Nadia Rachedi a proposé une synthèse éclairée des travaux de cette 21ème édition.
Elle est Médecin au Pôle Jeunesse du Département de l’Hérault et membre du comité de pilotage de NeujPro.
Le Talon de Jeunesse
Les 18, 19 et 20 octobre derniers, la météo vichyssoise a donné le ton des 21èmes Neuj’Pro placées sous les cieux du « temps des possibles ». Des nuages secs, une pluie utile, des rayons de soleil bienvenus se sont ainsi succédés, toujours aux bons moments, en apportant à chaque fois son lot de bienfaits. Dans ce cadre, sa notoriété grandissante s’est matérialisée avec un nombre de participants qui a atteint un chiffre record : 450 personnes présentes.
Ce succès prouve, s’il en était besoin, que ce rendez-vous est à la fois, attendu et nécessaire pour partager, échanger dans un lieu physique particulièrement convivial et bien identifié. Cette édition peut être résumée comme une histoire de « Décalages ». Ce terme s’est révélé être un fil rouge de ces rencontres bourbonnaises.
Cette synthèse propose de découvrir ce que ce mot a pu recouvrir et ce qu’il a égrené au gré d’interventions clés.
Quoi de neuf Acteurs ?
Commençons par éliminer la question de « l’engagement » des jeunes tant elle fait figure de marronnier et tant sa « justesse » est discutable.
Les regards neufs d’Antoine Dulin, Vice-Président du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ), Conseiller social du Président de la Métropole de Lyon et d’Anaïs Bertron, Doctorante en sciences politiques, aux Neuj’Pro, sont venus apporter de l’eau au moulin de celles et ceux qui vivent les actions publiques sans forcément distinguer une Politique Publique Jeunesse à l’instar de celle qui existe pour la Petite Enfance par exemple.
Le premier a conclu par trois suggestions concrètes et structurantes pour libérer les jeunes âgés de 16 à 25 ans de fardeaux particulièrement lourds à vivre : « un propre filet de sécurité matérielle », « une sécurisation des formations supérieures en favorisant des allers-retours avec le marché du travail » et « une consolidation des dispositifs de la seconde chance actuellement peu aidés »
Pour en savoir plus : https://www.jeunes.gouv.fr/dernieres-actualites-du-coj-382
La seconde a magistralement démontré que la « Participation des jeunes », si elle est un mot d’ordre de la Puissance Publique, conduit dans la pratique à deux travers : d’une part, un bricolage où sa mise en visibilité est réduite à une case cochée pour obéir à cette injonction non négociable et d’autre part, une instrumentalisation institutionnelle des jeunes et des opérateurs.
Elle a pointé un fait indiscutable : le lien avec les jeunes se fait naturellement au niveau du terrain. Or les professionnels ont de moins en moins de temps, sont de moins en moins nombreux (difficultés de recrutement) et évoluent dans un contexte financier de plus en plus précaire (appels à projets, mouvements permanents d’expérimentations ou de dispositifs temporaires…). Le diagnostic est au final têtu et malheureusement implacable : les jeunes sont absents des discussions avec des projets élaborés dans des consortiums où des moyens importants sont mis sur des fonctions de coordination ou d’ingénierie. Autrement dit, côté financeurs, la réflexion s’envisage sur un temps long avec comme enjeu, la réorganisation des acteurs Jeunesse alors que, côté opérationnel, les réalités réclament des réponses urgentes.
En somme, un décalage des priorités entre le haut et le bas se dresse. Tandis qu’au sommet, le problème du partenariat qui n’est pas un moyen d’action, est l’objet central de la politique, à la base, le travail du quotidien est écrasé par ce poids « descendant » centré sur son propre fonctionnement. Ou encore, l’objectif de faire travailler ensemble les structures ou de mettre en forme l’Action Publique Jeunesse, efface celui qui vise à l’améliorer en considérant des éléments de fond (connaissances des jeunes pour répondre à leurs besoins quel que soit leur territoire).
Est-ce que ce système inorganisé est organisable ? Ou faut-il en changer car l’épreuve du temps souligne à chaque fois son caractère inorganisable en l’état ?
Pour en savoir plus : https://hal.univ-lille.fr/hal-03889534/document.
Quels temps pour les jeunes ?
Evitons ici de nous engager dans une définition des limites de la Jeunesse puisque Antoine Dulin nous a mis au parfum en nous précisant qu’il y avait 238 critères d’âge ! Preuve s’il en est, que la construction de cette tranche « Jeunesse » comme une catégorie, se cogne sur le mur du réel. Cependant, au-delà des bornes, c’est sans doute la question du sens d’une Politique Publique indépendamment de l’âge qui se pose.
Le Département de l’Allier, représenté par Isabelle Goninet, Conseillère départementale déléguée à la Jeunesse et à la lutte contre les discriminations, a fait appel au cabinet Ted Conseil pour mieux connaître les jeunes de son territoire via une enquête inédite. David Martin nous en a livré trois grands enseignements : le décalage entre les priorités exprimées par les acteurs Jeunesse et les jeunes, l’accompagnement des parents qui doit être pensé avec celui des jeunes, le processus de transitions qui est une donnée prégnante.
Alexis Monnet, membre du Conseil Economique, Social et Environnemental Régional (CESER), Président du Comité Régional des Associations de Jeunesse et d’Education Populaire Auvergne-Rhône-Alpes, dans la foulée, a eu à cœur de remettre en perspective trois éléments : d’abord historique en rappelant que l’éducation populaire a toujours eu pour objectif d’émanciper chaque jeune, puis factuel en constatant que les injonctions de mise en place de dispositifs aboutissaient à « tuer l’esprit associatif » et enfin d’évaluation, où il a pointé son caractère chronophage nourri par une multiplicité de formulaires à renseigner pour satisfaire des financeurs qui ne travaillent pas, c’est peut-être un comble en soi, ensemble ! Il a aussi partagé deux bénéfices de son expérience en tant que « Promeneur du Net », un dispositif CNAF/DJEPVA : la capacité à entrer en relation avec les jeunes et l’échange des pratiques professionnelles grâce à des temps de rencontres avec d’autres professionnels engagés dans ce processus.
Jean-Paul Carteret, Premier Vice-Président de l’Association des Maires Ruraux de France en charge de l’éducation et de l’Enfance-Jeunesse, nous a fait retomber en enfance. Avec force, il a défendu la ruralité qui ne pouvait pas rester au bord du chemin. Pour cela, il nous a sortideux indicateurs qui illustrent parfaitement la place de ces espaces en France puisqu’ils représentent 80 % du territoire et 30 % de la population. A côté des « Petites Villes de demain » qui vont se régénérer grâce à la concentration de tous les services, il propose la création de « Villages d’avenir » où, entre autres, le bâti « Structure d’accueil de la petite enfance » serait systématiquement adossé à celui d’une « Ecole ». Avec vigueur, il essaie donc de remédier au décalage entre Ville et Campagne. Cette dernière, faute d’un aménagement du territoire au plus près du terroir, coure un risque d’enlisement avec trois tendances déjà lourdes : défaut de candidats, pas de services, absence d’attractivité.
Rozenn Merrien, Directrice générale Adjointe des Services Education Jeunesse, Sports et Culture de la Ville de Noisy-le-Sec, Présidente de Association Nationale des Directeurs et des Cadres de l’Éducation des Villes et des collectivités territoriales (ANDEV), à distance et à la suite de notre élu rural, a dégagé 5 priorités pour la Jeunesse : les transitions (entrée au collège…), l’importance de l’accompagnement, l’orientation, la place de l’analyse des besoins dans la participation, la prise en charge de la fragilité de ce passage de l’enfance à l’âge adulte et ce, dans un contexte particulièrement anxiogène car particulièrement incertain ou instable.
Gaëlle Choquer-Marchand, Directrice générale des politiques familiales et sociale de la Caisse Nationale des Allocations Familiales (CNAF) a conclu ce tour de table en rappelant la place de son institution et de son réseau de proximité. Son action diverse et plastique empruntetrois directions : les jeunes, les territoires, les opérateurs. Elle a distingué le niveau national, là où se noue le dialogue avec les institutions (penser les choses ensemble) et le niveau opérationnel, là où se décline la boîte à outils nationale à partir d’un diagnostic partagé (comités départementaux des services aux familles) et au mieux aboutissant à une convention territoriale globale. Elle nous a mis en avant les 4 axes de la convention d’objectifs et de gestion signée entre l’Etat et la CNAF le 10 juillet dernier et dont la durée de vie s’étend jusqu’en 2027 : maintien d’une offre de qualité dans un contexte difficile (problème de recrutement, défi écologique…) ; accessibilité des enfants porteurs de handicap ; accessibilité financière des activités de loisirs pour les familles en situation de précarité ; meilleure coordination dans une logique de parcours.
Pour finir cette matinée bien dense, la méthode du « dialogue structuré », rebaptisé en France « Provox », faute de succès ou de mobilisation, a été présentée pour pallier cet écueil. Dans ce nouveau marketing, onze défis ont été élaborés à l’instar des 17 objectifs du développement durable
Pour en savoir plus : https://provox-jeunesse.fr.
La journée s’est poursuivi avec deux séquences posant des questions socialement vives.
Le premier temps a été consacré au numérique, sujet à l’origine de la création des Neuj’Pro.
Isabelle Ussel, Conseillère départementale de l’Allier déléguée à la prévention des risques et à la sécurité, pilote de la Grande Cause Départementale, a présenté les réalisations concrètes de son mandat : un jeu de cartes (Pokephone), un premier livret sur le thème du cyberharcèlement, une page Instagram, un site Internet https://www.allier.fr/1384-mon-allier-numerique.htm, avec comme cible, les jeunes scolarisés dans les collèges. Cette intervention, au côté de deux représentantes de l’Agence Wondercrush, a fait sensation. Cette expérience est sans aucun doute à suivre en termes de diffusion et d’impacts.
Serge Tisseron, Psychiatre et psychanalyste, à distance et dans la droite ligne de l’année dernière, a remis l’usage du numérique au cœur du système. Dans son propos, il a nettement mis en évidence le décalage statistique entre la réalité de l’impact du numérique chez les jeunes et sa perception par les adultes puisque l’usage de type « boucle d’or » c’est-à-dire adapté, est majoritaire. Cependant, comme toujours, l’inquiétude fait écho au mésusage qui invite à la prudence mais sûrement pas à la paralysie. Ce regard vigilant est d’autant plus nécessaire car la stratégie des fabricants repose sur l’exploitation de biais cognitifs humains dont l’objectif est de capter l’attention singulièrement des plus jeunes. Il nous a alertés en prenant l’exemple des métavers qui nourrissent la fabrique de quiproquos en rompant avec le réel.
En éternel optimiste, il voit de la lumière partout à condition que la « pratique » reste équilibrée et accompagnée. Cet espace a ainsi un potentiel créatif et collaboratif qu’il est important de bien identifier. Quant à Chat GPT qui sait tout contrairement aux professeurs, c’est un outil qui interroge la posture de l’enseignant. Ce dernier doit nécessairement changer de culture en passant de la transmission de connaissances à la transmission de la curiosité, du goût de l’échange et d’un rapport aux savoirs ouverts tout en étant critiques.
Béatrice Kammerer, journaliste et autrice de « Nos ados et les réseaux sociaux, même pas peur », a continué dans la même veine que celle de Serge Tisseron avec d’autres mots : tentation du risque zéro, du contrôle à 100%, débat polarisé avec d’un côté les angéliques et de l’autre, les alarmistes. Elle s’est située au milieu en comprenant la peur, émotion primaire utile, des uns tout en signalant que si elle est mal dirigée, elle n’est pas bonne conseillère.
Elle nous a décrit trois grandes catégories de peur dans cet univers numérique : le rapport au temps, le rapport à l’information et le rapport aux autres. Elle a ajouté trois enjeux sous-évalués : l’exploitation des données, la publicité cachée et le droit à la déconnexion, en soulignant le fait que les financements publics étaient concentrés essentiellement sur le pôle négatif ou le verre à moitié vide.
Willy Dupont, représentant de Koesio et Apple, a expliqué cet engagement sur le marché de l’éducation. En premier lieu, il a circonscrittrois lieux de communication et de dialogue à investir : la famille, les espaces de médiation et l’école. En second lieu, il a insisté sur deux questions fondamentales : comment évaluer la réussite d’un projet ? à quelle fréquence réaliser une évaluation ? En troisième lieu, il a cité deux piliers de base de leurs actions financées par Apple : l’accompagnement scolaire ainsi que périscolaire et la formation.
Pour en savoir plus : https://apple.koesio.com/.
Adrien Chambade et Julien Coralin, auteur et dessinateur du manga « les enquêtes de Seven », ont présenté cet outil ludique qui aborde la cybersécurité grâce à une culture qui plait aux jeunes et qui transmet des valeurs pour mieux adapter ses comportements .
Pour en savoir plus : https://cyberludik.fr/categorie-produit/livre/.
Le second temps s’intitulait « se libérer des précarités ».
Aline Louisy-Louis, Vice-présidente de la Région Normandie chargée du sport, de la jeunesse et du nautisme, a témoigné de l’action politique de son territoire avec un principe clé : toutes les politiques sont interrogées en pensant aux jeunes. Elle a passé en revue les trois projets concrets votés à l’assemblée plénière : former des ambassadeurs environnementaux dans les lycées ; rendre la culture accessible aux jeunes les plus éloignés ; créer des passerelles entre les lycées et les universités.
Elle a conclu en identifiant deux leviers politiques pour sortir les jeunes de la précarité : la formation en alternance (parcours à normaliser, ascenseur social, ouverte à toutes les filières possibles) et l’adéquation formation/offre d’emploi nécessitant la régionalisation de France Travail.
Anne Brunner, Directrice des études de l’Observatoire des inégalités, a d’emblée posé deux questions « poils à gratter » qui font le lit de chaque réflexion concernant l’intervention Jeunesse : quels jeunes ? quelles précarités ? En ce qui concerne les tranches d’âge des études, elle fait le constat qu’elles varient en fonction des sources (18 – 29 ans, 15 – 29 ans, 16 – 29 ans…). En termes de précarité, elle relève deux difficultés : le coût du logement et la recherche d’un emploi stable. Elle a évoqué une enquête de 2014 qui nécessiterait une réactualisation et a fini par trois propositions sans surprise en faveur des jeunes : créer un filet de sécurité sociale, mettre en place une mixité sociale à l’école, donner une vraie deuxième chance à ceux qui en ont besoin.
Pour en savoir plus : https://www.inegalites.fr/La-baisse-d-activite-economique-touche-les-jeunes-de-plein-fouet.
Juliette Garnier, Chargée d’enseignement à l’université de Genève, n’est pas passée par quatre chemins pour aborder une question sensible : celle du milieu populaire. Elle a développé une démonstration faite de chiffres et de témoignages très clairs et concluants que nous ne pouvons plus ignorer : la ségrégation spatiale, en concentrant les populations précaires dans des zones particulières dites « prioritaires » (sic !), conduit automatiquement à créer des établissements moins bons ou en difficulté, ou encore, ayant une mauvaise réputation (problème de recrutement…).
Le phénomène de ségrégation scolaire qui en découle, dit-elle, aboutit à une plus grande ségrégation que celle engendrée par la situation sociale. De plus, les élèves qui y sont confrontés, ne sont pas dupes et ont parfaitement intégré leur relégation. Ils portent ainsi en eux un sentiment d’exclusion sociale renforcé par cette différence de qualité des établissements. Ils discernent ainsi parfaitement bien le décalage entre les valeurs proclamées et les valeurs réelles.
Pour en savoir plus : https://www.strategie.gouv.fr/publications/poids-heritages-parcours-scolaires.
Valérie Billy, responsable des relations partenariales de l’Aigocafé, en passant après l’intervention très forte et profonde de Juliette Garnier, nous a ramenés dans une logique économique puisqu’elle a fait la promotion d’une application Eqinox, déployée dans les collèges et lycées privés ainsi que les lieux d’enseignement supérieur des adultes. Celle-ci vise à réaliser des diagnostics de potentiel. Difficile de faire une transition plus décalée !
Pour en savoir plus : https://www.aigo.cafe/eqinox-par-aigocafe-2/.
Quentin Bourgeon, membre du comité d’animation du Forum Français de la Jeunesse, a tout de même pu remettre deux éléments en avant : l’orientation et la démocratisation de l’éducation qu’il faut distinguer, a-t-il martelé, de la massification.
Ces Neuj’Pro, sous les auspices du temps des possibles, ont drainé deux questions socialement entêtantes et fondamentales qui font le lit du talon de Jeunesse : l’impérieuse nécessité d’une Politique Publique Jeunesse capable de prendre en compte les caractéristiques de cette période de transition et le besoin criant d’une Politique Publique Sociale capable de réduire les inégalités. A défaut, force est de reconnaître que des décalages perturbants et générateurs de tensions entravent le « faire société » dans la diversité et l’adversité (crises : de l’imaginaire, du recrutement, écologique, économique, démocratique, démographique, géopolitique…).
La Jeunesse est sans doute le temps du « tout est possible ».
C’est donc une fenêtre à la fois, d’opportunités mais aussi à risques comme toutes les périodes de rupture. Un tourbillon d’interrogations peut certainement nous emporter.
En voici quelques-unes énoncées pêle-mêle : les jeunes ne poursuivent-ils pas un processus de développement qui s’est certes dilaté avec le temps et qui a fini par aboutir à la création d’une catégorie « Jeunesse » socialement construite ? Autrement dit, cette tranche de vie ne dépend-t-elle pas de la façon dont nous concevons le jeune lors de son processus de sexualisation, de métamorphose pubertaire et de son entrée progressive dans les responsabilités inhérentes à l’âge adulte ? De tout temps, la force de la culture juvénile, même formatée par le marketing, ne réside-t-elle pas dans le sentiment de n’avoir rien à apprendre des adultes et de pouvoir mener son existence à sa guise ? Dès lors, pouvons-nous considérer que cette période se caractérise par une culture des pairs qui prime radicalement sur celle des parents, ou celle portée par d’autres formes d’autorités (enseignants) ?
Si la notion de Jeunesse est mise en crise par les circonstances sociales actuelles, n’en va-t-il pas de même pour le statut d’adulte qui n’est plus cet âge de stabilisation et de réalisation de soi ? Les pratiques valorisant l’urgence, la vitesse, le « sans limite », la sensation… ne renforcent-elles pas une expression typique de la Jeunesse qui passe avant tout par l’émotion et l’agir ?
Pour se construire une identité, le jeune ne prend-t-il pas souvent le contrepied des codes sociaux en vigueur en se méfiant de tous engagements ou participations téléguidés par les adultes ? Les désynchronisations perçues par les professionnels ne sont-elles pas une marque de fabrique de la Jeunesse, faite de temps surprenants qui sont autant de matériaux pour l’autonomie ? La nuit, par exemple, n’est-elle pas une des modalités de décalage des jeunes qui aiment faire la fête, les soirées entre copains et copines… ? La transformation du corps, la perte des repères de l’enfance, l’instabilité émotionnelle ne sont-elles pas des invariants de la condition juvénile universelle ?
Le rapport au temps, au passé, à l’avenir, n’est-il pas une question nécessaire à un âge où s’impose le défi de l’autonomisation et la définition de soi ? Ne finissons-nous pas, toutes et tous, àadopter progressivement le rythme institué par la société, au premier rang desquels, celui imposé par le système scolaire ?
La Jeunesse est pour les uns, un long fleuve tranquille, pour d’autres, une longue galère et pour certains, un bricolage sans fin pour s’ajuster à des situations toujours précaires.
Ces Neuj’Pro ne nous permettent-elles pas de dégager un point d’accord particulièrement bien développé par Anne Brunner et Juliette Garnier : les jeunes ne naissent pas pauvres, précaires ou fragiles socialement, en revanche, ils sont issus de familles pauvres, précaires ou fragiles socialement ? Ainsi, les inégalités prennent leurs racines, d’abord et avant tout, dans le premier espace de socialisation, à savoir la famille. Ensuite, alors que l’école, second espace de socialisation, a pour mission de réduire les écarts, elle ne fait malheureusement que les confirmer, et pire peut-être, elle les alimente et en corolaire, les aggrave structurellement.
En filigrane, un autre élément a émergé durant ces rencontres : pour faire face aux jeunes d’aujourd’hui et de demain, les adultes ne devraient-ils pas s’interroger sur leur propre rapport à l’urgence, à la planification, à la désynchronisation… ? Les aînés ne sont-ils pas des modèles et celles et ceux qui acceptent d’accompagner les jeunes ne devraient-ils pas s’interroger dans ce sens ?
Nadia Rachedi, Gynécologue-Obstétricienne Territoriale,
Médecin Expert Responsable de l’Observatoire Jeunesse, Direction Jeunesse, Pôle Education Jeunesse,
DGA-ECJSL, Conseil Départemental de l’Hérault