de ce qu’ils vivaient et de ce qu’ils souhaitaient transmettre de leur expérience.

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Pour laisser au lecteur la possibilité de choisir le thème qui l’intéresse en priorité, nous avons divisé l’article, « ils souhaitent : Bonne gouvernance de l’éducation ? », en six thèmes :

1-  « Gouvernance publique ? » : une explicitation de cette expression.

2-  " Eduquer, Transmettre, enseigner pour qui "?

3-  « L’expérience quotidienne des acteurs de terrain et la gouvernance d’une Education Nationale ».

4-  « Gouvernance et Expression singulière des acteurs de terrain ».

5-  « La gouvernance de la formation des acteurs de terrains »

6-  « Le territoire de la gouvernance publique et les territoires des acteurs de terrain.»

Les propositions contenues dans ces textes résultent d’une analyse des interventions des acteurs politiques, des textes législatifs et des circulaires du Ministère de l’Education nationale de 1953 à 2016. Ces références ne sont pas présentées ici, car la finalité de cet article est une synthèse de ces études et d’expériences professionnelles vécues.

 


[1] Chaque lecteur possède ses propres références pour donner du sens à ce concept, l’auteur de l’article ne peut indiquer que quelques-unes de ses références : Edg. Morin : l’ère planétaire, la pensée complexe comme méthode d’apprentissage dans l’erreur et l’incertitude humaine (avec Raul Motta, Émilio-Roger Ciurana), Balland, 2003.J. de Rosnay : Je cherche à comprendre, Les liens qui libèrent, 2016 ; R.Pol Droit et M.Atlan : Humain, Flammarion 2012 ; R. Sennet : Ce que sait la main, la culture de l’artisanat, Albin Michel, 2010 ; G. Devereux : De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, Flammarion 1980 ;Alb.Jacquard : Eloge de la différence, Seuil 1978 ; Edg. Morin : L’homme et la mort, Edts du Seuil 1970 ; A. Camus, L’homme révolté, Gallimard 1951.

[2] Jeannel A. Avèque O. Processus de verbalisation des informations audio-visuelles. Collections Messages, Crdp Bordeaux Cndp, 1977

[3] Montagner H., lettre ouverte à Madame la Ministre de l’Education Nationale, 4 décembre 2014.

[4] Claire Leconte, lettre-ouverte-a-vincent-peillon/lettre-ouverte-au-ministre-de-l-education-nationale. 22 décembre 2012.

[5] Figeac P., « Etre professeur ! » Educavox 28 sept 2016.

[6] Référence note 11

[7] Meirieu Ph, « L’élève au cœur du système »,  France TV Education, 01.02.2009.

[8]Meirieu Ph., Eduquer après les attentats, ESF sciences humaines, 2016.

[9] Bellamy F_X, Les déshérités ou l’urgence de transmettre, Plon, 2014, p.156.

[10] Jeannel A. « Prise de décision et action éducative » pp.181 193

[11] Figeac P., « Etre professeur ! » Educavox 28 sept 2016. Op. cité.

[12] Jeannel A. « Entre sciences de l’éducation et du politique  - Des agents deviennent acteurs » in Les Régions et la formation professionnelle sous la direction de Thierry Berthet, L.G.D.L. 1999. Pp.188 190

[13] Puyou J., Secrétaire national de l’An@é

[14] Lycée agricole de Montravel, Eduquer la solution est là. https://www.youtube.com/watch?v=tlzvUd3VB6A  2016

[15] Makarenko A. Le poème pédagogique écrit en 1936, Editions du progrès, Moscou 1967.

Dernière modification le lundi, 09 janvier 2017
Jeannel Alain

Professeur honoraire de l'Université de Bordeaux. Producteur-réalisateur. Chercheur associé au Centre Régional Associé au Céreq intégré au Centre Emile Durkheim. Membre du Conseil d’Administration de l’An@é.