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L’ambiance un peu diffuse dont nous parlions, faite de technologies en attente d’usages, comme des âmes en attente de corps, s’est soudainement solidifiée. Et se figeant en cet objet, elle s’est aussi réduite à cet objet. Car bien sûr, cet air du temps constellé de technologies aurait pu devenir tout autre. Et c’est le côté passionnant des nouveaux internets. Le metaverse n’en est qu’une version, qu’un des avatars possibles. Car aujourd’hui, pour la première fois dans l’histoire du web, on semble échapper à une histoire linéaire… comme si plusieurs propositions concurrentes émergeaient en même temps.

Récap rapide. Au commencement fut le web 1 : accès à des contenus en ligne.

Magie d’une connexion internationale. Utopie d’un océan de savoir pour tous les êtres humains de la planète. Puis naquit le web 2 : captation de l’utopie par des nouveaux venus vifs et ambitieux, qui deviendraient les GAFAM (1).

A la clef ? Concentration, commercialisation et standardisation. Logiquement, nous en sommes au web 3.

Présenté par ses fans comme un retour aux origines libertariennes, il affirme redonner le pouvoir aux individus contre le web 2 des GAFAM, grâce à des outils comme DAOs, blockchain ou NFTs. Encore une utopie ? (2) Prenons rapidement chacune de ces technologies pour mieux comprendre ce qui se trame derrière ce fameux web 3. La blockchain, système de vérification implacable qui garantit l’inviolabilité de toute transaction. Donc plus besoin de tiers de confiance extérieurs comme les banques, avocats ou notaires. Elle favorise l’autonomie car elle se passe des systèmes établis en matière de flux commerciaux.

Les NFT (3), titres de propriétés infalsifiables d’un objet, permettent à toute personne de créer, d’acheter ou de revendre un objet en toute autonomie.

Le nom, Non Fungible Token, fait précisément référence à cette propriété d’unicité : fungible, fongible en français, signifie interchangeable. Et donc non fungible égale « non interchangeable ».

Les DAO ? Très simple : Decentralized autonomous organization, ou en français organisation autonome décentralisée.

Il décrit un collectif de personnes dont la gouvernance est assurée par des règles transparentes et inscrites dans la blockchain, donc non-modifiables.

Une DAO peut donc fonctionner de façon autonome, comme un logiciel. Comme elle n’a pas de forme juridique et hiérarchique, chaque membre a le même pouvoir de décision que les autres. Et peut être rémunéré soit en parts de la DAO, soit en cryptomonnaie, c’est-à-dire en monnaie numérique fondée sur la blockchain, donc sans nécessité de banque centrale. Un exemple : des super-fans de célébrités en ligne, dits aussi simps, ont créé des DAO pour se retrouver autour de personnalités, avec ou sans sa permission. On trouve donc par exemple DuaLipaDAO, qui vend des images NFT de la chanteuse 

Dua Lipa et qui proclame « DuaLipaDao is for the simps, by the simps. Our core values are: Dua Lipa, Simping, and Simping ». Par ailleurs, ElonDAO, à la gloire d’Elon Musk, se définit ainsi sur Twitter : « ElonDAO is a galactic grassroots movement aimed at disrupting the space economy. ElonDAO is for the people, by the people. Our core values are: S3XY, Intelligence, Mars, and Positivity. »

Dans ces groupes, les transactions d’effigies ou de contenus se multiplient entre simps, ce qui donne une simp economy fondée sur les NFT et les cryptos.

On en déduit qu’il n’est guère compliqué de lancer (4) une économie et une monnaie à partir de ce que l’on veut. La DAO, regroupement décentralisé de personnes auto-administrées, pose une question par rapport à la démocratie : en est-elle une version avancée ? Ou au contraire une monstruosité, un dévoiement vers une privatisation de cette forme de régime ?

Le hic dans cette histoire bien huilée du web 3 libérateur qui a trouvé avec le web 2 son ennemi fondateur, (5) dans laquelle DAOs, blockchain ou NFTs jouent les rôles principaux, c’est que bien souvent on peut voir derrière le web 2 et le web 3 les mêmes investisseurs, donc la même logique financière spéculative.

C’est le sens de ce tweet qui fait enrager les adulateurs du web3. Ecrit le 21 décembre 2021 par Jack Dorsey, fondateur de Twitter : « You don’t own web3. » The VCs and their LPs do. It will never escape their incentives. It’s ultimately a centralized entity with a different label. Know what you’re getting into… » En affirmant ainsi qu’en fin de compte les investisseurs sont les mêmes pour le web 2 que pour le web 3 qui prétend s’émanciper du schéma précédent, il pulvérise les prétentions des tenants du nouveau web décentralisé et libérateur.

Ce terme de web 3 (6), décrit donc l’une des suites possibles, l’une des conceptions envisageables, celle qui prône DAOs, blockchain ou NFTs.

Mais s’il décrit cette voie-là, il ne peut suffire à nommer l’ère à venir, qui ne se réduit pas à cette approche. Nous pourrions numéroter les webs successifs et comme le web 3 existe déjà, donner le nom de web 7 au prochain internet, en choisissant arbitrairement le chiffre 7 pour prendre un peu d’avance sur le rythme soutenu de la tech.

Mais est-ce souhaitable de réduire le web à un device digital, avec une numérotation, comme l’iPhone 14, 15, 16… ?

En outre, le chiffre ne dit rien de la nature de l’objet. Nous parlons de Paléolithique, de Néolithique et non d’Histoire 1, d’Histoire 2… Si nous nous posions cette question, nous pourrions rebaptiser le web 1 : webtopia par exemple. Et pourquoi pas Big tech web pour le web 2.

Et pour l’étape qui commence ? Metaweb si l’on veut insister sur le côté réflexif, volontaire de s’interroger sur la nature même du web pour créer la prochaine étape, qu’elle soit du côté metaverse ou du côté web 3. Pluriweb ou multiweb si l’on préfère mettre l’accent sur la coexistence de différentes approches simultanées.

Pour la clarté de l’exposé, conservons malgré sa pauvreté sémantique ce terme de web 4 pour cette nouvelle ère qui, comme la fin d’Inception (7), laisse l’avenir ouvert et donc laisse l’interprétation libre.

Le web 7 tombera-t-il du côté du metaverse, mue du web 2 des réseaux sociaux en 3D ?

Ou du côté crypto du web 3 ? Ou mixera-t-il, unifiera-t-il les deux ? Ou bien encore une nouvelle approche encore inédite verra-t-elle le jour, proposant une 3e voie ? La voie de l’interpénétration semble déjà acquise par certaines entreprises, comme l’indique la nomination d’un « vice-président métavers et Web 3 » relatée dans Les Echos le 11 février 2022 : « Nouvelle prise de choix pour Ledger, la star des cryptomonnaies, un an après l’arrivée de Ian Rogers, ancien patron du digital du groupe LVMH. La licorne française recrute Sébastien Badault en tant que vice-président métavers et Web3, afin de développer de nouveaux services dans des secteurs prometteurs comme le luxe et le jeu vidéo ».

Extrait de la version numérique du livre des tendances 2022 de l’Observatoire Netexplo « Unscripting Tomorrow » . Nos remerciements à Sylvain Louradour, Directeur associé de Netexplo et à Thierry Happe, président co-fondateur Netexplo.

NOTES

(1) - Et ensuite les MAMAA : Meta, Apple, Microsoft, Amazon, Alphabet. Cet acronyme est beaucoup plus fidéle à la situation actuelle.

(2) - « Que la problématique du pouvoir soit la problématique centrale de toutes les utopies est confirmée non seulement par la description des fantaisies sociales et politiques de caractère littéraire, mais par les différentes tentatives pour réaliser l’utopie » Paul Ricoeur, Du texte à l’action, 1986

(3) - « Il n’y a plus d’opposition entre les abstractions de l’argent et la matérialité apparente des produits, l’argent et ce qu’il permet d’acheter sont à présent faits, fondamentalement, de la même matière ». Mark Downham, Cyberpunk, 1988

(4) - « Le Shiba Inu est une cryptomonnaie nommée en l’honneur du chien éponyme. Son créateur, qui préfère rester anonyme pour le moment, a choisi le pseudonyme de Ryoshi, ainsi que la blockchain Ethereum pour bâtir cette crypto. » Journal du Net, juillet 2021

(5) - Selon le théoricien du scénario John Truby, l’ennemi doit être au moins aussi intéressant que le héros, avoir un système de valeur aussi complexe, au point de rendre incertaine l’issue du classique affrontement final.

(6) - Mike Elgan va jusqu’à écrire dans Computer world en décembre 2021 : « The two biggest buzzwords in tech right now - the metaverse and Web3 - describe platforms that don’t exist, aren’t expected to exist even by boosters for a decade at least, and probably will never exist. Of the 100 top concerns for tech pros, Web3 is 101. Don’t get me wrong. Blockchains, NFTs, distributed networks, cryptocurrencies and related concepts matter. But Web3 does not. »

(7) - A la fin du film de Nolan, une toupie censée révéler si les héros se trouvent dans le vrai monde ou dans le monde parallèle des rêves tourne toujours. Le montage ne conclut pas.

Dernière modification le dimanche, 20 novembre 2022
Laurissergues Michelle

Présidente et fondatrice de l’An@é, co-fondatrice d'Educavox et responsable éditoriale.