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La formation du citoyen — ainsi que la formation des enseignants pour assurer cette formation — de même que l’éducation civique, « ne peut être fondée principalement sur les cours et les discours »[1].


[1] Cf. Claude Lelièvre.

Formation du citoyen

Je suis toujours agacé par tous les larmoiements à propos de la « citoyenneté qui s’effondre », alors que la République ne fait rien pour former les citoyens ! Comment se fait-il que les enseignants n’aient pas officiellement mission de former les citoyens — ou tout au moins de contribuer à les former — à partir de la vie de la classe ?

Comment se fait-il qu’on ne forme pas les enseignants à cette mission ?

Conduire un groupe classe c’est animer un groupe. Instituer la liberté de parole — fût-ce à certains moments choisis — dans ce groupe c’est entamer une formation à l’échange, mais aussi à la démocratie.

Travailler à la liberté de parole c’est tout d’abord travailler à obtenir une qualité d’écoute suffisante pour accueillir la parole de l’autre. Expérimenter des règles qui facilitent l’écoute et l’échange, qui vont permettre d’élaborer des propositions et d’aboutir à des décisions (sur les règles de vie collective, par exemple), constitue une expérience irremplaçable pour former un citoyen.

Si on ne profite pas du cursus scolaire pour mettre en place ce type de parcours, c’est un gâchis impardonnable. Car comment reprocher à quiconque de ne pas croire à la vie démocratique s’il n’a pas vécu de tels moments ?

Bien entendu, il ne suffit pas donner une telle mission — tout indispensable qu’elle soit — aux enseignants, il faut les y former.

Formation des enseignants

Pour les préparer à une telle mission, il faut former les enseignants à la conduite de réunion et à l’animation des groupes. Cela paraît tellement évident qu’on devrait s’indigner que rien de tel ne soit mis en place.

Un module de formation de l’ordre d’une vingtaine ou d’une trentaine d’heures, centré sur entraînement à la conduite-animation et comportant bien sûr quelques apports théoriques, y suffit au démarrage[2].

Il est prudent d’envisager des modules de suivi, plus légers. La principale difficulté me semble résider dans le fait que les formateurs “universitairement compétents“ (ayant à la fois une grande pratique de l’animation des groupes et ayant mené des travaux de recherche sur cette question) ne sont pas légion.

Mais il est possible de former des formateurs.

Les intervenants laïcité

Que le ministère se préoccupe de laïcité semble normal. Qu’il ne songe pas à lier ce choix fondamental de la République Française à la formation du citoyen constitue l’aveu d’un aveuglement impardonnable (car gage d’incompétence).

En outre, comme toujours, l’administration centrale met en place de l’information, pas de la formation.

Comme rappelé au début, former des citoyens comme former à la laïcité, cela se vit dans l’action, dans les interactions qui s’établissent — dans la classe, pour ce qui nous occupe. Engager un cours ou un discours à ce sujet a toutes les chances de rater l’objectif.

La dernière sortie du ministre

On pourrait imaginer qu’un ministre de l’Éducation Nationale engage les enseignants à mettre en travail la formation des citoyens, liée à une pratique de la laïcité, et leur propose une formation adaptée à cette mission.

Il semblerait alors évident qu’il les invite à s’inscrire dans une telle formation et les encourage en les assurant de son soutien. C’est exactement le contraire que l’on vient d’entendre : le Ministre annonce publiquement que les enseignants qui ne défendraient pas les valeurs de la République devraient changer de métier ! Ce qui laisse supposer qu’il y aurait de tels enseignants, ce qui constitue un discours de basse politique — basse car laissant planer un soupçon sans aucun fondement, basse car visant le contraire de l’élévation… Au lieu de promouvoir une mission, le responsable de l’ensemble des enseignants choisit le dénigrement. Les chroniqueurs auront du mal à ne pas dire « bonjour l’École de la confiance ».

Jean-Claude Sallaberry


[2] La faisabilité est prouvée par l’option de master2 “Éducation et Cognition“ ouverte pour les professeurs stagiaires (PE2 et PLC2, dans le jargon des IUFM) — ne rien dire que nous n’ayons fait. Le diplôme était le master de sciences cognitives appliquées de l’université Victor Segalen-Bordeaux 2, porté par l’IdC (Institut de Cognitique, qui a précédé l’ENSC — École Nationale Supérieure de Cognitique).

L’option ‘Éducation et Cognition’ était portée par l’IUFM d’Aquitaine et l’IdC, qui avaient établi pour cela une convention. Les étudiants découvraient la science de la cognition, ainsi que des outils pour aborder cette science du point de vue épistémologique. Et surtout, en vue de leur métier, ils étudiaient les quatre grandes théorisations scientifiques de l’apprentissage qui ont précédé le paradigme cognitiviste fort et le connexionnisme puis, outre ces deux constructions théoriques, des apports plus récents (cf. Edelman, Varela, Changeux). Ils pouvaient ainsi saisir le contexte dans lequel les deux paradigmes précédents sont apparus et, mieux, percevoir que ces diverses constructions scientifiques constituent des tentatives de modélisation. Une UE de l’option consistait à former les enseignants stagiaires à la conduite de réunion et à l’animation des groupes, à partir de mises en situation suivies d’outillages théoriques — passant ainsi en revue tous les outillages théoriques disponibles pour les groupes. La formation à une “conduite démocratique“ de la classe était ainsi amorcée. Cette option a fonctionné 6 années durant (2004-2010), pour les professeurs stagiaires qui s’y sont inscrits (une trentaine par an).

Dernière modification le dimanche, 31 octobre 2021
Sallaberry Jean-Claude

Professeur émérite à l'université Montesquieu-Bordeaux IV.  Professeur de sciences physiques en lycée (20 ans), puis professeur des universités (sciences de l'éducation et science de la cognition) durant 20 ans, Directeur de l'IUFM d'Aquitaine pendant 7 ans 1/2.

Centrés sur une théorie des représentations, ses travaux explorent les phénomènes de la cognition et de la culture en modélisant l'articulation du niveau logique individuel et du niveau logique collectif.  Il publie notamment sur les thèmes “représentation et cognition“, “didactique des sciences“, “dynamique des groupes“, “théorie des système et théorie de l’institution“.

Co-rédacteur en chef de la revue L’Année de la recherche en sciences de l’éducation, il co-dirige, chez L’Harmattan, la collection “Cognition et Formation“.