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A l’origine de cette proposition : Guy Berger, Gilles Dumas, les séminaires An@é animés par Michelle Laurissergues et l’intervention de Marcel Desvergne sur la mondialisation. Au niveau mondial, le 20ème siècle et le premier quart du 21ème siècle sont représentatifs d’un abandon de la valeur que représentent un homme et une femme. Des conflits territoriaux, des génocides, des destructions de population civile dépendent le plus souvent d’une politique liée au choix  d’une théorie  économique et/ ou à une option cultuelle.

Les effets de ces conditions historiques eurent des effets dévastateurs sur les générations montantes et particulièrement sur les enfants et les jeunes.

Les éducateurs et les enseignants en contact direct avec cette population sûrent trouver  les ressources nécessaires pour leur permettre de surmonter les difficultés que ces environnements leur font vivre.

Ces enseignants et ces éducateurs de terrain ne se sont pas contentés d’agir, ils ont chaque fois permis de faire avancer la réflexion sur les liens entre éducation et enseignement, soit la science de l’éducation.

Dans les moments de tension qui traversèrent l’Europe et la Russie depuis le début du 20ème siècle, les personnalités suivantes peuvent servir d’exemples. Anton Makarenko est éducateur pendant la période de la révolution soviétique, Célestin et Elise Freinet sont confrontés aux conflits idéologiques sur l’école après la guerre de 1914-18, Alfred et Françoise Brauner prennent en compte le déplacement et la déportation des enfants au 20ème siècle, Tobie Nathan et Marie Rose Moro interviennent auprès des enfants de migrants à partir du troisième quart du 20ème siècle.

Enfants et adolescents subissent les conséquences de la mondialisation des informations et des produits d’une industrie commerciale numérique.

A titre d’exemples : la diffusion d’images et sons de scènes violentes concernant la vie collective et personnelle, la mise en réseau  de messages personnelles impactant la vie privée, les images de violence présentes sur les médias traditionnels, les  fictions (tortures, viols..) et les reportages, guerres, génocides, famines sur les médias traditionnels.

Les passages à l’acte des jeunes, meurtres, menaces armées des personnels de l’éducation nationale, harcèlement, tournante, ne peuvent être attribués à la seule immersion dans cette mondialisation des informations dont la présentation virtuelle et écranique supprime toute la réalité des souffrances, toutes les notions d’espace et de temps, cependant il est attesté qu’elle a une part de responsabilité.

Alerté par cette situation, le Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse a créé un opérateur public le CLEMI en charge d’une éducation aux médias et à l’information en milieu scolaire :

« Par l’éducation aux médias et à l’information (EMI), les élèves apprennent à devenir des citoyens responsables dans une société marquée par la multiplication et l’accélération des flux d’information. Ils développent leur esprit critique et sont capables d’agir de manière éclairée pour chercher, recevoir, produire et diffuser des informations via des médias de plus en plus diversifiés. ».

Antérieurement, cette volonté s’est exprimée à la fois par la mise en place d’études et de recherches décentralisées au sein de l’IPN-CNDP telles que L’Initiation à la Culture Audiovisuelle en 1966 et des programmes d’enseignement par exemple en 1978. Les enseignants et les enseignantes ont alors mis en place des expérimentations dont des associations telles que les Cahiers pédagogiques, l’Association Nationale des @cteurs de l’Ecole ont rendu compte.

Trois expériences expriment bien à la fois les propositions, les difficultés rencontrées et les prises de décision de ces acteurs de terrain pendant cette période qui vit le développement des industries de l’information et l’inscription de ce thème dans les programmes de l’Education Nationale.

1 - Trois expériences : 

Du dernier quart du 20ème au premier quart du 21ème siècle.

1-1 Tursac vallée de la Vézère 1978

« Quand les enfants introduisent dans la classe tout ce que véhiculent les media, qu’en faire? » s’interroge en 1978  dans l’émission « quotidien et media » l’institutrice de la classe unique de la commune de Tursac (24 620). Elle précise que suite à une interprétation des instructions officielles, elle s’oriente vers un enseignement sur « l’information » et partage ce parcours pédagogique sur le thème de la déforestation en milieu rural avec les élèves, les parents, des témoins et un journaliste de la presse régionale.

Quand elle introduit ce nouveau temps scolaire, elle exprime ses difficultés : La maîtresse « ne parle pas d’une manière neutre », elle parle avec son langage, ses idées. Ce discours les enfants ne le comprennent pas, « ils n’ont pas les mêmes idées derrière la tête, ni le même vécu ».

C’est au moment où il y a des points communs entre le vécu des élèves et celui de la maîtresse qu’existe la communication, soit l’échange entre pairs, soit l’échange entre  scolaires et enseignante: « Quand on a des sensibilités touchées par la même chose, on se dit qu’il se passe quelque chose dans la classe ».

Suite au constat « Avec les enfants, le travail est beaucoup plus lent », est évoqué alors le côté affectif, sensible et culturel que l’information sur ce thème provoque auprès des agriculteurs de cette commune rurale. Les images montrent des enfants qui vont les uns vers les autres pour confronter leurs idées, la maîtresse elle-même est en mouvement.

Au moment de la création d’un texte pour le journal local, tout se pose. L’enseignante procède étape par étape, elle est obligée de faire l’effort de l’analyse de sa réaction par rapport à l’information et de conduire une enquête à propos des débats suscités, il s’agit pour elle  « d’avoir beaucoup de rigueur dans sa pensée ». Quand les enfants voient l’adulte obligé de faire cet effort par rapport à une première réaction qu’elle soit subjective ou institutionnelle, eux-mêmes vont collectivement conduire ce même mouvement dynamique en accompagnant l’enseignante dans sa quête d’une vérité : « les enfants et moi à l’occasion d’une information, nous sommes amenés petit à petit à cerner un semblant de vérité qui peut être mis en cause demain …. A situer les enfants dans le monde des adultes, à ce qu’est la société et ce qu’ils sont eux dans cette société.»

1-2 Entretiens, début 21ème siècle.

Certaines connaissances aux preuves scientifiques avérées peuvent être contestées par des élèves. Tel fut le cas d’entretiens à propos de l’enseignement «  science et technologie ». Une notion qui paraît universellement acceptée telle que celle des mouvements de la terre sur elle-même et autour du soleil peut être contestée par des élèves.

L’enseignement de cette « révolution »  crée des controverses parfois violentes souvent non dites qui se libèrent peu à peu.  Ces prises de position d’acceptation ou de refus mettent en évidence des cultures différentes et des adhésions naïves à des propos cultuels. Un travail d’explicitation et de recherche sur l’origine de ces oppositions et de ces approbations conduite par les adultes et les scolaires construit collectivement une reconnaissance des différents points de vue dans la classe. Il est le moment où les différentes sources d’information sont mises à jour et plus particulièrement celles issues de la société numérique. L’origine des propositions renvoie aux espaces géographiques mondiaux dont ma richesse est la multiplicité des sources d’information et la diversité des origines de la population 

Le travail de l’enseignant et de l’enseignante qui s’astreint à suivre le cheminement de ce groupe vers la reconnaissance de la place de cette connaissance scientifique par rapport à toutes les autres propositions et de sa compréhension n’est –il pas  une action éducative dans laquelle l’enseignement ne peut être dissocié de l’éducation?

Ces enseignants soulignaient la difficulté de ce chemin pédagogique. Les oppositions créaient des moments de tension qui, par à coup, faisaient entrer dans l’espace classe toutes les influences de la parentalité et de l’environnement médiatique: l’adhésion ou le déni devenaient représentatifs de la vie intime de l’élève. Le débat se déplaçait vers un conflit entre des choix cultuels, des choix ethniques, des positions idéologiques rendant impossible une solution au sein de la classe et il nécessitait le retour à l’affirmation de la connaissance comme une vérité contestée. Ces enseignants suggèrent le recours à une régulation dépassant l’espace et le temps scolaire.

 1-3 « Je ne suis pas un robot » 2023.

En 2023, Jacques Puyou rend compte de « Pourquoi je ne suis pas un robot »,  atelier dirigé par Chiaria Pastorini lors de la troisième édition des Rencontres philosophiques « Michel Serres » à Agen :  

«  Sous l’apparente spontanéité des échanges, il y a une méthode des Petites Lumières. « la philosophie n’est pas une pédagogie de la réponse mais une pédagogie de la question ». Dans ce cadre, l’animateur devient un médiateur pour faciliter la construction des débats. Il doit en même temps provoquer et faire naître l’autonomie de la pensée chez l’enfant. Il relance la réflexion par le biais de demandes d’explication…Et comme les enfants ne sont pas des machines, ils y éprouvent manifestement du plaisir. »

A 50 ans de distance, la créativité de ces enseignants et leur anticipation sur un lendemain possible font participer les élèves à la quête d’une vérité.

1-4 Trois décisions d’acteurs de terrain.

En 1978, à partir d’un constat local, l’institutrice participe avec ses élèves à la quête de réponses possibles à la question : Pourquoi une déforestation suivie d’un type uniforme de reboisement ? Cette question écologique, politique et économique introduit des données mondiales comparatives. Le but est l’écriture d’un article dont la confrontation avec la déontologie d’un journaliste conduit à de nouvelles découvertes. Dès 1978 elle montre que l’acteur de terrain sait anticiper les thèmes de l’enseignement ici information et écologie sans contredire des programmes qui inscrivent des cours sur l’information et l’agriculture. 

Pendant le premier quart du 21ème,  quand la parole des scolaires est libérée, l’opposition à une connaissance scientifique trouve à la fois ses arguments dans les informations recueillies sur des plateformes numériques et sur des réseaux sociaux, produits de l’informatique et dans les propos de l’environnement, lui-même impacté par la mondialisation de l’information.

Cette intrusion de l’intime de l’élève rend difficile sinon parfois impossible toute régulation au sein de l’espace classe et réclame une modification de l’organisation scolaire. Il faut reconnaître toute la valeur éducative de ce moment pendant lequel chacun se situe par rapport à l’autre dans sa différence. Mais, il nécessite un travail collectif réunissant la collectivité scolaire à la collectivité de la parentalité qui permet à ce travail intergénérationnel, jeunes et adultes réunis, de stabiliser les controverses allant parfois jusqu’à des agressions.

En 2023, Chiaria Pastorini accompagne le groupe d’enfants vers les réponses possibles à la question : « Pourquoi je ne suis pas un robot »,  avec « une pratique verbale très respectueuse de la parole de chacun avec des objectifs éducatifs dépassant la seule philosophie » tel que « intégrer les règles du débat démocratiques… » 

Tous les trois ont une finalité commune, associer l’enseignement à l’éducation en créant les conditions d’une parole libérée, qui permet l’émergence de controverses constituant une expérience et un savoir commun.  Chaque fois, la recherche documentaire contribue à la transmission de la connaissance. L’accès à l’information avec sa dimension vérification de la source fait partie de l’éducation du citoyen et situe la connaissance transmise dans le contexte de sa construction. Il est dans ce sens une valeur de la mondialisation de l’information par le numérique et participe à une activité scolaire dans laquelle l’enseignement ne peut être dissocié de l’éducation.

2 -  Le macrocosme sociétal

« Les adultes se comportent en adultes et initient les enfants à leur monde »

Tursac 1978

Ces exemples mettent en évidence que l’enseignant et l’enseignante sont seuls au moment de la prise de décision de leur action éducative liée à la transmission des connaissances. Cette prise de décision nécessite une compréhension du macrocosme sociétal qui est celui des scolaires mais aussi du sien. La reconnaissance de leur engagement permanent dans l’activité scolaire et le macrocosme sociétal d’une mondialisation qui développe une technologie numérique redessinent les contours de la recherche sur les processus de l’enseignement et de l’éducation.

La compréhension de cette mondialisation créatrice d’un macrocosme sociétal s’impose.

2-1 Quatre approches de la mondialisation dans l’espace européen.

En premier, la mondialisation est considérée comme la structure et l’évolution du monde dans son ensemble ; cette compréhension correspondrait à envisager qu’elle permettrait d’agir sur l’univers.

En second, elle représente l’être humain comme un ensemble d’éléments généralement résultant des études scientifiques qui ne traitent qu’une partie du tout. Elle permet d’envisager qu’il serait possible que la science ouvre la possibilité d’agir sur les différences pour les réduire et proposer un modèle type universel. 

En trois, elle est la reconnaissance d’une économie basée sur la concurrence qui s’appuie sur l’industrialisation de la technologie informatique. Il s’agirait d’un moment qui trouve sa place dans la chronologie des temps historiques.

En quatre, la disparition de l’espace et du temps dans les relations entre les membres de l’humanité créerait une mondialisation tendant vers un milieu unique et un environnement en tout point semblable quelque soit la diversité des populations et des lieux.

Ces quatre compréhensions du mot mondialisation exposées ne sont point exhaustives et elles nécessitent l’étude de  la place donnée à cette terminologie en ce premier quart du 21ème siècle

2-2 Entre mondialisation et globalisation dans ce premier quart du 21ème siècle :

La contiguïté des politiques françaises avec les politiques anglo-saxonnes doit permettre une traduction aisée du terme mondialisation en anglais ; en fait, il n’en est rien,  l’expression anglaise « globalization » ne correspond pas à sa traduction française, globalisation, prise souvent comme synonyme de mondialisation.

A travers la déclinaison que l’OCDE, la mondialisation comprend trois étapes : l’internationalisation par le développement des flux d’exportation, la transnationalisation par l’essor des flux d’investissement et  la mise en place de réseaux mondiaux de production et d’information. 

La troisième étape correspond à la « globalization », elle est la mise en place de réseaux de production et d’information correspondant à ce que depuis 2008 les décisions gouvernementales françaises nomment  « le numérique » : elle concerne directement la transmission des connaissances et des cultures donc en partie les domaines de l’enseignement et de l’éducation.

Cette proposition nécessite un débat sur le sens de globalisation. Si nous le considérons comme un alignement sur le sens anglais de « globalization », il nous paraît difficile de nous référer au radical monde puisqu’il prend le sens de « corporate globalization », « market globalization » soit mondialisation du commerce, mondialisation du marché. 

Il s’agit d’ajuster une politique de la recherche en éducation à une nouvelle situation historique basée sur un modèle économique et financier qui est à la fois une idéologie « le libéralisme », une monnaie qui est encore « le dollar », un outil « le capitalisme », un mode de gouvernement le plus démocratique étant «  la démocratie représentative», une langue « l’anglais » (ne faudrait-il pas dire « anglo-américain » ou Novlangue qui tend vers le langage de l’industrie).

Quand les pratiques d’enseignement et leurs rôles en éducation devraient s’aligner sur la déréglementation des marchés mise en place en 1971 et la volonté de développer le tout numérique en faisant la promotion de l’industrie liée à une technologie informatique, la recherche en éducation et en enseignement doit définir ses finalités.

2.3  Quatre tendances et deux projets.

Quatre tendances apparaissent au cours du 20ème siècle.

La première définit un domaine d’études sur les différents designs de l’enseignement, dans le sens d’adaptation des techniques à des objectifs définis pour une production de série d’objets analogues.

Elle tend à envisager des modèles- types de l’élève qui auraient une valeur  universelle. Elle promeut une mondialisation tendant vers un milieu unique et un environnement en tout point semblable quelque soit la diversité des populations et des lieux.

Quand la série d’exercices pour apprendre résulte de la combinaison de résultats quantitatifs d’études disciplinaires définissant un type d’élève et d’un design industriel produit par des algorithmes,  une question se pose : cet élève type existe-il dans la réalité ?  

La seconde tendance est la production d’études à la demande des gouvernements ou des groupes de pression.

L’objectif serait de donner une rationalité scientifique à des choix politiques ou à des intérêts commerciaux dans la « globalization », mondialisation du commerce, mondialisation du marché. Sa crédibilité dépend d’une sélection des sciences qui interviennent en milieu scolaire et sur l’environnement des scolaires. Une fois élue par ses commanditaires, elle échapperait à toutes les controverses et permettrait que la connaissance soit un élément d’un programme qui se suffirait à lui-même et serait unique. 

La troisième est la mondialisation, comme acceptation d’une économie basée sur la concurrence et sur l’utilisation du numérique. Elle peut être considérée comme une époque de l’industrialisation de l’enseignement dans la chronologie des temps historiques.

La quatrième a pour finalité de poser des objets de recherche centrés sur l’enseignement comme un apport à l’éducation. Elle prend en compte les appréhensions des thèmes proposés par le public concerné. La nouvelle connaissance est proposée sans ignorer les oppositions qu’elle peut susciter. La finalité est la transformation de cette connaissance avec le débat collectif en « un bien » pour chaque participant.

Une analyse de ces quatre tendances montre qu’en fait elles sont représentatives de deux projets :

Le premier regroupe  les trois premières tendances. Il définit un domaine d’études sur les différents designs, dans le sens d’adaptation des techniques à des objectifs définis pour une production de série d’objets analogues. Les domaines de ces études portent principalement sur la production par des sociétés privées et publiques d’outils d’enseignement. Ils prennent en compte la mondialisation comme acceptation d’une économie fondée sur la concurrence à laquelle l’utilisation du numérique donne un pouvoir peu limité. Les évolutions de cette industrie basée sur l’informatique peuvent être considérées comme le choix d’une industrialisation de l’enseignement sous sa forme de l’utilisation d’un capital calcul de données.

Ce choix est représentatif d’une conception programmatique de l’enseignement et d’une volonté technocratique de l’application univoque d’une décision soit d’un gouvernement soit de groupes financiers, industriels et commerciaux de pression.

De nombreux exemples illustrent ce projet. La sollicitation faite aux collectivités territoriales d’investir dans des installations matérielles de l’espace architectural, incluant les réseaux des technologies informatiques et leur ergonomie. Différents algorithmes sont utilisés pour créer des produits industriels à partir de modèles didactiques et pédagogiques. L’élaboration de produits basés sur des algorithmes pour une évaluation technique des élèves sous l’influence des enquêtes internationales  comme PISA, Programme International pour le Suivi des Acquis des Élèves. La commande d’études scientifiques ou universitaires ciblées par le commanditaire après appel d’offre soit par les responsables ministériels, soit par les promoteurs des différents groupes industriels et commerciaux.

Des mises en situation virtuelle sur les thèmes « le travail est source d’intégration sociale », ou « l’innovation aide à reculer les limites écologiques de la croissance » sans mise en débat de la proposition, transformeraient une interrogation en affirmation. 

Ce premier projet est dans une conception politique qui conçoit l’organisation de l’éducation nationale comme la transmission de décisions d’enseignement et d’éducation d’un ministère vers les services qui ont la charge de suivre leurs applications. Ces décisions s’appuient sur un choix d’études scientifiques et universitaires soit existantes soit commandées.

Le débat se déplace de l’enseignement et de l’éducation vers des commandes privées ou publiques de directives propres au projet politique d’un gouvernement ou de groupes de pression. Il concerne le domaine des ajustements économiques donc des relations Syndicats – Gouvernement, Collectivités territoriales-Gouvernement. Ce projet imprime la marque d’un choix économique, d’une conception hiérarchique de la décision, et l’adhésion à un système programmatique adapté à la transmission d’une connaissance comme objectif en soi et non comme finalité éducative.

N’existe-il pas dans ce projet la nécessité de poser la question : N’existe-t-il une tendance à substituer le capital calcul de l’ingénierie informatique dite dans le langage promotionnel IA à l’Intelligence Humaine?

N’existe-t-il un choix technocratique de l’instruction, méthode de transmission des connaissances, en contradiction avec l’enseignement qui ne peut être dissocié de l’éducation ?

Qu’en est-il de l’engagement professionnel de l’acteur de terrain ?

Le second projet a pour finalité de poser des objets de recherche centrés sur l’enseignement comme un apport à l’éducation. Elle prend en compte les appréhensions des thèmes par le public concerné. La nouvelle connaissance est proposée sans ignorer les oppositions qu’elle peut susciter. La finalité est la transformation de cette connaissance avec le débat collectif en « un bien » pour chaque participant. Ce « bien » est ce qui différencie chacun et chacune de l’autre tant entre pairs qu’entre générations. Ce « bien » est une ressource pour l’individu confronté à des débats au sein de la société, il est une ressource qui lui permet de comprendre les enjeux et donc de décider de sa place, il est un retour permanent sur son investissement personnel en temps et moyen en connaissant la place des connaissances acquises et celle des opinions. 

Par exemple, la compréhension que chacun et chacune a d’un programme numérique sur un auteur devient un « bien » quand dans l’échange collectif chacun et chacune saisit qu’il peut avoir une émotion, une connaissance différente de l’autre et d’en saisir les origines. La connaissance de la différence entre sa propre approche du texte et celle des autres devient un « bien » quand il ou elle pourra exprimer son savoir au sein de son environnement. 

Il est « un bien » comme retour sur investissement parce qu’il permet de saisir les approches des autres dans d’autres domaines tels que ceux de l’environnement économique et politique de la production numérique en ce 21ème siècle. Les différentes structures du numérique ajoutent de nouvelles ressources, elles apparaissent comme des objets dont il s’agit de faire un « bien » comme il s’est agi de faire de la lecture au cours du 19éme siècle « un bien » pour les exclus de cette capacité cognitive.

Ce projet est la poursuite d’une réflexion sur la transmission des connaissances entre deux générations au sein d’un collectif enfants, jeunes et adultes. Les débats que suscite l’enseignement d’une notion ne s’inscrivent-ils pas dans un processus éducatif qui permet à l’enfant, à l’adolescent et l’adolescente de se situer par rapport aux adultes et de comprendre la société dans laquelle il vit et la place qu’il y occupe ?

La production collective comme expression d’un temps de vie n’est-elle la reconnaissance de la parole de chacun qu’il soit scolaire ou enseignant ?

Pour comprendre la valeur de chacun des deux  projets, pour saisir l’opportunité de l’un et de l’autre de quelles ressources l’acteur de terrain, enseignante ou enseignant, dispose-t-il au moment de sa décision pédagogique et didactique?

3 - Quelles ressources pour l’enseignant sur le terrain ?

L’enseignant vit dans un milieu social avec lequel il établit des relations personnalisées qui sont d’un apport permanent à sa réflexion sur sa vie professionnelle. A côté de cette vie privée, il existe une offre à la fois pour sa formation initiale et continue et pour sa propre documentation.

Quand l’enseignante ou l’enseignant choisit une communication horizontale qui permet au scolaire de comprendre la place qu’occupe la transmission d’une connaissance dans son univers et non une communication verticale du savoir (bien exprimée par la formule « remplir un vase vide») soit un programme d’instruction, sur quelles ressources peut-il ou elle s’appuyer ?

3-1 La formation initiale est une formation universitaire.

« Le master MEEF s’adresse principalement aux titulaires d’une licence, de préférence dans une discipline enseignée à l’école primaire ou dans la ou les disciplines que l’on souhaite enseigner dans le secondaire. »

Cette formation universitaire permet de mettre à distance les différents universaux  proposés par exemple par l’OCDE, un seul langage qui produit une pensée translinguistique unique, une seule logique celle des algorithmes, un monde instantané sur tout le globe et même avec l’univers grâce aux stations spatiales.

Elle permet de saisir les différentes problématiques qui permettent les approches scientifiques des disciplines académiques et de problématiser des observations faites pendant « les 18 semaines de stages en milieu scolaire ou dans le champ de l'éducation et de la formation »

3-2 La formation continue

De 2005 à 2019,  la formation se centrait sur la transmission administrative des textes réglementaires réformes concentrées sur l’organisation de l’école (rythmes scolaires, examens…) ou sur les programmes. Depuis les dernières statistiques  sur le niveau des élèves et la fuite des enseignants et enseignantes, les formations continues donnent la possibilité à chaque académie de fixer des objectifs. 

Ainsi pour l’académie de Bordeaux, trois axes principaux : 

- Repérer, accompagner, valoriser les équipes et les lieux de pratiques originales au service de la réussite des élèves ;
- Animer le réseau académique de l'innovation en éducation avec tous les partenaires concernés, notamment la recherche ;
- Faire le lien entre l'administration centrale et les équipes en établissement.

Pour l’ensemble du territoire, elle s’appuie sur un réseau de services et d’acteurs.

3-3- Les produits de l’industrie du numérique.

Étant donné les nombreux designs proposés par l’industrie, trois concernent principalement l’enseignement.

Le web est considéré souvent comme une ressource documentaire pour l’enseignant qui va y chercher de nouvelles informations et établir des connexions entre des contenus médiatiques dispersés. Pour l’acteur de terrain, il est aussi un vecteur de la mondialisation de l’éducation qui pourrait substituer l’idéologie d’une autorité supérieure à la rencontre de la pensée des autres.

Les plateformes sont des sites spécialisés tantôt d’information tantôt de formation continue.

L’agent logiciel comme agent « conversationnel » : Un chatbot dont ChatGPT fait partie.

4 - Des sciences de l’éducation à la science de l’éducation.

4 -1 Que remarque t-on sur cette offre de formation ? 

La première est universitaire. En couvrant l’ensemble des disciplines académiques de l’anthropologie aux sciences de l’ingénieur, elle permet  d’ analyser les situations et les contenus de l’enseignement, elle crée les conditions nécessaires pour avoir un regard critique sur le système mis en place et ses objectifs sociétaux. Elle est la base de toute formation pour saisir la complexité de l’enseignement en représentant la multiplicité des domaines scientifiques concernés que l’expression Sciences de l’éducation représente en dirigeant la recherche vers des disciplines scientifiques institutionnelles. 

La seconde est  administrative, en valorisant, en animant, en établissant des liens entre les différents niveaux du centre au local et en s’appuyant sur un réseaux d’institutions spécialisées.

La troisième est un appel à la consommation de produits industriels le plus souvent dépendant des technologies numériques. Elle est mondialisée dans le sens de « mondialisation du commerce », « mondialisation du marché ». Elle répond à des appels d’offre sous forme de promesses et de produits adaptés au désir de chacun en fonction des données que le producteur possède.

4-2 Jeunes et adultes porteurs de la mondialisation et «  globalization » des informations.

Ce n’est pas simplement, les élèves qui arrivent dans la classe avec tout ce que véhiculent les différents médias et leur environnement c’est aussi l’adulte. La mondialisation des informations qui dépendent du traitement des données et la globalisation des marchés et du commerce sont en permanence présentes comme des propositions qui définiraient la connaissance à transmettre. 

La rapidité du traitement des données et de la transmission des résultats, la commercialisation des produits ne peuvent qu’impacter les pratiques d’enseignement quand elles ont pour finalité de poser des objets de recherche centrés sur l’enseignement comme un apport à l’éducation. La nouvelle connaissance doit prendre sa place dans cet ensemble de convictions que les adultes et les jeunes ont dans une société médiatisée qui supprime le temps et l’espace. Bien que les opinions soient divergentes entre les générations, le cheminement des uns et des autres pour connaître la place de cette connaissance parmi toutes les informations qui la concernent est un travail intergénérationnel.

La finalité est la transformation de cette connaissance avec le débat collectif en « un bien », ressource cognitive, sociale et économique pour chaque scolaire. L’enseignement ne concerne pas simplement une connaissance disciplinaire, il est transmission d’une éducation au travail collectif, à la reconnaissance de l’autre, à la compréhension des connaissances disciplinaires parmi l’existence de multiples autres propositions.

Enseigner est un acte d’un adulte parmi des jeunes. Pour que la transmission d’une connaissance existe dans un environnement et prenne du sens, l’adulte  prend à tout moment des décisions, la régulation du groupe, l’ajustement de son savoir aux autres propositions, la réalisation groupale d’un produit. Ces produits sont le plus souvent des articles à diffuser, des créations artistiques, des réalisations vidéo sur une confrontation d’opinions à propos d’une connaissance scientifique.

L’objet de la recherche en éducation est la possibilité offerte à l’enseignant de rendre compte de toute cette activité professionnelle : Il n’est plus un objet d’étude, un administré, un consommateur des espaces numériques, il est l’acteur de la recherche en éducation.

Il s’inscrit dans la lignée de tous ceux et celles qui acteurs et actrices sur le terrain ont défini des finalités éducatives à l’enseignement. 

Que modifierait ce statut pour l’enseignant et l’enseignante ?

Conclusion :

Les sciences de l’éducation et la science de l’éducation. L'enseignant est un acteur de la sphère publique.

Nous retiendrons du contexte historique du 21ème siècle trois remarques.

5-1 Temps long de la transmission de la connaissance et temps court des modèles programmatiques.

Il introduit le temps comme élément de la réalisation de l’acte, temps du débat, temps des charges émotionnelles, temps de la documentation sur les sources des informations rapportées, temps de l’élaboration du savoir commun, temps de la production pour un public déterminé, tems des mises en commun avec les parentèles et les acteurs institutionnels. Ce temps long ne correspond ni au temps de la consommation de l’information dans la société numérique, ni à un impératif du design des emplois du temps administratif.

Les enseignants et les élèves deviennent acteurs d’un temps qui n’est pas celui des produits industriels de la société numérique, il est celui de la marche lente et souvent sinueuse et conflictuelle de l’acquisition d’une connaissance scientifique nouvelle. Les enseignants deviennent collectivement les responsables de la régulation de ce temps entre leurs différentes disciplines.

Ce collectif d’enseignants organise un temps scolaire que le design programmatique administratif doit prendre en compte. Il devient partie prenante de l’organisation d’une partie administrative de l’établissement scolaire et des décisions syndicales. Ce rappel du rôle des institutions  explique que souvent ceux qui ont laissé leur nom dans l’évolution de l’enseignement rencontrèrent des difficultés avec les administrations.

5-2 De la Charge psychique 

Dès que l’enseignant n’est plus dans une transmission verticale de la connaissance, la prise en compte des propositions de chaque approche et personnalité des jeunes est productrice de micro angoisse, micro plaisir, micro risque qui résultent des prises de décision.

La charge psychique déjà grande dans le rapport enseignés/enseignant, ne doit pas occulter que la mondialisation des informations autour de ces connaissances nécessite la consultation des réseaux de la société du numérique : ils font  partie  d’une société basée sur une économie de marché, “fabricatrice” d’objets injectés dans la sphère quotidienne de l’être humain pour permettre à ce dernier de réaliser ses désirs. 

Les objectifs de cette société de l’information, de l’immédiateté, de la suppression des espaces physiques géographiques, de la consommation de produits imprègnent la vie quotidienne des jeunes et des adultes. L’enseignant ne peut les ignorer, il se trouve confronté à des approches venues d’autres espaces que celles de la science.

Ces quelques indications qui sont un reflet incomplet du vécu quotidien soulignent l’importance de leur prise en compte dans la vie professionnelle de l’enseignant. Celle-ci nécessite des temps de régulation entre les enseignants eux-mêmes, moment collectif de mise en commun du vécu quotidien.

Ce budget-temps questionne pas une gestion administrative centralisée, il  déplace la décision politique pour « l’enseignement » du centre vers le local.  Cette régulation en les acteurs de terrain et le centre pourrait être un des objectifs de la mission du Conseil Académique en Recherche-Développement, Innovation et Expérimentation (CARDIE) « repérer, accompagner, valoriser les équipes et les lieux de pratiques originales au service de la réussite des élèves » ?

5-3 De la reconnaissance scientifique de l’enseignant et de l’enseignante,  acteurs de terrain.

Donner à l’acteur de terrain la possibilité de formaliser les éléments de sa culture et de sa personnalité qui lui ont permis des prises de décision au cours de son activité d’enseignant, c’est apporter à la science deux approches pour traiter de la question des relations entre la transmission des connaissances et l’éducation. 

La première porte sur le réinvestissement dans cette prise de décision des acquis proposés par les études scientifiques qui ont donné des éclairages sur le système de l’enseignement suivant des problématiques précises. C’est ainsi que la sociologie a parlé de la reproduction, la psychologie des aptitudes intellectuelles, les sciences mathématiques de la didactique…

La seconde porte sur les effets provoqués par des réactions individuelles ou collectives entraînant des actions qui échappent à la logique des études des sciences académiques et qui font partie de l’intuition. Il s’agit de rendre compte et de problématiser de ce qui fait l’échec ou la réussite dune prise de décision. Cet acte est la base d’un travail scientifique qui par sa créativité associe la pratique quotidienne à l’activité de la recherche en enseignement et en éducation.

Ces deux indicateurs peuvent rendre compte de la richesse produite par les acteurs de terrain à condition que, selon leur volonté, le système leur donne la possibilité de réaliser la transmission de leur expérience et de leur thèse sans être contraint à appliquer une des problématiques des sciences instituées. Tel fut le cas le plus souvent de ceux qui centrant leurs travaux sur la réalité éducative vécue en interrogeant leurs actions quotidiennes, ont fait évoluer la réflexion sur l’enseignement lié à l’éducation.

Il semble que les controverses entre ces deux types de formalisation de la recherche sur l’enseignement et l’éducation, les sciences de l’éducation et la science de l’éducation, peuvent être fructueuses pour répondre au défi posé par la mondialisation comme macrocosme sociétal. 

L’enseignant et l’enseignante sur le terrain sont des acteurs de l’évolution de la pensée scientifique et des acteurs non seulement en milieu scolaire mais aussi dans l’espace politique.

Pr. Alain Jeannel – Décembre 2023

Dernière modification le vendredi, 22 mars 2024
Jeannel Alain

Professeur honoraire de l'Université de Bordeaux. Producteur-réalisateur. Chercheur associé au Centre Régional Associé au Céreq intégré au Centre Emile Durkheim. Membre du Conseil d’Administration de l’An@é.