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L’efficacité du travail à la maison est relativement difficile à évaluer, d’autant que l’efficacité de ce travail dépend de plusieurs paramètres. Les quelques études sur le sujet ont montré que les devoirs ont clairement une efficacité dans le secondaire, même si leur efficacité au primaire semble marginale.
Mais les études récentes nous disent aussi que tous les devoirs ne sont pas égaux, de même que les méthodes de travail affiliées. C’est un fait que la simple répétition n’est pas la plus efficace, et que le contenu des devoirs ou les méthodes de révision ont une forte influence sur l’apprentissage. Concevoir des devoirs efficaces nécessite de connaître quelques méthodes, dont la plupart n’a été évaluée que récemment. En somme, cet article ne va pas mentionner de nouvelle méthodes extraordinaires, mais donner une synthèse des recommandations tirées des recherches récentes.

Le sur-apprentissage et la répétition de maintien

Pour beaucoup de professeurs traditionalistes, les devoirs sont une occasion de revoir ce qui a été vu la journée en classe : les devoirs demandent de relire des leçons, refaire des exercices, apprendre par cœur, etc. Cette répétition est appelée, en terme techniques, de la répétition de maintien, parce qu’elle consiste à revoir le matériel à apprendre à l’identique.

Cette répétition arrive relativement rapidement : les devoirs ont pour but un sur-apprentissage. Par sur-apprentissage, il faut comprendre continuer à réviser une fois que le matériel à apprendre est totalement su, poursuivre la répétition du matériel même une fois que celui-ci est totalement maîtrisé, travailler au-delà du point de maîtrise afin de soit-disant améliorer la mémorisation et la rétention du matériel.

Des pédagogies plus récentes, comme la pédagogie explicite, reprennent cette vision des devoirs, et conservent cette vision des devoirs comme une occasion de répétition comme une autre. Par exemple, on peut lire, sur le site Formapex, dédié à la pédagogie explicite :

En enseignement explicite, les devoirs à la maison servent simplement à renforcer une pratique afin de parvenir au sur-apprentissage, et sont donc un prolongement de la pratique autonome.

Mais est-ce que cette vision des devoirs est la bonne ? Expérimentalement, ce sur-apprentissage a été évalué de nombreuses fois, dans diverses circonstances. Mais les intervalles entre le sur-apprentissage et le rappel étaient très courts (quelques minutes, quelques heures, quelques jours) : ces études n’évaluaient pas l’efficacité à long terme du sur-apprentissage.

Les rares études sur le long terme ont clairement montré que les effets s’estompaient très rapidement après quelques jours, et qu’on ne trouve aucune différence avec ou sans sur-apprentissage après quelques semaines.

Par exemple, une étude nommée "The Effect of Overlearning on Long-Term Retention" a demandé à des étudiants de retenir des faits géographiques et des définitions de mots. Les étudiants qui avaient sur-appris retenaient mieux, mais les effets s’estompaient assez rapidement, quelques semaines plus tard.

Distribuer

Le principal problème avec ce sur-apprentissage, c’est qu’il mène obligatoirement à des révisions massées, qui forcent à savoir réviser durant de longues périodes de temps. Si l’on veut sur-apprendre, il faut donc atteindre le point de maîtrise, où les connaissances sont sues à 100%, et continuer à réviser au-delà. Cela demande de travailler sur de longues durées, et sur des intervalles de temps relativement importants. Cette forme d’apprentissage est appelée l’apprentissage massé.

Cet apprentissage massé dans le temps est à contraster avec l’apprentissage distribué, qui consiste à étaler les révisions dans le temps, à découper le travail en petits morceaux séparés par des intervalles de temps assez longs, faire de nombreuses pauses assez longues entre chaque répétitions.

Expérimentalement, on constate que l’apprentissage distribué démonte littéralement l’apprentissage massé, quelque soit la situation d’apprentissage ou le matériel à apprendre. Cette supériorité de la distribution sur l’apprentissage massé s’appelle le spacing effect, et a été démontré par une quantité absolument incroyable d’études.

Par exemple, on peut citer l’étude nommée "The Effects of Overlearning and Distributed Practise on the Retention of Mathematics Knowledge". Cette étude montre clairement que le sur-apprentissage n’a pas d’effets à long terme pour l’apprentissage d’exercices mathématiques, ce qui est à contraster avec la bonne efficacité de l’apprentissage distribué.

Les études sur le sujet ont aussi montré que cet effet vaut pour une large gamme de matériel : les faits ne sont pas les seuls concernés. Cela marche aussi pour la révision de cours magistraux, l’apprentissage par cœur, l’acquisition de procédures, voire même l’apprentissage d’automatismes moteurs ou cognitifs.

Un élève aura donc tout intérêt à répartir ses devoirs sur la semaine de façon à en faire un petit peu à chaque fois. De même, faire de longues pauses tout les deux-trois exercices aidera fortement l’élève. De même, les professeurs gagnent à étaler les devoirs et distribuer les révisions : un bon professeur donne fréquemment des devoirs, mais en donne peu à chaque fois. De ce point de vue, les statistiques montrent clairement qu’il y a du chemin à faire : les élèves ont souvent tendance à utiliser l’apprentissage massé et les révisions basées sur la répétition de maintien.

L’intervalle de temps idéal entre deux répétitions n’est pas encore connu avec certitude. Les chercheurs recommandent toutefois des intervalles très longs, de plusieurs jours. Des intervalles de 4 à 5 jours donneraient de bonnes performances, même si les chercheurs s’autorisent à penser à des intervalles plus longs pour certains types de matériel ou pour des durées de rétention plus longues.

Distribuer de manière à voir des choses anciennes, que l’on pas vues depuis longtemps, est clairement préférable. On est donc bien loin d’un sur-apprentissage, qui force les élèves à revoir ce qu’ils ont vu le jour même.

De plus, les chercheurs recommandent aussi l’usage d’une micro-distribution, à savoir faire des pauses de quelques minutes entre chaque exercice. Encore une fois, on est clairement à l’opposé du sur-apprentissage.

En somme, le sur-apprentissage a de fortes chances d’être totalement inutile : il ne permet pas d’ancrer les connaissances en mémoire à long terme, contrairement à ce qui est affirmé par les créateurs de la pédagogie explicite.

Élaborer

Si le sur-apprentissage et l’apprentissage massé sont fortement critiqués, la nature des devoirs l’est encore plus. Les devoirs ne devraient en effet pas servir à revoir ce qui a été vu en cours, à la consolider : ils ne devraient pas faire de la répétition de maintien.

Les recherches sur le fonctionnement de la mémoire ont clairement montré la relative inefficacité de la répétition de maintien pour la mémorisation, comparé à une autre forme de répétition. Deux raisons à cela : la répétition de maintien à tendance à saturer la mémoire de travail, la fameuse mémoire à court terme capable de retenir 7 +/- 2 élèments. Vu que cette mémoire à court terme est un passage obligé avec la mémorisation à long terme, on comprend pourquoi cette répétition demaintien est inefficace. 

Ensuite, la répétition de maintien ne permet pas un bon enregistrement de l’information en mémoire : elle ne permet pas un traitement profond du matériel. Sur le sujet, on peut notamment citer les recherches de Craik et Lockart sur la profondeur de traitement (level-of-processing effect).

Le prolongement de ces recherches (les recherches sur les réseaux sémantiques ou les indices de récupération) nous dit que la mémoire explicite est intégralement constituée d’un réseau de concepts, reliés entre eux par des associations (on parle aussi de réseau sémantique). Le processus de rappel dans cette mémoire consiste tout simplement en une recherche du matériel par voyage de proche en proche dans ce réseau.

La répétition peut renforcer ou affaiblir certaines connections dans ce réseau, donnant lieu à une meilleure accessibilité lors de la recherche. Mais elle a un effet nettement moindre comparé à la façon dont sont connectées les connaissances. C’est aussi pour cela que l’on retient nettement mieux ce que l’on a compris ou qui a été relié avec des connaissances antérieures. Autre exemple : on se rappelle facilement des concepts qui ont un grand nombre de voisins dans ce réseau, le grand nombre de routes, d’associations, qui mènent à ces concepts rendant ceux-ci plus accessibles.

Si l’on veut mémoriser, on doit augmenter le nombre de liaisons, de points d’accès vers le concept à apprendre. Pour cela, les recherches de Craik et Lockhart recommandent d’utiliser la répétition d’élaboration, à savoir : ajouter des associations et des liens à chaque révision du matériel à apprendre, ré-organiser le matériel à réviser, et le relier à des connaissances antérieures.

A ce petit jeu, les devoirs un peu plus actifs demandent souvent l’élève de réfléchir, voire de générer quelque chose à partir de connaissances antérieures, permettant ainsi de créer de nouvelles connections dans ce réseau. Ainsi, les études de 2003 et 2007 du Conseil canadien sur l’apprentissage ont clairement montré que les devoirs basés sur du par cœur ou de la répétition de maintien ont une efficacité inférieure aux devoirs demandant d’être actif.

Se rappeler

Si l’on veut apprendre, il faut donc absolument ré-organiser et reconnecter les informations en mémoire, afin de favoriser un rappel optimal des informations. Quelques études récentes, faites par Karpicke et ses collégues, montrent que la manière la plus simple est...de se rappeler : plus on se rappelle de quelque chose, plus on l’élabore inconsciemment.

Cela donne un conseil aux élèves : utiliser la répétition de rappel. Et niveau efficacité, il est clairement constaté expérimentalement que cette forme de répétition est une véritable arme de mémorisation massive.

Cette répétition de rappel peut s’implémenter avec des flashcards, des cartes sur lesquelles on marque une question d’un côté de la carte, et la réponse à mémoriser de l’autre côté. Le but est, à chaque lecture de la carte, de regarder la question, de tenter d’y répondre sans aide, avant de retourner la carte pour voir si la réponse donnée est correcte. Cette forme de répétition de rappel est très efficace pour mémoriser des dates, des formules de mathématique ou de physique, des listes de vocabulaire, etc.

Autre méthode : demander à l’élève de ré-expliquer le cours avec ses propres mots. Celui-ci doit donc tenter de prendre la place du professeur, et de faire comme s’il souhaitait enseigner le cours qu’il a reçu. Pour cela, on peut notamment utiliser la technique du canard en plastique : on prend un objet quelconque (typiquement, un canard en plastique), et on fait comme s’il s’agissait d’un humain à qui on souhaiterait ré-expliquer son cours.

Autre méthode : les élèves doivent se tester de manière autonome, tenter de se rappeler par eux-même certains points du cours, se faire tester par des amis, etc.

Ce principe semble rentre en conflit avec la distribution de l’apprentissage : pour se rappeler de quelque chose, il vaut mieux s’en rappeler rapidement vu que l’oubli intervient très rapidement. Mais ces deux solutions sont nettement plus compatibles que ne le sont le sur-apprentissage et la distribution. La solution est de commencer par distribuer avec des intervalles très courts : quelques secondes, voire quelques minutes, avant d’augmenter progressivement les intervalles entre deux rappels.

Générer

Mais il existe d’autres formes de répétition d’élaboration, les plus évoluées, qui se basent sur l’effet de génération : générer soit-même le matériel à apprendre permet de ré-organiser les connaissances en mémoire, et permet donc de mieux mémoriser. Ces méthodes sont relativement anciennes et bien connues.

Par exemple, visualiser mentalement le concept à apprendre donne quelques résultats. De nombreux procédés mnémotechniques de l’antiquité se basaient sur ce principe : la méthode des lieux en est un bon exemple. Cette imagerie mentale a été testée expérimentalement, et semble fonctionner :

  • l’étude de Leutner, Leopold, and Sumfleth (2009) a clairement montré que cette visualisation mentale permettait de diminuer la charge cognitive lors de l’apprentissage, comparé à la création manuelle de dessins.

  • l’étude de Leutner et al. (2009) a aussi montré que cette imagerie mentale a des effets positifs pour la compréhension.

Malheureusement, cette imagerie demande de l’entraînement, et ne s’applique que pour une quantité limitée de matériel.

Comme autre exemple un peu plus utile, créer des résumés du cours demande de sélectionner les informations du cours et de les traiter, ce qui permet de créer des associations. De plus, cela permet d’extraire les idées générales du cours, ce qui permet une réorganisation efficace du matériel en mémoire. Cependant, l’efficacité de cette technique dépend de la capacité de l’élève à créer ce résumé. Créer efficacement des résumés demande d’utiliser quelques stratégies, qui ne sont pas forcément bien connues des élèves. Mais pour les élèves bons en création de résumé, cette technique est à utiliser dès que possible.

La création de cartes mentales à partir du cours est légèrement reliée à cette technique de résumés. L’effet est d’ailleurs maximal si l’élève crée lui-même la carte mentale.

Autre méthode : pour chaque fait présent dans le cours, tenter d’en donner une explication. Cette technique qui consiste à poser des questions du style « pourquoi », pour chaque fait du cours, aurait une efficacité qui ne serait pas négligeable. Il est évident que cette méthode a cependant une efficacité limitée : elle ne marche que pour mémoriser des faits relativement simples, que l’on peut réussir à expliquer par soit-même.

Dans tous les exemples précédents, l’élève doit générer quelque chose : une image mentale, un résumé, une carte mentale, une explication, etc. Cependant, cette génération du matériel à apprendre ne marche pas avec la même efficacité sur tous les élèves : les élèves avec de bonnes connaissances antérieures sont clairement avantagés. Des recherches faites sur le sujet, dont certaines font partie de la théorie de la charge cognitive, ont clairement montré que la quantité de connaissances antérieures, et la familiarité avec le matériel à générer jouait beaucoup sur l’efficacité de cette technique.

Conclusion

Ce que l’on vient de voir doit être pris comme un ensemble de conseils donnés au professeurs et aux élèves pour déterminer quels sont les devoirs et méthodes de révisions efficaces. Pas de recettes miracles donc, mais un aperçu de ce qui peut marcher.

Pour ceux qui veulent en savoir plus, avoir quelques références bibliographiques, et savoir quelles sont les études derrière ces méthodes, je recommande la lecture du document nommé « Improving Students’ Learning With Effective Learning Techniques : Promising Directions From Cognitive and Educational Psychology ». Dernière modification le mercredi, 22 octobre 2014
Grave Guy

Etudiant en informatique. 
Rédacteur de nombreux tutoriels sur Openclassrooms, et sur progdupeu.pl, j’ai été amené à m’intéresser à la pédagogie et notamment à l’apprentissage multimédia. En conséquence, j’ai fini par me former à des techniques pédagogiques basées sur la psychologie cognitive, et notamment à la théorie de la charge cognitive. Je compte faire connaitre ces pédagogies à un maximum de professeurs, histoire de les aider dans leur travail quotidien.