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Il fut un temps ou les culture étaient séparées par classes sociales et se mélangeaient très peu. Le développement de l’information d’abord puis de la communication au cours des deux derniers siècles ont transformé cet équilibre pluri séculaire.

Le numérique, force d’intégration et de convergence de techniques variées d’abord concurrentes puis rassemblées, apporte aujourd’hui une recomposition du paysage qui est la base d’une prise de conscience collective (cf. Mon dernier billet).
La révolution française à la suite du siècle des lumières à pose les bases de ce développement s’appuyant en particulier sur deux notions : la citoyenneté et l’instruction.

 

Le développement rapide d’une presse populaire jusqu’à l’arrivée de la radio puis de la télévision a permis dans un premier temps de métissage  : les classes dominantes ont autorisé l’information des classes soumises. Pour ce faire elles se sont emparées du pouvoir de diffusion contenu dans ces moyens techniques. En faisant cela elles ont renforcé l’image de leur domination en permettant la visibilité d’une culture de l’élite bien différente de celle du peuple. L’école a servi de médiateur en rendant supportable cet écart puisqu’on pouvait accéder, grâce à elle, à cette culture des gens du pouvoir (le terme pouvoir est pris au sens large recouvrant l’ensemble des classes dominantes de la société).


La presse populaire, la radio puis la télévision vont creuser ce sillon. En renforçant l’information de l’ensemble de la population il s’est agit de la contenir afin qu’elle accepte les messages des dominants. Si la presse écrite à rarement été mise en danger de concurrence il n’en a pas été de même avec la radio, en particulier quand les radios libres se sont développées (l’auteur de ces lignes à participé à l’une de ces aventures avec radio Bri Vigoudenn en 1981). La réaction des dominants à été suffisamment habile pour maintenir le cap. Les radios libres sont rentrées dans le rang et se sont situées dans le paysage une fois qu’elles ont échangé cette liberté contre le droit d’émettre dans un cadre contrôlé.


La télévision, plus difficile à mettre en œuvre n’a pas connu ce phénomène, même si des tentatives ont eu lieu. Mais vite contenues dans le cadre initié pour les radios, cela n’est pas allé plus loin que la multiplication des chaînes privées à l’instar du modèle nord américain. Mais ce qui pose question avec la télévision c’est justement la question culturelle. À la domination de la culture classique s’est progressivement substituée la domination de la culture de la consommation. Cette forme culturelle s’est propagé dans l’ensemble des médias sous la forme magique du terme « audimat ».

À partir de ce renversement il s’agit d’organiser les médias sur la base de la rentabilité commerciale pure, c’est à dire dans une logique qui fixe le contenu en fonction de l’équilibre de vie que l’on développe dans la société. L’augmentation des temps de loisirs avec la diminution du temps de travail à été compensée par une augmentation de la productivité et donc de la fatigue et du stress au travail, encourage par la précarisation et le chômage structurel. Les médias audiovisuels de masse ont donc eu un rôle de sas de décompression et non pas de dynamiseur des consciences et des cultures. On pourra trouver facilement des chaînes et des émissions alibis qui justifient les autres formes dites bizarrement populaire. Populaire signifiant non pas issu du peuple, mais bon pour le peuple…

 

L’émergence récente du web à semé la panique dans tous les systèmes de domination établis. Double choc : celui de la liberté et celui du libéralisme. Internet ouvre des portes jusque la tenues par les dominants : information, savoirs etc… Il est donc libérateur potentiellement, mais surtout il permet une remise en cause des pouvoirs établis par l’accès à l’information accompagné de la possibilité de la traiter et de la diffuser : en d’autres termes la communication à bousculé l’information. En ouvrant ces portes, internet a été repéré par les dominants comme le vecteur du libéralisme individualiste cher aux penseurs nord américains du 19ème et 20ème siècle. Grâce à Internet, chacun peut se réaliser sans se soucier de sa position sociale. Derrière l’écran la plage !!! Cette option montre bien comment les dominants tentent de contenir la population en utilisant, par exemple, les sagas individuelles amenant à des réussites désormais planétaires…

 

Malgré ces évolutions, il y a un élément essentiel qui n’est pas immédiatement pris en compte mais qui émerge en ce moment, c’est l’inversion culturelle. En d’autre termes, malgré toutes les tentatives pour contenir l’émergence d’une culture transformée par le numérique, celle-ci se déploie et les changements d’attitude des dominants sont de plus en plus visibles : faute d’avoir pu résister, il faut accompagner le métissage, c’est à dire l’identifier pour en contrôler les évolutions. Nombre de débats et rapports récents en attestent.

 

Le numérique est en train tenter de rebattre les cartes et il inquiète les classes dominantes… Alors elles cherchent à le contrôler. Comment citoyenneté et instruction continuent d’être au service de la domination…. Est la question centrale posée aux dominants. D’une part les découpages culturels classiques se sont effondrés (on pourra lire à ce sujet aussi bien Dominique Pasquier que Bernard Lahire ou encore Olivier Donnât et Sylvie Octobre ou Monique Dagnaud), d’autre part le monde scolaire est écartelé entre sa mission première pour tous et la réalité de sa marginalisation dans les débats éducatifs qui remplacent progressivement les débats sur l’instruction.


Quelle citoyenneté développer dans un tel univers qui a comme spécificité de rendre poreuses de nombreuses frontières ? Citoyens du monde, désormais présent qui s’oppose à la citoyenneté nationale ; d’autant plus que les dominants ont tendance à instrumentalisme l’international dans leurs argumentaires selon les causes. On peut penser que la citoyenneté passe désormais par un travail important sur les identités culturelles numériques. Cette notion encore complexe à identifier est pourtant celle au semble prendre le pas sur les modes traditionnels d’appartenance. La citoyenneté de la révolution à perdu de son sens à la fin du XXème siècle, il est nécessaire de repenser une nouvelle idée de la citoyenneté à l’ère du numérique


Quand a l’instruction, elle est passée progressivement d’une position de domination absolue à une relativisation grandissante de son impact et de son efficacité sociale. Les dominants ne s’y sont pas trompés en fustigeant l’école par l’intermédiaire de ses plumes autorisées tout en encourageant simultanément la concurrence de nouvelles modalités de scolarisation (le rapport de JM Fourgous est éloquent à ce sujet). L’ambivalence des pouvoirs en place à l’égard du numérique disqualifie progressivement l’institution scolaire des deux côtés. Les modes de vie du quotidien ont consacré la place du numérique devenu fait social total, mais surtout base d’un fait culturel nouveau qui concerne aussi bien les adultes que les jeunes (il suffit de regarder les adultes et leurs attitudes au lieu de fustiger simplement celles des jeunes…)

 

Le métissage culturel, la culture pluriel est un fait de société lié, au moins partiellement, au développement des TIC au cours des cinquante dernières années, mais issu d’une évolution plus ancienne. Aujourd’hui il est nécessaire de travailler plus fondamentalement au lieu de tenter de replâtrer les brèches ouvertes dans les pouvoirs et les dominations en place. D’autant plus que certains seraient prompts à abandonner les idéaux de 1789 et la générosité sociale qui est la marque de la culture française au profit de la seule domination de la richesse, abandonnant le partage de la richesse culturelle pour générer de nouvelles formes de classes sociales.


Il est désormais indispensable que chacun sache se situer dans un univers numérique, s’y développer, collaborer, apprendre… En d’autres termes le monde de l’instruction doit remettre à plat son modèle et ses formes scolaires pour tenter de construire un nouveau modèle qui sache prendre en compte les porosités nouvelles et l’indispensable éducation à l’autodidaxie, clef de la réussite de chacun dans les années à venir… Autodidacte ne signifiant pas ici isolement, individualisation, mais responsabilisation dans la gestion de son propre parcours au sein d’un univers complexe et instable…

 

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Devauchelle B

Chargé de mission TICE à l’université catholique de Lyon et professeur associé à l’université de Poitiers, département IME.