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S’interroger sur la question de l’enseignement à « l’ère du numérique » n’a rien d’évident tant s’accumulent de prospectives, de mythes et de limites. Il implique en premier de dépasser un certain nombre d’idées erronées. Dans le même temps, il s’agit de préciser la relation entre l’enseignement (version prof.) et l’appropriation  des savoirs (version élève).

Pour « sauver l'école », un ancien président avait annoncé « un plan numérique »... Politiques et médias avaient de suite applaudi des deux mains. Les temps d’inquiétude sont propices aux grands miracles !.. Les politiques s'en remettent volontiers au premier Savonarole qui passe ou au premier élixir susceptible de soigner leurs angoisses.

Le tableau interactif, la tablette, les MOOC.  la classe inversée, etc.., leur fournissaient un semblant d'espoir, aussitôt promu en panacée.

Ce n’était pas la première fois ; le même phénomène s’était présenté à chaque implantation de nouvelles technologies : l’imprimerie, la lanterne magique, le cinéma, la télévision, épidiascope, le rétroprojecteur et Thomson O5… Les mêmes propos avaient été prononcés. Donner des tablettes à tous les élèves et passer au tout numérique pour certains, c’était le nec plus ultra. Pas pour l'OCDE (l’Organisation de coopération et de développement économiques) : « les pays qui ont beaucoup investi dans le numérique n'ont pas enregistré d'amélioration notable des résultats en compréhension de l'écrit, mathématiques et sciences aux tests PISA ».

Autre idée erronée : le mythe de l’élève "digital natives".

Ce dernier serait habile dans l’usage des nouvelles technologies parce qu’il est "né avec". Les jeunes sont émérites, oui, dans les contextes auxquels ils sont habitués. L’usage des outils numériques pour échanger entre amis, se transmettre des images et jouer à la Play station, ne demande pas les mêmes compétences que celles qui permettent d’apprendre. Apprendre une langue étrangère ou comprendre un phénomène biologique n’est jamais immédiat et naturel.

L’école numérique est ainsi née de la fascination pour la nouveauté, la croyance que la technologie va tout résoudre, le besoin presque compulsif de s’inscrire dans la modernité. 

Le numérique peut-il transformer l’école ? 

Le numérique possède un certain nombre de potentialités pour faire évoluer l’école.

Il offre de multiples ressources plus pertinentes que le simple tableau noir, le discours du prof. ou le livre scolaire. Déjà dans la pédagogie classique, le numérique peut apporter une série de plus. Les documents numériques permettent de concevoir des manuels scolaires avec des textes plus riches, plus complexes, plus dynamiques, plus nombreux, plus ouverts, plus illustrés.

En classe, les cours sont enrichis. Le Tableau Numérique Iinteractif suscite la curiosité et l’intérêt des élèves, ils peuvent rendre les enseignements plus ludiques et stimulants. La plupart des enseignants qui l’utilisent ressentent un regain de motivation, une envie de s’investir encore davantage dans leur travail. Le bénéfice est certain sur l’attention et la concentration des élèves. Les éléments les plus signifiants contribuent à organiser son travail personnel, à rechercher et traiter l’information et s’initier aux langages des médias, à coopérer et réaliser des projets.

Il peut encore favoriser l’interactivité entre professeurs et élèves. Le prof peut agrandir, souligner, agir directement sur le document. Autant d’éléments qui permettent de mieux expliciter le cours ou de l’enrichir par d’innombrables illustrations.

La présentation peut être sauvegardée, réutilisée, partagée… Le professeur trouve un gain de temps sur son écriture et fait face à son auditoire, ce qui n’est pas un mince détail.

Il peut insérer dans son cours des petits exercices auxquels les élèves peuvent répondre à l'aide de petits boîtiers. Il peut ainsi relever en direct leurs conceptions et leurs obstacles, voir ce qui a été compris ou pas et proposer des remédiations. Etc..

Avec le numérique, l’élève accède à une foule d’informations, il peut apprendre désormais à se situer, à lire en hypertexte, à trouver l’information adéquate par rapport à la question qu’il traite pour ne pas s’y perdre. Il doit en permanence se poser la question de leur pertinence et de leur validité. Qui donne l’information ? Quels sont les enjeux ? Etc… La maîtrise de l’information est un objectif important de la citoyenneté actuelle.

Parallèlement, le numérique donne accès à d’autres informations : dictionnaires, encyclopédies, atlas ; des volumes bien lourds qu’il serait impossible d’emporter dans son cartable. Les dictionnaires collaboratifs tels Bab.la et Vocabulary.com renouvellent l’usage du dictionnaire en classe. Ouverte à tous, l’encyclopédie en ligne Wikipédia est un bon exemple de Wiki.  

Apprendre avec le numérique

Le numérique peut transformer l’apprendre des élèves vers plus d’autonomie et d’efficacité.

Un temps énorme est perdu à l’école parce que depuis la maternelle, les élèves attendent que le professeur enseigne pour commencer à travailler. Non seulement on leur fait perdre leur curiosité ; en fait, ils deviennent des consommateurs...

Le numérique peut se révéler un allié de choix pour susciter la motivation des élèves, en ce qu’il permet d’une part de faire le lien avec le reste de leur vie, imprégné de nouvelles technologies, et d’autre part, souvent, d’apprendre de façon originale et amusante.

L’un des usages les plus intéressants du numérique en classe réside dans la possibilité qu’il offre des activités pour apprendre par soi-même, c’est-à-dire à la carte, à leur rythme, des savoirs indispensables, habituellement rébarbatifs comme le tables de multiplication, les conjugaisons, la grammaire ou les verbes irréguliers. Il peut même proposer des contenus différents aux élèves en fonction de leurs besoins.

Il existe des plateformes collaboratives d’exercices en ligne, qui proposent des exercices de niveaux variés réalisables par les élèves en autonomie grâce à un système de correction automatique, avec l’avantage comme disent les élèves que « la tablette ne crie pas quand on se trompe » !

Dans des classes nombreuses et hétérogènes, il est par exemple possible de faire travailler la moitié des élèves en autonomie sur supports numériques, en accompagnant de façon étroite le reste de la classe en parallèle. On peut ainsi faire travailler de façon différenciée des enfants à haut potentiel ou en difficultés.

En plus d’aider à individualiser les parcours, le numérique peut être un allié pour les élèves.

C’est le cas par exemple du scénario pédagogique basé sur l’utilisation de Scratch, un outil développé par le Massachusetts Institute of Technology (MIT) pour initier les enfants à la programmation informatique de façon ludique. Il encourage les élèves à collaborer en partageant des informations, en co-produisant des textes, des films, ou encore en échangeant autour d’un projet collectif par exemple. Ce genre de pratique s’inscrit typiquement dans une approche type Freinet.

En plus d’apprendre aux élèves à coopérer, elle contribue à susciter leur engagement en les rendant « auteurs » de leurs apprentissages.

Les applications existantes sont multiples et certaines de grande qualité.

Avec certaines applications existantes, utilisables à des fins pédagogiques, on peut y apprendre à lire dès 3 ans en jouant avec les images et les mots. De même, on trouve des applications avec des exercices très attractifs pour se situer dans les mathématiques, pour enrichir le vocabulaire ou travailler les fautes d’orthographe. Une façon de rendre moins rébarbative l’acquisition de ces incontournables. 

 

Par des approches mnémotechniques et par la réalisation de cartes mentales, l’élève peut concevoir des fiches et travailler sa mémoire. Les arbres de connaissance que fournissent certains logiciels sont un moyen d’organiser ses connaissances. La baladodiffusion est un autre moyen pour faciliter la mémorisation. Dans le même temps, elle permet l'entraînement individuel et collectif aux compétences orales. 

 

Même en sciences, les capteurs dont sont équipés les smartphones (thermomètre, humidité, pression barométrique, mesures de longueur, de pas, accéléromètre, gyromètre, etc.) permettent d’acquérir les données pour la réalisation d’expériences. On peut y programmer des robots, faire de la modélisation et de la simulation et envisager de la réalité augmentée.

 

Dès les petites classes, mais encore plus au collège et au lycée, ces nouvelles technologies sont encore un prétexte pour s’interroger sur les changements dans la société et même sur la notion de progrès. 

Envisager autrement la classe

Les possibilités pédagogiques du numérique sont si riches qu’il est impossible de toutes les inventorier.

La richesse des potentialités et la disponibilité de ces outils et ressources partout et à tout moment est un des facteurs essentiels permettant de progresser dans ses connaissances et ses apprentissages. On peut même y inclure des programmes interactifs que commence à générer l’IA (l’intelligence artificielle); ils permettent l’auto-évaluation par l’élève de ses apprentissages. 

À la condition de faire l’objet d’une implantation rigoureuse, les élèves peuvent bénéficier des progrès technologiques. Toutefois, sans réflexion préalable, sans recul, sans expérimentation digne de ce nom, les résultats sont décevants.

Les élèves ont besoin d’un accompagnement vers un usage du numérique permettant de s’approprier le savoir.  Celui-ci n'est pas toujours à la hauteur faute d’une formation professionnelle ad hoc… il ne suffit pas d'avoir toutes les ressources à portée de clic".

 

Il semble aujourd'hui que le numérique permet surtout de créer des ressources, utilisables pour apprendre.  Mais entre les ressources et l'apprentissage par enseignement, il y a une personne importante - l'enseignant –, une  institution importante – l'école – et des connaissances très particulières – les savoirs scolaires. rien ne remplace un professeur bien formé et un système éducatif…

 

Ajoutons qu’apprendre est une démarche trop complexe pour passer par une seule et unique approche.

Dernière modification le jeudi, 01 septembre 2022
Giordan André

André Giordan est le fondateur et directeur du Laboratoire de Didactique et Épistémologie des Sciences de Genève. Ancien instituteur, professeur de collège, animateur de banlieue, il  est l’auteur d’un nouveau modèle de l’apprendre (modèle d’apprentissage allostérique) et l’initiateur de nombreuses innovations scolaires, muséologiques et médiatiques.