fil-educavox-color1

Mme Anne-Sophie NYSSEN est la première rectrice de l’Université de Liège depuis la fondation de celle-ci en 1817. Elle a pris ses fonctions le 1 octobre 2022. Professeur de psychologie du travail à la Faculté de Psychologie, Logopédie et des Sciences de l’Education de l’Université de Liège, Mme Anne -Sophie NYSSEN fut précédemment Vice-Doyenne de la Faculté et de 2018 à 2022, Vice-Rectrice à l’Enseignement et au Bien-Etre.

Née à Bruxelles, Mme Anne-Sophie NYSSEN a vécu tout le temps à Liège, effectue ses études primaires à l’école du Sart-Tilman et secondaires au Lycée St-Jacques. Depuis l’obtention de son doctorat à l’Université de Liège et son séjour « post-doctoral » à l’Université de Stanford, ses domaines de recherche portent sur le rôle des facteurs humains et organisationnels dans les milieux de travail.

C’était une volonté de votre part ?

« J’ai toujours fait des recherches interdisciplinaires. En psychologie du travail, par définition, l’objet de la recherche avec d’autres métiers est le travail et la prise de décision, l’analyse du risque, l’erreur humaine au niveau du travail.

« La richesse de la psychologie du travail c’est que l’on s’intéresse à ce que les gens font. Depuis ma thèse de doctorat…je me suis toujours intéressé à la psychologie cognitive, aux mécanismes de prise de décision, de façon générale, au niveau du travail mais que j’ai étudié dans des systèmes complexes où se combinent l’humain, la technologie et le groupe social avec une prise de risque.

 

« Comment l’homme ou la femme prend-il une décision dans un système complexe où le risque et le temps ont des contraintes ? Je l’ai étudié dans divers milieux de travail et notamment en anesthésie et réanimation. Durant les années 1960-1970, on commençait à avoir une réflexion sur la prise de risque et surtout en 1980 où l’on a connu les premiers procès contre les anesthésistes suite à des erreurs médicales.

 

« Cette problématique était vue de manière très simpliste comme quoi l’accident est lié à l’erreur ; or, celle-ci est un élément parmi d’autres. D’où l’étude des facteurs associés à l’erreur ; c’est-à-dire des facteurs qui pourraient contribuer à la production d’une erreur humaine, des facteurs qui ne sont pas liés à la prise de décision mais liés à l’organisation du travail, au développement des technologies. C’est là l’intérêt de mon étude.

Il s’agit de comprendre l’homme dans son milieu naturel et mon milieu naturel, celui de la recherche, était le milieu du travail. Ensuite, les études se sont portées dans le milieu de l’aviation, puis celui de l’industrie lourde. Il y a eu des recherches avec Cockerill Sambre pour développer des systèmes d’aide à la décision. Il ne s’agit pas de systèmes avec l’Intelligence Artificielle mais des systèmes d’aide à la décision.

« Mes recherches furent centrées là-dessus et ce n’est que bien plus tard que je me suis intéressée à l’hypnose. Il s’agit d’un état de conscience modifié qui, d’un point de vue cognitif, nous intéresse car, quand on regarde la manière dont elle fonctionne dans la majorité du temps, nous sommes dans un mode très automatique de comportement. La conscience fait partie d’un état de conscience, peut-être particulier, mais, quand on regarde la manière dont elle travaille, dont on fonctionne dans la vie quotidienne ; la majorité du temps on fonctionne de manière automatique sur base des acquis, sur base de ce que l’on a appris et la notion de conscience contrôlée se fait à des moments très particuliers. Et une erreur peut être liée à des modes de comportement contrôlés ou automatiques d’ailleurs.

Vous êtes également détentrice du certificat d’hypnose éricksonienne obtenu à l’Institut Erickson de Liège…

« Mon domaine de recherche, c’est l’erreur humaine. Les recherches sur l’hypnose, elles ont été réalisées en collaboration avec Mme Marie-Elisabeth FAYMONVILLE, Professeur au Centre Hospitalier Universitaire de Liège, qui a travaillé aussi avec Steven LAUREYS notamment pour utiliser les IRM fonctionnels et voir ce qui distingue l’état de conscience en hypnose de l’état de conscience du coma, de l’état de conscience des morts imminentes. »

De cette formation à l’hypnose est né, dans le cursus universitaire, un cours sur la sensibilisation au processus hypnotique et à la communication thérapeutique. Par ailleurs, avec Mme Marie-Elisabeth FAYMONVILLE, Mme Anne-Sophie NYSSEN a travaillé à une formation sur le recours à l’hypnose dans la prise en charge de la douleur aigue et chronique.

En tant que Vice-Rectrice, vous aviez en charge l’Enseignement et le Bien-Etre…Comment avez-vous été amenée à choisir ces responsabilités… ?

Comme psychologue du travail, je ne peux pas ne pas m’intéresser au bien - être. C’est l’objet même de mes travaux. La psychologie du travail s’intéresse à l’homme qui fonctionne, qui travaille et donc à ses prises de décision mais aussi à son bien-être, ses conditions de travail.

« Je suis plutôt dans le courant ergonomie, dans l’adaptation du travail à l’homme. Pour ce fait, il faut savoir comment fonctionne l’homme ? Car si ignorez comment il fonctionne, vous ne pouvez pas évidemment construire les conditions de travail qui lui permettent de bien fonctionner. Et pour bien fonctionner, entre en compte la qualité de son travail mais aussi la qualité de son bien-être.

 

« Au départ, mon ambition n’était pas d’être Vice-Rectrice, ni Rectrice d’ailleurs. Cependant je trouvais qu’à l’Université certains décrets nous empêchaient de bien travailler. Et on le voit bien dans le monde du travail aussi où on est parfois dans des réglementations qui empêchent la qualité de travail. Ce n’est pas naturellement l’objectif du décret ou de la réglementation mais on constate une grande souffrance des travailleurs y compris des enseignants et on les freine dans la qualité de leur travail les empêchant en fait de bien travailler.

« L’objectif comme enseignante c’est de pouvoir transmettre, de pouvoir produire de la connaissance comme chercheuse et de pouvoir la transmettre aux étudiants et de créer les conditions qui permettent aux étudiants justement d’acquérir ces connaissances.

« Or, on augmente le nombre d’étudiants par classe ainsi que les contraintes sur les enseignants et des décrets sont élaborés qui nous empêchent de faire notre travail convenablement. Ainsi en est-il du décret « paysage » en application depuis une certaine durée. Les enseignants percevaient, même si les objectifs étaient louables, c’est-à-dire de permettre une plus grande flexibilité aux étudiants et d’augmenter leur chance de réussir, que ce décret « paysage » que nous vivions sur le terrain, c’était le contraire.

 

« C’est-à-dire que cette flexibilité accordée ne s’avérait pas au bénéfice de l’étudiant…en fait l’étudiant, malheureusement avec cette flexibilité, restait dans le système, avait certains cours qu’il ne passait pas, « qu’il gardait dans ses casseroles » comme on dit et restait en permanence dans le système. Cela donnait l’impression que la durée des études augmentait plutôt que d’être plus ajustée. Et au vu de cela, je me suis dit qu’il fallait entreprendre quelque chose : réformer ce décret. Et quand je suis devenue Vice-Présidente, je me suis dit : démontrons que ce décret « paysage » malheureusement n’a pas l’effet escompté. Il faut le réformer à tout prix ou sinon on va droit dans le mur.

 

« En effet, on se retrouvait avec des étudiants qui, à un moment donné, après huit ans, n’étaient plus finançables, devaient partir. C’était catastrophique aussi bien pour les étudiants que pour les professeurs. On ne savait plus comment faire. Et, en plus, le nombre d’étudiants ne cessait d’augmenter. Ils restaient dans le système mais ne sortaient pas de l’université. Heureusement certains en sortaient mais d’autres pas.

 

« Je me suis dit : « ce n’est plus possible ». Et quand Pierre Wolper, le Recteur précédent, est venu me demander une première fois si je soutenais sa candidature, j’ai dit « oui » à condition que je puisse entreprendre mon objectif, la réforme du décret. »

Depuis celui-ci a été réformé.

« Et il y avait un autre décret qu’il fallait absolument adapter avant d’être mis sur pied, c’est la réforme de la formation initiale des enseignants.

Celle-ci, telle que l’on nous l’avait proposée au départ, s’avérait aussi catastrophique. L’objectif était toujours louable sur le papier mais « l’opérationnalisation » de l’objectif était insupportable pour nous. On nous disait, il faut participer à la formation initiale des enseignants pour augmenter le niveau des étudiants que nous allons recevoir.

 

« Je pense que c’est essentiel si nous voulons avoir des étudiants plus adaptés aux études universitaires, il faut investir dans la formation des enseignants du secondaire. Or, on se rend compte que, en première année, nous avons seulement 45 % de réussite. Nous avons donc un rôle à jouer avec les Hautes Ecoles pour améliorer la formation des étudiants qui souhaitent entreprendre des études supérieures que ce soit universitaires ou autres. 

 

« Et pour moi, c’est un engagement. Dans les pays voisins, les universités sont impliquées dans la formation des enseignants. »

                                                               (A suivre)

Dernière modification le vendredi, 10 février 2023
Moës Julien

Né à Geer, en province de Liège (Belgique), le 5 septembre 1948, je suis diplômé de l'enseignement supérieur à l'Institut pour Journalistes de Belgique. Journaliste professionnel et auteur, ancien secrétaire de rédaction au quotidien La Wallonie (1971-1990), ancien président de l'Association des Journalistes professionnels de Belgique - section Liège-Luxembourg et chef du service communication de la Province de Liège de 1993 à 2006, je suis actuellement administrateur de La Maison de la Presse et de la Communication de Liège, de la télévision locale RTC-Télé Liège et de la Société des Lecteurs du Monde ainsi qu' animateur aux côtés de Régine Kerzmann de l'émission "Nos auteurs ont la parole" sur RCF Liège. Je tiens aussi sur facebook un site comme chroniqueur littéraire.