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En pensant à cette bibliothèque d’un ajusteur syndicaliste dont les livres contenaient des fiches de lecture, à ces collections de livres où se nichait le cahier d’un officier général en captivité déporté contenant un relevé de ses souvenirs de lecture... Cette réflexion se compose de trois parties (1):

La première commente l’expression « seul le prononcé fait foi » qui accompagne la transcription des discours du Président de la République du 12 juillet 2021 et du 31 août 2021 sur le site de l’Elysée.

Partie 1 « Seul le prononcé fait foi ».

Le 31 août 2021, dans le propos préliminaire de son allocution, le Président de la République Française faisait part de cette décision « En lançant aujourd'hui cette grande cause nationale qu'est la lecture, ce que nous voulons faire, c'est véritablement mobiliser les enseignants, toutes les associations qui, depuis tant d'années, se battent sur ce sujet. Évidemment aussi nos bibliothécaires, nos libraires, nos éditeurs, nos écrivains, nos acteurs, nos diseurs, parce que lire, et en particulier lire à voix haute, doit être remis au cœur de l'engagement de toute la Nation.»

Ce texte est accompagné sur le site www.elysee.fr de cet avertissement « seul le prononcé fait foi ».

Cette remarque souligne la différence entre la réception d’un message audio visuel transmis par un réseau numérique et la transcription écrite de l’énoncé d’une intervention.

La lecture d’un texte se distinguerait de la réception d’un message audiovisuel qu’il soit issu d’une procédure numérique ou analogique.

Au cours des années 1980, La critique de l’expression « lecture d’image » a mis en évidence que la lecture est une activité cognitive spécifique propre à un rapport entre un lecteur et un texte et que le visionnement et l’audition d’un message audiovisuel sont la réception d’informations sonores et visuelles dont la diffusion impose un rythme et des charges émotives en concurrence avec les appréhensions cognitives du contenu textuel.

Si ces deux activités peuvent être complémentaires, il existe cependant une attitude distincte entre d’une part le spectateur qui regarde et écoute un discours retransmis sur un réseau et d’autre part le lecteur du texte écrit de ce discours.

Poser cette différence est un des enjeux de l’éducation et de l’enseignement à une époque où le temps consacré à la consultation des écrans prévaut sur le temps de la lecture des textes. Il faut ici distinguer la consultation des informations brèves sur les écrans, limitées par un algorithme et la lecture d’un texte qui peut être par exemple de nature littéraire ou scientifique.

Le spectateur face à un écran est distrait du contenu du texte énoncé par la prédominance du visuel et du sonore, par l’immédiateté de la réception du message audiovisuel, par son rythme imposé, par les parasites visuels et sonores tels que les gestes de l’intervenant, ses accents toniques.

Ces remarques mettent en évidence l’importance de l’expression « seul le prononcé fait foi » qui met en garde contre toute lecture du texte du conférencier extrait de son contexte gestuel et environnemental tel que la solennité des signes de la République.

Elles soulignent que deux contextes, l’un celui d’un téléspectateur, l’autre celui d’un lecteur induisent deux comportements.

L’énoncé peut avoir une forte portée émotionnelle qui lie la peur d’une mort annoncée à des souvenirs personnels et raviver à la fois des angoisses et des incertitudes liées à des informations contradictoires circulant sur les médias.

Confronté à la description d’une situation critique et d’une annonce coercitive concernant son corps et sa propre liberté de décider, le spectateur de la surface écranique perd toutes ses fonctions vitales et en particulier celles d’analyse et d’esprit critique. Il subit un choc émotionnel.

Ce fut le cas lors du discours présidentiel du 12 juillet 2021 pour un grand nombre de téléspectateurs.

Quand l’expression « langage de vérité » prononcé par le conférencier exprime une certitude, le caractère univoque des mesures coercitives, contraintes morales et physiques, n’admettent point de débat.

Le téléspectateur subit des assertions telles celles de la déclaration d’une guerre ou d’une lutte contre une épidémie qui altèrent toute réflexion. 

Ce choc émotionnel est proche de l’effet de sidération dont parlent certains psychiatres.

Les mots cessent de signifier. Seul un temps de pause, l’accès à la transcription et le temps d’une étude rendent possible ce retour au sens.

Le choc de la première annonce par sa charge émotive liée à une situation dramatisée occulte la signification d’une partie de l’exposé celle qui, éloignée du moment vécu, propose les choix d’une politique générale.

Cela est une des explications possibles au fait que, amplifiées par les média, les réactions et les manifestations se focalisèrent sur la seule partie de l’allocution qui traitait des mesures coercitives destinées à arrêter la diffusion du virus.

Pourtant le conférencier attire l’attention sur ses choix en soulignant qu’ils seront appliqués après la crise sanitaire, et qu’ils sont des « convictions fortes » qu’il souhaite partager.

Ce partage souhaité ne peut exister quand l’effet de sidération persiste. Il nécessite un temps de pause que permet la lecture de la transcription écrite du discours exprimé face à la caméra.

Le temps de lecture permet une mise à des messages audiovisuels, de leur rôle de fascination et d’interlocution univoque : la lecture a un rythme qui dépend du lecteur et par le travail de la double articulation libère de la fascination écranique. Elle nécessite une activité intellectuelle et réflexive que le rythme des messages audio visuels, analogiques ou numériques ne permet pas toujours.

Le temps de la lecture échappe à tout rythme imposé par une transmission virtuelle et à toute charge émotionnelle créée par l’environnement  visuel et sonore, il permet de mettre en débat des réactions d’analyste politique comme par exemple celle de Alain Gérard Slama, journaliste historien et essayiste, actuellement membre du Conseil économique social et environnemental : « Le gouvernement avance pas à pas, subit les évolutions de la crise et va à chaque fois un peu plus loin dans les mesures autoritaires et liberticides, finissant par se dédire de ses anciennes promesses.»

La lecture est le temps de la confrontation entre la propre interprétation du lecteur, les réactions provoquées et le contenu du texte dont les lectures successives font émerger des séries de questions.

Elle permet une réflexion sur les trois convictions que veut nous faire partager l’auteur de la conférence.

Ces convictions sont porteuses d’une conception de l’humain et de ses activités, c’est à dire d’une idéologie qui s’imposerait de fait si les arguments des choix ne sont pas exposés.

Si ce constat est avéré, la valeur de ces convictions peut être posée. 

Dans une démocratie basée sur un régime représentatif républicain, nous sommes en droit de poser des questions sur le contenu de cette partie du discours que l‘effet proche de la sidération créée par les premières annonces nous a fait ignorer.

Alain Jeannel

Cette réflexion se compose de trois parties :

La première commente l’expression « seul le prononcé fait foi » qui accompagne la transcription des discours du Président de la République du 12 juillet 2021 et du 31 août 2021 sur le site de l’Elysée.

La seconde intitulée, « Un texte permet de poser des questions », propose un questionnement de l’intervention du Président de la République du 12 juillet 2021.

La troisième, « Origine des questionnements : une éducation », tente de définir la place de la lecture, « grande cause nationale » annoncée dans le discours du 31 août et les propositions de politique générale sur le travail du 12 juillet.

 

 

Dernière modification le mercredi, 06 octobre 2021
Jeannel Alain

Professeur honoraire de l'Université de Bordeaux. Producteur-réalisateur. Chercheur associé au Centre Régional Associé au Céreq intégré au Centre Emile Durkheim. Membre du Conseil d’Administration de l’An@é.