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Peu de citoyens et peu d’enseignants contestent complètement et fondamentalement la charte de la laïcité promulguée par Vincent Peillon et désormais affichée sur tous les murs des écoles.
Comme l’explique la Ligue de l’Enseignement dans un communiqué : « Alors que les passions et les calculs tendent à investir le débat permanent légitime et nécessaire sur la laïcité, un texte d’une certaine solennité s’imposait. On y retrouve les grands principes inscrits dans la Constitution et dans la loi. République indivisible, laïque et sociale, la France assure la liberté de conscience de tous et de chacun. La Charte développe en dix points précis comment cette liberté de conscience se déploie dans le temps et l’espace scolaire. Fondée sur des positions fermes et dynamiques, elle ne sombre ni dans l’incantation ni dans l’interdit et rejoint l’ambition d’une Ecole bienveillante et inclusive pour toutes et tous. »
 
 
Le problème n’est donc plus sur les murs mais dans les classes. On sait à l’Education Nationale, qu’entre les murs et la classe, il y a toujours des fossés. L’affichage obligatoire de documents divers relève souvent bien davantage du formalisme que de la conviction. On sait que bien des textes (règlement, déclaration des droits de l’homme, emploi du temps, liste des récitations, etc) sont placardés soit par conformisme soit pour répondre aux exigences de l’inspecteur qui passe tous les 3 ou 4 ans.
 
 
Il en sera de même pour la charte si l’on ne préoccupe pas de son application dans la vie de l’école et de la classe. Or, ce n’est pas si simple que ce que l’on peut imaginer dans les cabinets.La mise en œuvre exige une ambition clairement formulée au niveau des finalités redéfinies, au niveau des programmes et de leur cohérence avec les finalités, au niveau des pratiques pédagogiques. D’une manière générale, elle doit conduire à des transformations des pratiques, à une mobilisation collective des équipes, à une harmonisation des règles qui régissent les rapports entre l’enseignant et les élèves. Dans de nombreuses situations, notamment quand la persistance de vieilles pratiques ne laisse pas de place à l’élève, obéissant ou ailleurs, elle ne sera que lettre morte, une affiche de plus.
 
 
On ne pourra aller au-delà de l’affichage et de l’apparence que lorsque finalités et programmes seront redéfinis. On ne peut guère parler de refondation tant que cela ne sera pas fait. Ce n’est pas les 45 minutes de réduction de la journée, sans rien changer autour, qui refondent l’école. Et il est évident que cela nécessitera une réforme de la formation plutôt que la reconduction des protocoles habituels et un accompagnement, bienveillant et non coercitif, des enseignants dans leurs évolutions.
 
 
Pour l’heure, rien ne change dans les classes. La priorité reste à la paperasse et non à la pédagogie. Je connais bien des circonscriptions où le formatage de la hiérarchie par Darcos, Blanquer et compagnie, interdit toujours de penser et de donner du temps à la pédagogie. Je continue à recevoir des témoignages de toute la France et des DOM. Dans telle circonscription : 20 pages pour une note de service « cordiale » de rentrée, les mêmes que les années précédentes, encore un peu alourdies, l’obligation d’envoyer à l’inspection les emplois du temps/papier ( !) pour demain, 3 heures de réunion pour la paperasse. Les enseignants habitués, résignés ou résistants passifs, finissent par écrire n’importe quoi pour faire plaisir ou pour obéir. Pour la refondation, la pédagogie et la laïcité, on verra ça plus tard ou jamais.
 
 
La charte est à des années lumière de la continuité imposée par les hiérarchies intermédiaires qui ne parviennent que rarement à se débarrasser des conceptions des ministères précédents, même si elles font plaisir à Vincent Peillon en l’applaudissant à la Sorbonne, comme elles l’avaient fait pour Darcos et Chatel.
 
 
Vive la vraie refondation de demain avec une charte de la laïcité qui descendra des murs pour irriguer les pratiques.
Dernière modification le jeudi, 13 novembre 2014
Frackowiak Pierre

Inspecteur honoraire de l’Education nationale. Vice-président de la Ligue de l’Enseignement 62. Co-auteur avec Philippe Meirieu de "L’éducation peut-elle être encore au cœur d’un projet de société ?". Editions de l’Aube. 2008. Réédition en format de poche, 2009. Auteur de "Pour une école du futur. Du neuf et du courage." Préface de Philippe Meirieu. La Chronique Sociale. 2009. Auteur de "La place de l’élève à l’école". La Chronique Sociale. Lyon. Auteur de tribunes, analyses, sur les sites educavox, meirieu.com. Prochainement, une BD avec les dessins de J.Risso :"L"école, en rire, en pleurer, en rêver". Préface de A. Giordan. Postface de Ph. Meirieu. Chronique Sociale. 2012.