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En tant que pédagogue j’avais initialement comme objectif d’offrir les meilleures conditions pour susciter l’envie de lire chez l’élève afin que cette compétence fondamentale ne soit pas simplement soutenue par des programmes et qu’elle puisse répondre à des besoins authentiques et signifiants.
Les « lire écrire » sont des aptitudes qui dépassent les limites de l’école et qui doivent se nourrir de motivations intrinsèques chez l’élève au même titre que le langage leur est indispensable pour se développer en tant qu’individu.
 
Alors forte de cette idée, il fallait viser les conditions d’une interaction réelle, avec un besoin de transmission qui justifie les efforts et l’engagement des élèves.
 
C’est pourquoi, le choix de construire une correspondance entre un établissement pour personnes âgées et ma classe de CP s’est imposé comme une situation possible et pertinente.
 
Ce public un peu isolé et disponible pouvait tirer profit de notre présence et de nos compétences, au même titre que nous pouvions, nous aussi, profiter de leurs compétences pour motiver l’apprentissage de la lecture en classe. De plus, ces échanges de compétences authentiques devaient se poursuivre dans la durée et donner à l’acte de lire une autre valeur.
 
Les visites des seniors en classe étaient des moments attendus avec impatience par les élèves.
La présence de plusieurs adultes en classe permettait de faciliter l’exercice de lecture.
La classe était partagée en ateliers et durant 30 minutes nos seniors organisaient auprès d’un petit groupe d’élèves des tours de lecture, parfois ils dirigeaient même des dictées de mots ou de syllabes sur l’ardoise.
L’enthousiasme perceptible des enfants donnait une autre dimension à l’apprentissage de la lecture.
 
Ce temps en ateliers était régulièrement précédé par une phase d’échange oral ou les enfants présentaient leurs travaux ou projets du moment. Raconter notre vie de classe, partager avec un public nos histoires de classe, c’est exercer et mettre à l’épreuve nos compétences langagières. Un indispensable préalable au passage à l’écriture.
 
Le projet initié devait aussi permettre un prolongement asynchrone avec la possibilité que nous avions d’utiliser des tablettes pour échanger via twitter avec nos correspondants.
Mais il fallait pour cela apprendre aux seniors à utiliser l’outil tablette. Ainsi, c’est dans cette perspective que nous nous sommes rendus dans leur établissement pour leur proposer une aide.
 
Lors de cette rencontre, deux élèves tuteurs avaient en charge un senior. Ils devaient inviter une mamie ou un papi à découvrir une application qu’ils maitrisaient. Les premières minutes furent hésitantes de part et d’autre et très délicates. Nous avions envahi leur salle de vie et nous proposions de découvrir un objet qui leur était étranger. Ce fut un moment d’une grande fragilité ou d’un côté nous avions des enfants complètement imprégnés par l’outil et de l’autre des seniors distants, qui ne voyaient pas forcément l’intérêt et n’en éprouvaient peut-être pas l’envie. Alors après quelques échanges verbaux et un peu d’insistance de la part des enfants, cette rencontre fragile est devenue une rencontre magique où les regards inquiets et résistants se sont transformés en sourire. La difficulté de toucher l’objet a été remplacée par de vrais essais. Les seniors ont pris l’objet, ils ont écrit, dessiné sur tablette et ont même utilisé l’option photo, stimulés qu’ils étaient par l’envie des élèves. Un moment unique où l’on prend conscience que les plus beaux magiciens du moment ont été les enfants avec leur spontanéité et leur enthousiasme à faire partager leurs compétences.
 
Cette étape importance a permis de prendre du recul par rapport aux objectifs initiaux. Prendre de la distance et mesurer que les seniors n’étaient pas prêts à twitter seuls. Il leur fallait un temps plus long d’appropriation de l’outil pour envisager une réelle prise en main.
Mais ce constat a juste permis de redéfinir nos objectifs et de les adapter à ce que nous avions observé. Une posture empathique qu’il était nécessaire d’adopter pour avancer.
A cette étape du projet, les designers de l’association « Bâtisseur de possibles » http://www.batisseursdepossibles.org/ qui avaient suivi le projet depuis le début de l’année sont intervenus en classe dans le cadre de l’accompagnement programmé. Ils nous ont aidés à concevoir, à la manière d’un designer, les différentes étapes de poursuite de notre projet.
Ainsi après avoir problématisé le projet, avoir suscité les idées en ateliers avec un groupe d’enfants, on a pu prototyper des prolongements. Ces derniers restent à l’échelle de l’imaginaire des élèves mais ils ont permis d’adopter une posture d’observation de recherche et de partage chez l’élève. De cette grande après midi de co-construction ont émergé des propositions et des prolongements pour aider nos seniors à avoir moins peur de la tablette et à s’ouvrir vers l’extérieur en organisant une petite fête dans leur établissement.
 
Cette expérience avec des professionnels designer a nourri notre regard et donner des nouvelles perspectives comme une autre manière de penser l’école. En effet comment apprendre de façon authentique sans envisager d’entreprendre pour se sentir acteur citoyen dans un environnement ? Favoriser cette empathie, favoriser cette phase d’idéation pour entrevoir de nouveaux possibles je pense que cela peut tout à fait s’inscrire au programme de l’école. Certains parleront peut-être de pédagogie de projet mais en ce qui me concerne je garderai le terme de « Bâtisseur de possibles » pour mettre en lien nos actions avec ceux d’enfants vivant partout dans le mondehttp://www.dfcworld.com/.
Des élèves acteurs qui se responsabilisent, osent des idées, osent des actions pour tisser de nouveaux possibles et pour envisager d’agir dans un monde qui sera le leur demain.
 
Empathie, idéation, prototypage, partage : une méthodologie capable de rassembler toutes les compétences ciblées par les programmes pour les transformer, les faire devenir des éléments intrinsèques à l’élève et pas simplement imposés par des textes.
 
N’est-ce pas ce dont a le plus besoin notre école aujourd’hui ? Designer notre quotidien n’est-il pas un autre levier pour refonder l’école ? N’est-il pas plus prometteur que la simple introduction des technologies ? Dans ce monde en mouvement, n’est-ce pas un élément clé pour accompagner ces changements ?
 
Malika ALOUANI
Dernière modification le lundi, 20 octobre 2014
Alouani Malika

Conseillère pédagogique au numérique éducatif.

Délégation académique au numérique éducatif - Académie de Versailles -