fil-educavox-color1

Depuis Helen Parkhurst, Célestin Freinet et quelques autres, l’idée de la pédagogie différenciée n’a pas beaucoup avancé. Pourtant tout le monde en parle, y compris (surtout) dans les milieux des TUIC, ces outils devant permettre à tout enseignant de gérer la différenciation. Alors, pourquoi cet immobilisme ?

Le premier qui bouge

Les enseignants font leur métier avec cœur et souhaitent la réussite des enfants qui leur sont confiés. Malheureusement, ils sont souvent les plus mal lotis pour appliquer la pédagogie différenciée.

D’une manière ou une autre, ils sont le résultat d’une école où la différenciation n’existe pas, ce qui peut les inciter à reproduire, parfois à leur insu, le modèle qui leur a réussi. C’est d’autant plus le cas, que les parents et l’institution encourage vivement cette reproduction.

Ce qui pourrait-être assez amusant, si des enfants n’en étaient pas les victimes, c’est que les tenants de ce système se réfèrent à Jules Ferry, semblant ignorer que Ferdinand Buisson avait conçu une pédagogie beaucoup plus individualisée que le « lire, écrire, compter », avec les promenades scolaires, le dessin, le travail manuel, la leçon de chose, la musique…

Donc, à force de ne pas bouger, on a fini par pétrifier l’école. Plutôt que d’essayer de développer les individus, on les formate a minima, sur un socle commun (en pierre reconstituée), sur lequel les élites pourront s’ériger de belles statues.

Où faut-il jeter cette pierre ?

Le plan informatique pour tous de 1985 sert toujours de repoussoir à l’introduction massive de nouvelles technologies à l’école. Ce n’est qu’un prétexte car de nombreux enseignants ont compris qu’une véritable mise en place des nouvelles technologies consisterait à redéfinir leur rôle, leur métier.

Je rebondis en revanche sur l’article de Pierre Frackowiak « L’école et le numérique » pour essayer de voir comment aborder la question du point de vue de la pédagogie différenciée, probablement la seule qui a une chance de changer les choses.

Comment différencier la pédagogie ?

Évidemment, aucun risque de glisser dans cet article une méthode infaillible et définitive pour réussir à adopter la pédagogie dans tous les cas. Je me bornerai donc à présenter quelques stratégies en mettant en face l’apport possible de TUIC :

Différencier la tâche

La première idée est de proposer un travail différent à chaque élève. Évidemment, l’énormité de la tâche fait que tout enseignant normalement constitué y renonce. Comment préparer matériellement trente activités différentes ? De plus, le risque est de tomber dans l’effet Rosenthal en ne proposant aux élèves que des activités que l’enseignant suppose à leur portée.

Si la différenciation individuelle de la tâche n’est pas une pratique courante à l’échelle de l’individu, elle est en revanche plus répandue dans l’organisation de « groupes de niveaux ». Cela divise de façon inversement proportionnelle aux effectifs des groupes le nombre d’activités à créer.

L’informatique a semblé un moyen de contourner cette difficulté. En effet, l’ordinateur, ce précepteur super patient, peut proposer sans fatigue des milliers d’activités à chacun des élèves. Même si certains logiciels gèrent un peu l’erreur, voire établissent un bilan personnalisé, on est loin de pouvoir remplacer l’enseignant par des machines. Ce que l’on constate même bien souvent, c’est que cette démarche est vouée à l’échec en ce qui concerne la différenciation, que ce soit avec l’antique salle informatique, la plus récente classe mobile ou la nouvelle vogue des tablettes.

En effet, ces dispositifs conduisent au mieux à surentraîner les meilleures élèves et à faire progresser, de façon larvaire ceux qui n’ont pas compris les tenants et aboutissants de l’activité.

Il faut donc chercher ailleurs un apport des TUIC à la différenciation.

Différencier dans le temps

Bien souvent, le blocage d’un élève ne vient pas de la complexité d’une tâche à accomplir, mais du manque de temps. Certains, comme Benjamin Bloom, ont donc imaginé de différencier dans le temps les apprentissages. Cela peut se manifester de plusieurs façons. De la logique des cycles où un élève doit pouvoir bénéficier de trois années pour atteindre un palier, à la différenciation de la durée pour une tâche normée (tiers temps pour les examens, par exemple), en passant par la « pédagogie par objectifs ».

Les nouvelles technologies peuvent apporter une aide, par exemple en permettant à l’enseignant de gérer les plans de travail, la collecte des travaux réalisés sur ordinateurs.

La réalisation d’un site Internet, plutôt que celle d’un journal papier soumis au bouclage est aussi un facteur intéressant de désynchronisation. Chaque enfant peut proposer un article et y passer le temps dont il a besoin, sans être pressé par la date de sortie ou craindre de voir son article remanié par l’enseignant, voire, en plus humiliant, par un autre élève…

L’avantage pour l’enseignant de différencier dans le temps est aussi de ne pas avoir à préparer une multitude d’activités différentes, puisque les élèves pourront les effectuer à leur rythme propre.

L’inconvénient de cette approche, est cependant que rapidement, il n’y a plus de synchronisation entre les élèves et que la notion de groupe classe peut être mise à mal.

Il y a donc lieu de mettre en place des dispositifs fédérateurs et j’en viens à la troisième approche de différenciation.

Différencier la relation pédagogique

C’est la meilleure approche, mais peut-être la plus difficile à mettre en œuvre, car elle demande une certaine compétence pédagogique à l’enseignant.

Celle-ci n’est pas forcément innée et il est malheureusement peu probable qu’elle soit au cœur des formations des nouveaux enseignants.

La première étape consiste à reconnaître la possibilité d’effets « vicariants » dans la classe. Un enseignant seul ne peut pas satisfaire aux demandes de chaque enfant s’il n’organise pas un petit peu sa classe. En effet, faire appel à l’entraide, au travail de groupe, à la collaboration, au soutien, voire, comme au XIXème siècle au tutorat lui permet de ne pas être le seul référent de sa classe et d’ainsi multiplier les possibilités de soutien.

Lorsqu’il s’agit de faire une ânerie, les réseaux souterrains de la classe ont prouvé leur efficacité. L’idée est donc de les encourager en les orientant vers des activités constructives.

Les TUIC peuvent aider. Par exemple, les moyens de communication permettent de créer des situations vraies d’échange donnant du sens aux apprentissages. Que ce soit via Twitter ou la simple messagerie électronique, des activités de correspondance avec des pairs peuvent inciter les élèves à produire leur meilleur pour leurs correspondants.

Pour cela, tablettes ou ordinateurs seront d’une bonne utilité. Cependant, il convient de tirer profit d’une force immense dans la classe, la coopération de cerveaux. En effet, enrichir une idée à plusieurs, si l’on y met un minimum d’organisation est beaucoup plus efficace que seul.

L’apport du Tableau interactif à la pédagogie différenciée

Pour atteindre cette collaboration des cerveaux, l’idéal est de pouvoir disposer d’un outil de réflexion commune, un instrument où peuvent se matérialiser, surgir, se mesurer et se construire les idées et apprentissages.

Pour cela, un instrument fait l’unanimité, le tableau interactif. La nécessité de pouvoir argumenter, tester des hypothèses, représenter, illustrer, comparer nécessitait avant son arrivée différentes manipulations, souvent chronophages et peu attrayantes. Ces difficultés faisaient que l’on hésitait à mettre en œuvre trop souvent cette approche.

Le tableau interactif permet de mobiliser sur une recherche le groupe classe. L’enseignant veille à ce que les propos soient argumentés. Il fait naître des hypothèses parallèles, voire divergentes. En un mot, il propose à sa classe de construire ses représentations et savoirs.

Le résultat de cette approche est la participation plus marquée des élèves. Les plus avancés peuvent éventuellement participer plus, mais ce n’est plus à leur seul profit, car les élèves en difficulté profitent aussi du flot d’échanges.

De tous les dispositifs TUIC existants, le tableau interactif est le seul qui permettent, non pas de gérer la différenciation, mais de tirer parti des mutuelles différences pour s’enrichir si l’on m’autorise cette paraphrase de Paul Valéry.

Plus il y a de cerveaux en action et plus les propositions seront intéressantes. Plus il y aura d’interactions et plus les élèves en difficulté entendront des éléments auxquels ils peuvent se raccrocher.

L’hétérogénéité devient une chance, une force, alors qu’elle était un obstacle avec les autres TUIC et encore plus avec les outils et méthodes traditionnels. Ce n’est plus une pédagogie différenciée, mais une pédagogie par la différence. Reconnaître l’unicité et l’originalité de chaque enfant, c’est l’aider à se construire, pas à se pétasser un uniforme, une enveloppe standardisée.

Ils ont osé

Une fois que les mécanismes de construction ont été mis en place et rodés par une utilisation efficace du tableau interactif, d’autres phénomènes peuvent apparaître dans la classe.

La compétition est remplacée par la collaboration. Je ne parle pas du tutorat, mais d’un véritable travail en commun, ou chacun apporte sa pierre (constructive, celle-ci) à un édifice. Lorsque les élèves arrivent à travailler ainsi, on peut favoriser d’autres façons de s’organiser.

Ainsi, cette collaboration peut se faire en groupe sur un tableau interactif. Là, ce sont plusieurs élèves qui travaillent en relative autonomie pour élaborer un travail commun. Une fois que l’on a mis en place ce type de mécanisme apparait parfois le regret de ne disposer que d’un seul tableau interactif. C’est l’envie de franchir cette limite qui a conduit les enseignants de l’école Dalbé-Viau de Lachine (Canada) à proposer jusqu’à six tableaux interactifs par classe en élaborant ce qu’ils appellent la pédagogie de « l’obstinage ».

Je rejoins à nouveau Pierre, Pierre Frackowiak dans sa volonté de stopper la spirale infernale. Seule une démarche réfléchie, permettra d’éviter la fuite en avant dans l’immobilisme, la pétrification, ce qui a priori ne serait pas si grave, si la France n’était pas entourée de pays ayant basé leur scolarité sur des stratégies collaboratives et différenciées.

Cochain Bernard-Yves

Enseignant, experts Ministère (RIP, TBI), Directeur de CDDP, Consultant éducation, historien d’art, infographiste, photographe publicitaire et autre.
Mon intérêt pour la pédagogie me conduit à produire quelques billets pour ce site magnifique.