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La nouvelle réforme de l'apprentissage réussira-t-elle, alors qu'une quinzaine d'autres l'ayant précédé depuis 40 ans ont en grande partie échoué ? Au début des années 1960, la France comptait 350.000 jeunes entrés dans les divers cycles de formation professionnelle par l'apprentissage.

En 1975, ces effectifs s'étaient effondrés de plus de moitié : ils n'étaient plus que 154.000 dans ce cas. Grâce à une série de mesures prises tout au long des années 1977/2010, la courbe se redressa : 293.000 apprentis furent recensés en 1996, 380.000 en 2000, 410000 en 2017(1)

Mais on est encore loin de l'objectif qui est d'atteindre le chiffre d'au moins 500000 . Aujourd'hui, les 420000 apprentis ne représentent que 7% des jeunes âgés de 16 à 25 ans en France, alors que la moyenne européenne est de 16%.´

On ne peut donc nier qu'il y a eu reprise, après une longue période de dégradation, mais qu'on est encore loin des objectifs affichés à l'occasion de chaque réforme de l'apprentissage. Alors, qu'en sera-t-il de la dernière en date de ces réformes, celle dont le projet a été officiellement présenté le 9 février 2018 par le Premier Ministre, et que l'Assemblée nationale a adopté le 1er août 2018 sous le nom très prometteur de "Loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel", qui doit entrer en application le 1er janvier 2019 ? Réussira-t-on là où près d'une quinzaine d'autres réformes du même type ont échoué ces quarante dernières années ?

1.Qu'est-ce que l'apprentissage ?

Il est fréquent qu'il y ait confusion entre les mots "apprentissage" et "alternance". Or, ce sont deux réalités qu'il convient de distinguer, bien que leurs points communs soient nombreux.

"Alternance" est un terme générique qui renvoie à deux types de contrats : le contrat d'apprentissage (celui qui fait l'objet de cet article), et le contrat de professionnalisation.

Ils se distinguent par plusieurs traits caractéristiques, parmi lesquels le fait que le contrat d'apprentissage concerne essentiellement des préparations de diplômés d'Etat (CAP, baccalauréat professionnel. BTS, DUT, diplôme des métiers d'art, DCG, DSCG, licences professionnelles, master peofessionnels...), tandis que le contrat de professionnalisation concerne essentiellement (mais pas uniquement) ce qu'il est convenu d'appeler des "formations qualifiantes", à l'issue desquelles il peut être délivré un titre ou diplôme élaboré par les branches professionnelles, reconnu dans la mesure où ils font l'objet d'une inscription au RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles). Ajoutons d'autres différences comme le temps de présence chez l'employeur (nettement plus important dans le cas des contrats de professionnalisation), et la rémunération (un peu moindre avec le contrat d'apprentissage), ainsi que divers autres points.

De ce fait, toute réflexion qui se limiterait au seul champ de l'apprentissage serait partielle. Nous nous efforcerons de ne pas oublier cela dans les lignes qui suivent.

2. Un bilan statistique contrasté :

Il convient de regarder et interpréter les statistiques relatives au nombre de contrats d'apprentissage signés chaque année, en distinguant dans l'ensemble ce qui relève de l'apprentissage de niveaux V (CAP, BEP et équivalents) et IV (baccalauréat professionnel et équivalents), et les chiffres concernant les niveaux III (BTS, DUT, DCG, DMA, licences professionnelles, bachelors et équivalents), II (masters, diplômes de grandes écoles, DSGC...) et I (doctorats, diplôme d'expert comptable, d'avocat et autres diplômes ou titres sanctionnant une sortie réussie d'un troisième cycle d'études supérieures professionnelles).

A cet égard, il est frappant de constater la hausse significative de l'apprentissage de niveau supérieur, tranchant d'avec la stagnation qui prévaut au niveau secondaire (niveaux V et IV) : de 2010 à 2017, la part des apprentis qui préparent un diplôme de l'enseignement supérieur est passée de 30% à 36%, tandis que ceux qui visent un diplôme de niveau enseignement secondaire ont vu leur part diminuer de 68% à 61%.

Ainsi, l'apprentissage a de plus en plus de mal à attirer des jeunes issus du collège, mais progresse significativement en ce qui concerne la préparation de diplômes de l'enseignement supérieur. Cette double évolution "en ciseaux" s'inscrit dans une tendance observable à long terme puisque commencée il y a une vingtaine d'années. Alors qu'historiquement, l'apprentissage n'a quasiment concerné que les préparations à des diplômes de l'enseignement professionnel secondaire (préparations des CAP/BEP, du bac professionnel à partir de la deuxième moitié des années 1980), il s'est progressivement ouvert à la préparation de diplômes de l'enseignement supérieur professionnel à compter de la fin des années 1980. Il en résulte que si les effectifs globaux des apprentis ont crû entre 1985 et 2017, c'est grâce à la locomotive "enseignement supérieur", car en ce qui concerne le niveau secondaire, on a assisté à une continuation du déclin.

Il convient en outre de prendre en considération les chiffres concernant les contrats de professionnalisation, cette autre façon de former par l'alternance. Or, durant la période 2005/2017, alors que le nombre des contrats d'apprentissage stagnait autour de 280.000, celui concernant les contrats de professionnalisation des jeunes de moins de 26 ans passait de 81000 à près de 150000, soit une impressionnante croissance de près de 90 %. Le contraste est très frappant, même s'il est très largement dû au secteur des études supérieures professionnelles, un secteur dans lequel le contrat d'apprentissage a également progressé.

3. Pourquoi, en France, l'apprentissage de niveaux V et IV a -t-il tant de mal à décoller ?

Depuis un bon demi siècle, d'augustes analystes se penchent fréquemment sur le malade et mettent en lumière certains symptômes, parmi lesquels la mauvaise image de l'enseignement professionnel secondaire pèse d'un poids considérable, mais est loin d'être le facteur explicatif unique.

En France, l'enseignement professionnel secondaire a de longue date une mauvaise image auprès des familles dont les enfants sont scolarisés en classe de troisième. Lorsque vient le moment pour elles d'exprimer leurs voeux d'orientation, elles ne sont que 12% à demander une seconde professionnelle ou une première année de CAP en premier vœu. Or, on constate que chaque année, près de 35% des élèves de troisième sont orientés vers la voie professionnelle. Pour les deux tiers d'entre eux, c'est donc une orientation par défaut. C'est hélas très logique puisque nous avons une insupportable tendance à utiliser la voie professionnelle secondaire comme une voie de relégation pour élèves jugés inaptes à l'admission en seconde générale et technologique.

On ne le dira jamais assez : tant qu'on n'introduira pas en collège un enseignement significativement lourd de technologie obligatoire pour tous, permettant entre autres choses d'améliorer l'image des professions et de la voie professionnelle secondaire, on ne progressera pas. Or, a l'évidence, l'alternance en général, l'apprentissage en particulier, sont victimes de cette mauvaise image.

Les professeurs de collège ont leur part de responsabilité. Ce sont eux quî, lors des conseils de classe de fin d'année de troisième, font par leurs décisions que tant d'élèves sont orientés par défaut vers la voie professionnelle secondaire. Or, du fait de la quasi absence d'enseignements de nature technologique en collège, les décisions d'orientation sont prises par des enseignants qui sont tous ou presque formatés par le moule de l'enseignement général. Il est donc logique qu'ils raisonnent d'abord par rapport à l'aptitude de leurs élèves à réussir dans les enseignements généraux.

Il y a indéniablement en cela un effet de déformation du regard diagnostique porté vers les élèves, qui ne joue bien évidemment pas en faveur d'une image positive de la voie professionnelle. Encore une fois, la présence d'enseignants de technologie dans les conseils de classe de fin de troisième (ce qui serait le cas si on introduisait un enseignement obligatoire de technologie dans les programmes du collège), serait de nature à revaloriser l'image de la voie professionnelle en général, de l'apprentissage en particulier.

Il est une autre cause de la crise de l'apprentissage qui tient au fait que, contrairement à ce que l'on observe dans plusieurs autres pays, les responsables d'entreprises françaises se montrent majoritairement réservés, et pour certains franchement hostiles à l'idée d'embaucher un apprenti. Ils ne nient certes pas les vertus de cette façon de former les jeunes, mais en dénoncent fréquemment les lourdeurs administratives, le coût... ayant du mal à privilégier les avantages globaux et à long terme, par rapport aux inconvénients locaux et à court terme. Ajoutons que le fait que l'apprentissage soit principalement piloté par les organisations administratives (État, régions), les organisations professionnelles étant la seconde roue du carrosse, ne joue pas en faveur d'un large esprit d'ouverture des employeurs dans ce domaine.

4. Les contenus de la "loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel" :

Vingt mesures ont été présentées : dix sont en faveur des jeunes et visent à les encourager à s'engager sur la voie de l'apprentissage; dix autres sont destinées aux employeurs dans le but de les voir s'engager plus fortement en faveur de cette voie de formation professionnelle.

10 mesures pour les jeunes :

. Augmentation de 30 euros par mois de la rémunération des apprentis.

. Aide forfaitaire de 500 euros pour passer le permis de conduire.

. En cas de rupture du contrat d'apprentissage en cours d'année, le jeune aura le droit de prolonger pendant six mois sa formation au sein du CFA qui recevra pour cela un financement dédié, sauf dans le cas où il y a décision d'exclusion du CFA.

. Il sera créé au sein des CFA des classes "prépas-apprentissage" d'une durée d'environ deux mois, au profit des jeunes qui souhaitent s'orienter vers l'apprentissage, mais ont auparavant besoin d'acquérir diverses connaissances et compétences requises.

. On améliorera le dispositif d'information sur la qualité des formations en apprentissage, notamment en rendant publiques les informations sur les taux d'insertion dans l'emploi a l'issue de la formation, ainsi que les taux de réussite des apprentis aux examens finaux.

. Plusieurs journées d'information sur les métiers et les filières de formation professionnelle seront proposées en classes de 4e, 3e, seconde et première. Ces journées seront organisées en partenariat étroit entre les responsables des établissements scolaires, des représentants des régions et du monde professionnel.

. L'apprentissage sera ouvert aux jeunes jusqu'à trente ans, au lieu de 26 ans aujourd'hui.

. Le système de financement de l'apprentissage sera revu de façon à ce que chaque contrat offre la garantie d'être financé.

. On favorisera et développera les "campus des métiers", au sein desquels des parcours diversifiés (formations professionnelles par l'apprentissage ou sous statut scolaire ou étudiant) pourront être proposés aux jeunes.

. On offrira à 15000 jeunes chaque année, la possibilité de bénéficier du programme "Erasmus de l'apprentissage" permettant de bénéficier d'un semestre de formation intégrée dans leur cursus, dans un autre pays d'Europe.

10 mesures pour les entreprises :

. Les référentiels d'activité et de compétences des diplômes et titres seront rédigés par les professionnels de branche. Les référentiels de formation ainsi que les règlements d'examen seront co-décidés entre les branches professionnelles et l'Etat. Ceci dans le but de mieux correspondre aux besoins des employeurs.

. Les diverses aides à l'embauche seront unifiées et ciblées sur les entreprises de moins de 250 salariés (TPE et PME),et sur les niveaux bac et pré bac.

. Le passage obligatoire devant les prud'hommes pour rompre le contrat d'apprentissage au delà de 45 jours est supprimé.

. Le temps de travail maximum sera porté à 40 heures par semaine (au delà de 35 heures, elles seront payées en heures supplémentaires).

. On simplifiera drastiquement les formalités administratives liées à l'embauche d'un jeune en apprentissage.

. La durée du contrat d'apprentissage pourra rapidement et facilement être modulée pour tenir compte du niveau de qualification déjà atteint par le jeune.

. L'embauche d'apprentis pourra se faire tout au long de l'année, et sera donc moins contrainte par les rythmes scolaires.

. Une certification des maîtres d'apprentissage sera créée.

. Les CFA (centres de formation d'apprentis) auront plus de liberté pour adapter chaque année leurs formations aux besoins des entreprises. Pour être plus réactifs qu'aujourd'hui, les CFA n'auront plus l'obligation que leur soit accordée une autorisation administrative.

. La qualité des formations dispensées par les CFA sera renforcée par un système de certification. La certification des CFA portera sur la qualité des formations proposées, mais aussi sur la qualité de l'accueil des jeunes et leur accompagnement.

5. Une simple "réformette" de plus ou une réforme en profondeur ?

En France, chaque Président de la République s'est efforcé de dynamiser l'apprentissage par des réformes et/ou plans de relance qui n'ont jusqu'ici jamais abouti aux résultats escomptés. C'est d'autant plus inacceptable que le chômage des jeunes atteint des sommets, et que dans le même temps, des dizaines de milliers d'offres d'emplois ne trouvent pas preneurs faute que l'appareil d'enseignement professionnel ait pu ou su former les jeunes diplômés dont les entreprises ont réellement besoin.

L'avenir nous dira si cette nouvelle réforme est condamnée à subir le même sort négatif que celles qui l'ont précédé ou s'il en ira autrement. Notre sentiment est qu'on a enfin là une réforme qui s'attaque en profondeur aux vrais blocages qui contrarient l'essor de l'apprentissage en France.

Au terme d'une longue et intense concertation qui a débuté à l'automne 2017, le gouvernement a présenté un projet de réforme, le 9 février 2018. Après une nouvelle phase de concertation, ce processus a abouti au vote de la "loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel", le 19 juin 2018.

Le point crucial à nos yeux est le changement de paradigme du gouvernement en ce qui concerne le financement de l'apprentissage. Il a été décidé de sortir de l'ancienne logique administrative qui faisait que les centres de formation d'apprentis (CFA) étaient financés par des crédits régionaux principalement alimentés par la taxe d'apprentissage payée par les entreprises.

Désormais, le financement de ces organismes se fera selon  une logique "de marché" puisqu'il sera fonction du nombre de contrats d'apprentissages réellement signés au titre de chaque CFA. A cet effet, il a été décidé de supprimer la taxe d'apprentissage, et de la remplacer par une "contribution alternance" qui sera également versée par les entreprises, et dont le taux sera proche de celui de la taxe d'apprentissage. Autre nouveauté très significative : cette"contribution alternance" sera perçue par les URSAAF, et non par les OPCA (organismes paritaires collecteurs agréés) comme c'était le cas pour la taxe d'apprentissage. Le sens de ces modifications est clair : il s'agit de moins compter sur un financement venant de façon quasi automatique des autorités publiques (régions, Etat), et de le fonder désormais sur la réalité du nombre des contrats d'apprentissage signés au nom de chaque CFA.

Autre changement profond : le pilotage de l'alternance en général, de l'apprentissage en particulier, sera moins entre les mains des administrations (Etat, régions), et nettement plus entre celles des branches professionnelles. Dans ce but, il est instauré un nouveau principe qui est la nécessaire signature de "contrats d'objectifs et de moyens" qui engageront les branches professionnelles et les régions. Le but de cette mesure est de définir conjointement l'offre de formation sur chaque territoire, ainsi que le montant des subsides qui seront alloués à chaque CFA.

Concernant les programmes de formation et les diplômes délivrés à leur issue, on passera d'un quasi monopole de l'Etat à un système "à deux mains" : l'Etat et les branches professionnelles partageront désormais cette tâche. Pour ce qui est des référentiels d'activité professionnelle et des compétences qui s'attachent à chaque diplôme, leur rédaction sera largement confiée aux branches professionnelles, ceci dans le but clairement affiché d'adapter au mieux l'offre de formation aux besoins du marché du travail. L'Etat continuera d'avoir son mot à dire en ce qui concerne la règlementation des examens, mais le fera en étroite concertation avec les représentants des branches professionnelles.

La ligne ainsi tracée est claire : beaucoup moins d'Etat, un peu moins de Régions, nettement plus de branches professionnelles. Jamais on n'avait osé afficher aussi clairement une telle volonté de donner aux représentants des entreprises la main sur ce secteur de formation. C'est sans doute ce qui explique les très vives réserves exprimées sur cette réforme par les organisations représentatives des professeurs de l'enseignement professionnel, et le soutien de la plupart des organisations professionnelles.

Bruno MAGLIULO
Inspecteur d'académie honoraire

Article publié sur le site : https://www.linkedin.com/pulse/la-nouvelle-r%C3%A9forme-de-lapprentissage-r%C3%A9ussira-t-elle-bruno-magliulo/

(1)Sources : "Direction de l'animation, de la recherche et des études statistiques" (DARES) du Ministère du travail, et "Repères et références statistiques" (RERS) du Ministère de l'Education nationale).

Dernière modification le samedi, 15 décembre 2018
Magliulo Bruno

Inspecteur d’académie honoraire -Agrégé de sciences économiques et sociales - Docteur en sociologie de l’éducation - Formateur/conférencier -

(brunomagliulo@gmail.com)

Auteur, dans la collection L’Etudiant (diffusion par les éditions de l’Opportun : www.editionsopportun.com ) :

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