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Question vocabulaire, il y a un paradoxe.
Le mot classe fait référence à l’enseignement scolaire, alors que la notion de classe inversée me semble nettement plus adaptée à l’enseignement supérieur.

Il est tout à fait légitime de demander à un étudiant de travailler chez lui, au moins autant qu’à l’université. Ce n’est évidemment pas le cas à l’école, au collège ou au lycée, même si la part de travail individuel augmente tout au long de la scolarité.

À l’université, il est possible de demander aux étudiants de préparer le prochain cours chez eux : ils ont une certaine autonomie. Cela suppose une grande exigence lors de la production des ressources car le moindre  maillon oublié risque de provoquer un blocage. Mais avec un cours bien rodé, cette difficulté est tout à fait surmontable. D’autant plus qu’avec les chats et forums de nos plateformes pédagogiques, les étudiants pourront s’entraider avant le cours. Chacun pourra y consacrer le temps nécessaire ; une simple lecture sera suffisante pour certains alors que d’autres seront sans doute obligés de revenir maintes fois en arrière, voire d’utiliser d’autres ressources pour consolider un prérequis.

Le temps ainsi dégagé an amont permet de favoriser les interactions lors du cours ou  du TD. Le résultat est important : plutôt que de faire venir les étudiants à l’université pour écouter quelqu’un parler, on peut leur proposer un travail encadré, durant lequel ils pourront poser des questions et demander des conseils. On peut les mettre face à des problèmes, qu’ils résoudront par un travail collectif. 

À l’école où au collège, le contexte est entièrement  différent. On ne peut pas exiger le même niveau d’autonomie qu’à la fac, et le temps passé en classe ne laisse guère de temps pour comprendre seul chez soi ce qui nécessite en général la présence d’un adulte. La classe inversée présente donc des difficultés et peut être contre-productive, en fonction des élèves, de leur environnement familial, de leurs ressources matérielles. 

Demander aux élèves de découvrir le cours en amont de la classe présente plusieurs risques. Cela peut en effet : 

  • accentuer le décrochage des élèves n’ayant pas une autonomie suffisante
  • favoriser les élèves bénéficiant de soutien familial, de cours particuliers, au détriment des élèves ne pouvant compter que sur leurs seules ressources. 
  • alourdir le travail à la maison,
  • renforcer les effets de la fracture numérique.

Faut-il pour autant renoncer à s’inspirer de cette idée ? J’ai l’impression qu’on peut garder un certains nombres d’éléments de la classe inversée pour faire de « la classe enrichie ».

En m’inspirant de ce que je fais à l’université, voici ce que j’aimerais faire, en maths, si j’enseignais encore en collège.

Imaginons un contexte encore rare, mais appelé à se généraliser : chaque élève dispose, au quotidien, d’une tablette et d’écouteurs. Partons d’un problème adaptable à plusieurs niveaux : on place 3 points au hasard sur une feuille et on se demande s’il est possible de tracer un cercle passant par ces trois points.

En début de 5°, l'objectif pédagogique peut être de faire réinvestir des notions étudiées en 6° et la tentation est grande de faire une séance de révisions plus ou moins ciblée, plus ou moins complètes. Cela présente deux risques opposés : 

  • celui d’expliquer à quelqu’un quelque chose qu’il sait déjà, et donc de perdre son attention, 
  • celui d’expliquer à quelqu’un quelque chose qu’il ne peut pas comprendre car il lui manque un prérequis.

Une autre solution consiste à préparer un ensemble de brèves vidéos d’écran (screencasts) présentant chacune une notion ou une construction (cercle, milieu, perpendiculaire, parallèle, intersection, médiatrice…). L'ensemble est complet, non obligatoire, mais chaque explication est, tout simplement, disponible. Le travail peut se passer en 2 temps :

  • d’abord de manière individuelle, en laissant le temps à chaque élève de regarder les vidéos qui lui paraissent utiles, de faire des essais à la main ou avec des instruments. Pour certains cela suffira à déclencher une idée qui mènera à une solution.
  • ensuite par petits groupes, pour partager et affiner les pistes envisagées, étudier les différents cas possibles, chercher les contre-exemples.

Contrairement à la classe inversée, tout se passe au collège. Mais comme dans la classe inversée, le travail ne commence pas par de longues explications s’adressant à tous de la même manière. Le point de départ, c’est une activité (individuelle ou collective) où l’enseignant pourra intervenir en fonction des questions, suggérer des pistes, indiquer des obstacles.

Et bien sûr, tout se terminera par une synthèse faite par l’enseignant, ou par un groupe d’élèves.

La classe est ainsi enrichie par des ressources numériques préparées spécifiquement. On peut évidemment préférer indiquer des ressources existantes, tout en évitant le foisonnement. Dans les deux cas, il s’agit bien d’enrichir les ressources disponibles dans la classe.

À l'université, je parle de «présentiel enrichi». J’aime bien également l’expression « présentiel augmenté », en référence à la réalité augmentée, mais je ne suis pas certain que les étudiants soient d'accord pour «augmenter le présentiel».

Et l’idée « d’augmenter la classe » n'est sans doute pas très motivante pour nos adolescents.

 

Thierry Marchand
http://onef.fr/blog

dessin de Alain Huré

Licence Creative Commons
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Dernière modification le mercredi, 31 décembre 2014
Marchand Thierry

Enseignant de mathématiques en collège, puis formateur Tice, j’enseigne maintenant dans l’enseignement supérieur, pour développer les compétences numériques. Je participe à la conception, la mise en place et l’animation de plusieurs MOOC .