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Il y a dix ans naissaient les « skyblogs », domaine d’une expression parfois débridée investi alors par des millions de jeunes. La France avait alors le record du monde du « blogging » adolescent. Et de loin…
Une chance pour l’expression des jeunes mais, en l’absence d’éducation et de régulation, des problèmes en pagaille sont alors apparus, rappelez-vous… Des publications massives de vidéos, de musique, de photographies, d’images au total mépris du droit et, notamment, du droit à l’image… Et puis des textes, et quels textes ! Le meilleur, bien sûr, mais parfois aussi le pire, des insultes, des rumeurs, du harcèlement, de la diffamation…
Sont alors tombées, en milieu scolaire, les premières sanctions : des exclusions définitives de collégiens et de collégiennes, souvent les meilleurs de leurs classes, au prétexte qu’ils auraient confondu le web avec un espace intime, comme celui de leur chambre, par exemple, et publié des propos peu amènes, parfois insultants sur leurs professeurs !
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C’était le pire, ça ! Insulter ses camarades n’avait aucune espèce d’importance mais insulter un professeur était alors un crime pire que tout ! Rendez-vous compte, un « salope » laissé au coin d’un blog, impossible à trouver, dont tout le monde parle et que personne n’a vu, pouvait alors vous faire bannir de l’école pour de bon. Pas de quartier !
Et puis, le pire : photographier son professeur au travail et porter à la face du monde l’intimité de la salle de classe ! Une sorte de drame national ! Et surtout la manifestation éclatante, au tout début de ce nouveau millénaire, que la majorité des professeurs, chefs d’établissement, personnels de santé des collèges et lycées n’y comprenaient strictement rien ! Rien de rien ! Ni à l’existence et aux formidables potentialités de l’Internet et du web, ni surtout aux aspirations et pratiques sociales des jeunes !
C’était il y a dix ans !
Dix ans !
Que s’est-il passé depuis dix ans ? 
Pas grand chose, il est vrai. Oh ! il y a bien eu, de ci, de là, des professeurs ouverts et volontaires pour prendre en charge des moments de réflexion avec leurs élèves, en cours d’éducation civique, de technologie, en classe ou au CDI, en animant des ateliers ou des débats sur le sujet, en ECJS par exemple, au lycée. 
Il y a bien eu, de ci-de là encore, des moments de formation des professeurs en éducation aux médias qui ont permis une prise de conscience collective permettant d’intégrer l’éducation numérique aux enseignements !
û Et puis, parfois, on a, avec l’aide des élus de la vie lycéenne ou des délégués de classe en collège, négocié et rédigé des chartes d’usages des outils numériques annexées au règlement intérieur. mais, convenons-en, ces documents sont, dans la très grande majorité des cas imposés aux utilisateurs et aux élèves sans explications ni commentaires.
Pire, à l’initiative parfois de personnels de santé mal informés, sous l’impulsion de chefs d’établissement opportunistes et non concernés, certaines officines douteuses mais curieusement labellisées sont venues, dans les établissements scolaires, après les cours, dispenser sur le sujet aux élèves un discours manipulateur, anxiogène, faux, décalé et surtout très anti-éducatif. L’exact contraire de ce qu’il eût fallu faire. 
Dans le même temps, on continue à interdire, dans nos collèges et lycées, les téléphones mobiles, à stigmatiser leurs usages, à filtrer et censurer sans précautions tous les réseaux sociaux (Youtube, Facebook, Twitter…). Cachons ces usages que l’on ne saurait voir ! 
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Oh, il y a bien eu, plutôt récemment, cette initiative ministérielle de portail « Internet responsable » rassemblant d’excellents documents malheureusement fort peu utilisés par les professeurs et, surtout, par les parents et les élèves qui en auraient le plus grand besoin. Ce portail a eu au moins le mérite de valoriser un certain nombre d’initiatives précédentes, à commencer par les Mémoticeversaillais, dont le premier s’était fort justement intéressé à l’expression des jeunes en ligne.
Mais, convenons-en, depuis dix ans, il ne s’est pas passé grand chose.
D’autres espaces sont apparus (Facebook, Twitter…) qui ont fait naître aussi d’autres usages fort intéressants et prometteurs, avec leur lot habituel de dérives potentielles.
C’est ainsi que, tout récemment, trois jeunes filles de terminale littéraire se sont fait pincer à insulter, sans la nommer, l’une de leurs professeurs sur Twitter, conséquence d’échanges liés à la rumeur d’un contrôle surprise. L’alerte ayant été donnée, ces jeunes filles, prenant conscience de la gravité de leur geste, ont présenté des excuses, acceptées par la professeure en question.
Mais la proviseure prend les devants et convoque le conseil de discipline qui prononce l’exclusion définitive de ces trois élèves.
Quel gâchis !
Sur le site web de l’établissement, on trouve en cherchant bien un lien vers le règlement intérieur du lycée qui, comme d’habitude, censure sans explications l’usage des appareils numériques mobiles personnels, un autre vers une fiche extraite de la CNIL qui donne quelques conseils aux blogueurs, un autre enfin vers une courte et bien absconse « charte Internet » dont je doute que quiconque au lycée l’ait jamais expliquée aux élèves ni même négociée avec eux.
Je ne sais pas si on a consacré, dans ce lycée, le temps qu’il convient à la nécessaire éducation aux usages du numérique, disons que j’ai des gros doutes là-dessus. Et si jamais ça a été fait (par qui ?), j’ai de très très gros doutes sur l’efficacité de ce travail éducatif.
Loin, très loin de moi l’idée d’excuser les propos inadmissibles de ces trois lycéennes mais, encore une fois, dix après les « skyblogs », cinq ans après les premiers dérapages sur Facebook, l’Éducation nationale a exercé à l’encontre de sa jeunesse une répression implacable sans avoir jamais fourni le travail éducatif nécessaire suffisant pour prévenir ces dérives.
Faudra-t-il attendre encore dix ans pour qu’on s’en préoccupe ? Et, avant que de vouloir faire apprendre l’algorithmique et le code informatique à ces élèves, comme on nous le promet, n’est-il pas temps de se préoccuper de leur citoyenneté numérique et de l’éducation civique que l’école leur doit ?
Pour aller plus loin, quelques articles de presse sur cette affaire :
Une vidéo de l’excellent Guy Birenbaum qui se demande à juste titre quand on va enfin se préoccuper d’éducation.
Mes billets précédents sur le sujet :
Vous voyez que je ne manque pas de constance !
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Crédit photo : Alain Bachellier via photopin cc
Dernière modification le lundi, 24 novembre 2014
Guillou Michel

Naturaliste tombé dans le numérique et l’éducation aux médias... Observateur du numérique éducatif et des médias numériques. Conférencier, consultant.