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Chronique de la refondation (1) - Invité à m’engager dans la concertation nationale pour la refondation de l’école, j’ai choisi de m’investir dans le groupe 3, « Un système éducatif juste et efficace ».
Pour la cohérence de la réflexion, je travaillerai en collaboration avec la Ligue de l’Enseignement dont les représentants m’informeront des propositions des autres groupes : « La réussite scolaire pour tous », « Les élèves au cœur de la refondation », « Des personnels formés, reconnus et valorisés ».
 
 
Ce jeudi 23, la matinée était consacrée au thème « Une grande ambition pour le numérique », un thème qui intéresse particulièrement les lecteurs d’Educavox et sur lequel je reviendrai dans le prochain billet.
 
 Il convient d’abord de faire le point sur la concertation d’un point de vue général en sachant que j’y participe pour la première fois, n’ayant été invité qu’à la mi-juillet.
 
 L’impression générale se partage entre espoir et inquiétude.
Il est vrai que l’exercice est difficile et que le pari est risqué. Réunir environ 600 personnes de tous les bords politiques, syndicaux et associatifs, avec des experts et des hauts fonctionnaires, y compris ceux qui étaient encore en mai ou juin des serviteurs zélés et souvent autoritaires des politiques régressives mises en œuvre depuis 2002 et 2007, pour penser un nouveau projet éducatif dans des ateliers est une gageure. Et les paradoxes sont inévitables.
 
 
Le premier paradoxe se situe au niveau de l’interprétation du mot « refondation ».
Tout le monde semble d’accord, aujourd’hui, sur la nécessité d’une refondation de l’école. Pourtant, une bonne proportion des intervenants dans les différents groupes défend vigoureusement de fait le maintien du système en l’état, ou le retour au système antérieur à 2005/2007, en l’améliorant aux marges, en le corrigeant, en le dépoussiérant formellement, en lui restituant les moyens qui ont été supprimés massivement au cours des années passées.
 
Dans certains débats, on en viendrait à se demander si l’on parle encore de refondation. Dans la matinée de cette journée, par exemple, le recteur de l’académie de Clermont Ferrand et les élus régionaux et départementaux de la région Auvergne, s’auto-déclarant pionniers dans le domaine du numérique, ont expliqué longuement qu’en fait, ils avaient commencé à refonder l’école en 2002, donc dans le cadre des politiques que l’idée de refondation remet en cause… fondamentalement.
 
 Il faut ajouter au tableau noir toutes les interventions dans tous les groupes qui tentaient de démontrer qu’il n’est pas nécessaire de toucher aux missions des enseignants, aux sacro saintes disciplines scolaires universelles et éternelles, à l’architecture des établissements, au modèle pédagogique dominant – celui de la transmission magistrale - au scolaro centrisme traditionnel, etc.
 
 Les observateurs lucides se demandent souvent comment on peut aussi facilement faire disparaître du paysage éducatif l’ennui qui devient dramatique chez les élèves de tous milieux, le rejet de l’école, et la souffrance des enseignants qui est fortement sous-estimée, y compris par un certain nombre de représentants syndicaux qui apparaissent hors sol.
 
 A l’évidence, le beau mot de refondation n’a pas le même sens pour tous et le conservatisme dépasse complètement les clivages politiques et syndicaux.
 
 
Le second paradoxe est que pour refonder, il faut mobiliser les acteurs du terrain.
Or la base n’est pas du tout associée réellement au débat et la procédure choisie renforce en elle-même le fonctionnement pyramidal du système qui est pourtant l’une des fondations anciennes à abattre pour laisser la place à la démocratie participative dans le système et sur les territoires, et à la force de l’intelligence collective des acteurs.
 
 Pour les enseignants dans les écoles, par exemple, le sentiment général est que rien ne change et rien ne changera. Rien ou presque n’a été suspendu ou abrogé. Mieux ou pire, pour ne prendre que cet exemple, alors que le ministre a renoncé à la remontée des résultats des évaluations nationales, les inspecteurs ont très majoritairement exigé de les recevoir, pour leur permettre –ont-ils dit- de piloter le système.
 
 Insuffler l’idée de la refondation sans mettre un terme clair aux pratiques hiérarchiques autoritaristes et sans associer les acteurs sera un obstacle majeur au changement éventuel.
 
 Il est vrai qu’il est difficile aux cadres d’affirmer aujourd’hui le contraire de ce qu’ils ont imposé durant 4 ans. L’argument de la continuité républicaine qu’ils avaient pourtant foulé aux pieds en 2007/2008 est un peu facile mais il est un frein considérable à une volonté réelle de réforme.
 
 L’espoir demeure mais la rentrée approche avec un lot considérable d’incertitudes et d’obstacles au changement.
 
 
A suivre… 
Dernière modification le lundi, 24 novembre 2014
Frackowiak Pierre

Inspecteur honoraire de l’Education nationale. Vice-président de la Ligue de l’Enseignement 62. Co-auteur avec Philippe Meirieu de "L’éducation peut-elle être encore au cœur d’un projet de société ?". Editions de l’Aube. 2008. Réédition en format de poche, 2009. Auteur de "Pour une école du futur. Du neuf et du courage." Préface de Philippe Meirieu. La Chronique Sociale. 2009. Auteur de "La place de l’élève à l’école". La Chronique Sociale. Lyon. Auteur de tribunes, analyses, sur les sites educavox, meirieu.com. Prochainement, une BD avec les dessins de J.Risso :"L"école, en rire, en pleurer, en rêver". Préface de A. Giordan. Postface de Ph. Meirieu. Chronique Sociale. 2012.