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Sommes-nous des naïfs confrontés aux discours assertifs des équipementiers, des éditeurs de logiciels confortés par des rapports officiels souvent œuvres de groupes de pression et d’influence (lobbyiste), qui promeuvent une économie de développement industriel et financier ? Cette question se pose aux utilisateurs qu’ils soient enfants, adolescents ou adultes.

Elle trouve des réponses quand elle génère une suite d’interrogations.

A propos des modes de production et des effets sociaux.

Est-il possible de faire l’impasse sur les modes de production de cette technologie présente dans la vie scolaire  et universitaire?

  • Le développement du numérique prend-t-il en compte l’extraction annuelle des milliers de tonnes de ressources naturelles ?
  • La mise en décharge de déchets polluants et dangereux ?
  • L'extraction des ressources prend-t-elle en compte les effets sur la santé et sur les conséquences sociales ?
  • Les effets de la mise en contact permanente des utilisateurs avec les effets des différents composants des produits du numérique sont-ils étudiés? 

Nous devons envisager que l’utilisation d’un objet connecté conduit à aborder les thèmes de ses modalités de production et de ses effets sociaux et environnementaux dans l’enseignement.

Des orientations politiques.

  • Les effets psychosociaux d’une mise en réseaux d’informations sont-ils mis en débat tant dans leur forme que dans leur contenu quand les multinationales deviennent les acteurs dominant des réseaux et des informations ? 
  • Qu’en est-il du coût pour les services publics et en particulier celui d’une Éducation Nationale quand le tout numérique occupe l’espace public et en particulier la relation des citoyens avec les services de l’Etat?
  • Quels fondements d’une société, une politique du tout numérique peut-elle remettre en cause quand il s’agit de traiter des finalités de l’enseignement telles que la  vie collective, la personne comme acteur de ses apprentissages ?

La reconnaissance de ces enjeux apparaît nécessaire puisqu’ils impactent la quotidienneté, l’organisation politique de la diffusion de l’information et les espaces démocratiques.

Elle est donc une des finalités pour une éducation du citoyen dont l’enseignement est un des éléments.

A propos de l’enseignement

  • L’écart entre d’une part l’informatique comme une discipline structurante pour la pensée, pour l’apprentissage, et d’autre part un outil d’enseignement favorisant l’individuation de l’enseignement nécessite de répondre à deux interrogations :
  • Laquelle transmet des logiques opérationnelles et organisatrices à l’apprenant ?
  • Laquelle prépare à vivre ensemble ?

Retours d’expérience, documentation et articles de synthèse permettent de problématiser ces questions et soulignent leur importance pour les parentalités, l’ensemble des personnels d’une Éducation Nationale et les décideurs politiques.

Loin de s’éloigner du champ de l’enseignement, ces questions font partie des connaissances à acquérir pour comprendre son environnement.

Comprendre les procédures algorithmiques de l’informatique, c’est réactiver l’obligation de rigueur, la capacité à bien séparer énoncés, attendus et hypothèses. Ces processus sont des objectifs scolaires dont la finalité est la compréhension des enseignements proposés. 

Le lien entre ces objectifs et leur finalité est posé par exemple dans « 1,2,3 …Codez , La main à la pâte » qui présente deux possibilités pour comprendre les algorithmes : une pratique dans des situations sans outils numériques (papier, crayon) et des situations avec des outils numériques.

Revenir aux sources de l’intérêt de l’informatique pour l’enseignement, c’est comprendre les procédures de l’utilisation d’un outil. 

Toute pratique du numérique, nécessite de poser ces questions : 

  • Existe-t-il un débat entre les situations suivantes : le numérique est porteur de l’enseignement, son utilisateur y acquiert des connaissances/Le numérique nécessite un accompagnant, de nombreuses études pendant la pandémie COVID et l’état d’urgence sanitaire en montrent le rôle/le numérique est au service d’un enseignement basé sur une relation enseignants et/enseigné.e.s au même titre que sont pour exemples le dictionnaire, le livre didactique ?
  • Ne faut-il pas poursuivre le débat sur l’informatique, d’une part comme outil favorisant l’individuation et l’individualisation de l’enseignement et d’autre part comme une discipline structurante pour la pensée et pour l’apprentissage ?
  • Les processus sociaux et éducatifs qui préparent à « vivre ensemble » sont-ils favorisés par des situations présentielles régulées ou résultent-ils de transmission d’informations sur des réseaux numériques ? 

Les réponses à ces questions soulignent que la réflexion sur la place de l’individuation et celle de l’altérité dans la vie collective est nécessaire pour choisir les processus d’enseignement à mettre en action tant en pédagogie qu’en didactique.

Fait social et approche culturelle.

Le numérique, fait social qui est commun à plusieurs populations et qui  les soude entre elles ne nécessite-t-il pas  une approche culturelle ?  

Si nous prenons une approche historique et diachronique, des réponses doivent être apportées à ces questions.

  • N’y a-t-il pas existé d’autres produits artisanaux, industriels, artistiques qui ont eu un rôle sociologique, ethnographique et philosophique qui correspond à celui du numérique ?
  • Quels rôles jouèrent ces produits dans l’organisation sociale et politique des peuples concernés ?
  • Chaque peuple selon ses fondamentaux crée-t-il une même culture avec des produits analogues ?

Les réponses à ces questions permettent d’introduire un débat sur le caractère de « modernité » attribué à l’utilisation du numérique dans l’enseignement.

Le numérique est-il une décision technocratique ou créateur d’un fait culturel ?

La décision politique confie-t-elle l’enseignement, créateur de groupes sociaux qui partagent un espace commun,  à l’action démocratique publique ou à des promoteurs d’une technologie choisie parmi d’autres ?

La décision politique reconnaît-elle qu’une des finalités de l’enseignement soit l’événement culturel qui crée la citoyenneté?

L’analyse de ces deux possibilités permet de comprendre l’expression de Lionel Jospin à l’Université d’été de la communication d’Hourtin en 1999 : « l’illectronisme » avant qu’il ne devienne un nouvel avatar de l’illettrisme » ?

Il s’agirait alors de considérer en premier ce qui dans la forme diffère entre l’illectronisme et l’illettrisme pour saisir les écarts qui peuvent exister pour les questionner, en second ce qui dans le fond permet de mieux comprendre les faits culturels que recouvrent ces deux expressions.

La reconnaissance des faits culturels et leur analyse paraissent faire partie des disciplines à inscrire dans les programmes de l’enseignement soit comme thème qui traverse l’ensemble des disciplines soit comme matière en soi.

A propos des « machines à apprendre ».

Les bases d’un logiciel d’apprentissage peuvent-elles dépasser celles d’un système d’intelligence artificielle qui intègre trois modèles : 

  •  Un modèle d’un élève type, 
  • Un modèle de la matière à enseigner incluant toutes les connaissances à intégrer qui correspondent à des décisions institutionnelles tant politiques que doctrinales,
  • Un modèle d’une pratique de la transmission de la discipline qui se réfère à une seule méthode.

Si tel est le cas, à quelle idéologie, à quel objectif politique, à quel objectif économique répond ce logiciel ?
Ce choix est-il compatible avec les finalités de l’enseignement et les processus issus de pratiques, de récits et de controverses scientifiques ?

Technologiquement une autre procédure de fabrication est-elle possible ?

Quand le numérique permet l’analyse des traces de l’apprentissage, il dépasse le système d’une intelligence artificielle basée sur le renforcement d’un modèle de comportement défini administrativement, il ouvre la voie vers d’autres données qui permettent de disposer d’autres logiciels consacrés à l’enseignement.

Les données recueillies ne font plus partie d’un modèle standard d’enseigner basé sur une définition administrative de l’apprenant mais sur des données issues des expériences vécues tant au niveau des enseigné.e.s qu’à celui des parentalités et des enseignant.e.s en collaboration avec des responsables d’études scientifiques et des ingénieurs.

Cette proposition montre que si l’utilisation de certains logiciels est un objectif dont la pérennité peut être à envisager, l’analyse des composantes cognitives qui président à la production de leur technologie est une des finalités de l’enseignement.

Ne faut-il pas poser la différence entre les mises à la disposition d’outils et les technologies qui en sont les supports ?
Le numérique apporte entre autres l’instantanéité de l’information visuelle et auditive qu’elle soit analogique ou codée dont les langues font partie. Cette nouvelle pratique a pour support des outils.

Ces outils sont-ils provisoires ?
La réponse à cette question permet d’équilibrer deux actions scolaires ou universitaires :

  • Une discipline structurante pour la pensée qui est pérenne tout au long de la vie,
  • Une adaptation à un matériel qui dépend de l’évolution des choix industriels et financiers et qui est distinct d’un apprentissage professionnel.

Ces questionnements qu’impose l’immersion de générations montantes dans l’utilisation d’outils numériques n’ont-ils pas comme finalité une réponse à « Que suis-je parmi vous ? », question posée à ses élèves par un professeur dans le documentaire « L’école en projet » (FR3 Aquitaine …en 1974) ?

Pr. Alain Jeannel  

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Dernière modification le mardi, 20 septembre 2022
Jeannel Alain

Professeur honoraire de l'Université de Bordeaux. Producteur-réalisateur. Chercheur associé au Centre Régional Associé au Céreq intégré au Centre Emile Durkheim. Membre du Conseil d’Administration de l’An@é.