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La réforme de la voie générale du lycée se caractérise, entre autres choses, par l'obligation pour chaque élève de seconde générale et technologique de choisir trois "enseignements de spécialité " (4 heures hebdomadaires chacun), puis d'opter pour deux d'entre eux en classe terminale (6 heures hebdomadaires chacun).

Ces enseignements de spécialité sont à choisir dans une liste propre à chaque établissement, mais qui est cadrée par une liste nationale de douze enseignements possibles : arts (du cirque ou plastiques ou cinéma-audiovisuel ou danse ou histoire des arts ou musique ou théâtre); biologie-écologie (uniquement dans les lycées agricoles); histoire-géographie/géopolitique et sciences politiques (HGGSP); humanités, littérature et philosophie (HLP); langues, littérature et cultures étrangères out régionales (LLCE ou LLCR); littérature et langues et cultures de l'Antiquité (LLCA latin ou grec); mathématiques; numérique et sciences informatiques (NSI); physique-chimie (PC); sciences économiques et sociales (SES); sciences de la vie et de la Terre (SVT); sciences de l'ingénieur (SI).

Outre le fait que ces enseignements compteront pour beaucoup dans l'emploi du temps des élèves (au total : douze heures par semaine en première et en terminale), et feront l'objet d'épreuves écrites nationales à horaires lourds au moment du baccalauréat (4h à 5h par épreuve) et à gros coefficients (coefficient 16 sur cent pour chacun de deux enseignements de spécialité choisis pour la classe terminale), il faut ajouter qu'ils seront les deux enseignements de référence servant de support à l'épreuve nouvelle de grand oral (coefficient 10). Au total, ces deux enseignements de spécialité interviendront pour 42% de l'évaluation globale. C'est dire qu'ils seront fortement considérés, non seulement pour l'évaluation de chaque élève tout au long de son parcours première/terminale, pour le baccalauréat, mais aussi pour le passage dans l'enseignement supérieur.

1) Un constat : les parents d'élèves et élèves font de ce choix un élément crucial de leur préparation à l'orientation vers les études supérieures.

Nous avons eu l'occasion, tout au long de la période allant de septembre 2019 à février 2020, de faire une cinquantaine de conférences au profit d'élèves et/ou de parents d'élèves de classes de seconde générale et technologique et/ou de première générale de lycées très divers, sur le thème "Bien se préparer aux choix d'orientation vers l'enseignement supérieur". A ces diverses occasions, nous avons pu constater que les familles sont fortement convaincues que les choix d'enseignements de spécialités qui doivent être faits en sortant de seconde puis première, auront un important impact sur les possibilités de choix des études supérieures. Nous irons jusqu'à dire qu'il existe chez la plupart d'entre elles une certaine peur de ne pas faire les "bons choix".

Nombreux sont ceux qui nous ont fait part d'un reproche fortement ressenti : les premiers élèves suivant le nouveau cursus d'enseignement secondaire général au lycée seraient en grande partie tenus de faire ces choix "à l'aveugle" puisque les "attendus" (pré requis) présentés sur le portail Parcoursup s'adressent, dans leur version 2020, aux familles dont les enfants constituent la dernière promotion des anciennes filières du lycée général. De fait, les "attendus" présentés cette année ne font aucune mention des choix d'enseignements de spécialité qu'il serait bon de faire. On y verra donc plus clair en 2021... trop tard cependant pour les familles actuellement concernées par le lycée réformé. Une expression a souvent été exprimée pour décrire cette situation : "génération sacrifiée". C'est sans doute excessif car, ainsi que nous le verrons dans les lignes suivantes, il est faux de dire que les familles doivent faire ces choix en l'absence totale de toute information de ce type. Il n'empêche : l'usage d'une telle expression en dit long sur l'atmosphère anxiogène qui entoure les choix d'enseignements de spécialité.

2) Une information désormais largement accessible :

Partons d'abord du constat que la version 2020 de Parcoursup présente clairement, dans les "attendus" propres à chaque formation supérieure, des pré requis de type disciplinaires. C'est ainsi, par exemple, que pour les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) scientifiques BCPST, il est mentionné la nécessité de "s'intéresser aux domaines de la biologie et de la géologie" et de "disposer de compétences attestées par les résultats obtenus en SVT, physique-chimie et mathématiques". Autre exemple : pour l'admission en licences de "langues/littératures et civilisations étrangères", il est écrit qu' "il est attendu des candidats qu'ils disposent d'un très bon niveau dans au moins une langue étrangère (niveau B)". Dernier exemple : pour le DUT techniques de commercialisation, il est recommandé d ' "avoir une connaissance suffisante de l'anglais et d'une seconde langue vivante", "avoir une maîtrise écrite et orale du français", "un bon niveau de culture générale" et de "connaître avec efficacité les outils quantitatifs et/ou calculs fondamentaux (pourcentages, fractions, règles de proportionnalité"). Il en va de même pour presque toutes les formations.

Ainsi, pour chaque formation, la liste des compétences affichées renvoie à des choix d'enseignements qui sont pour beaucoup ceux de la liste nationale des enseignements de spécialité. Pour reprendre l'exemple de la CPGE BCPST, il est clair que dans l'avenir, avoir opté pour l'enseignement de spécialité de SVT sera nécessaire, et il conviendra d'ajouter les mathématiques ou la physique - chimie. En cas de choix de la physique-chimie, et des SVT, il sera nécessaire d'opter pour les mathématiques complémentaires en terminale.

Bien plus : depuis quelques mois, les responsables de la plupart des formations supérieures ont travaillé sur cette question et publié (par voie de presse, communiqués, sur leurs sites ...) leurs attentes en la matière à compter de 2021. C'est ainsi, par exemple, que pour le concours GEIPI Polytech (qui permet d'accéder à 34 écoles d'ingénieurs à recrutement niveau bac), un communiqué daté du 26 novembre 2018 précise qu' "il est fortement conseillé aux lycéens de suivre les enseignements de spécialité de mathématiques et de physique-chimie". La Conférence des présidents d'IUT a rédigé et diffusé en novembre dernier un tableau signalant, pour chacun des 23 DUT, les enseignements de spécialités "très adaptés", "adaptés" ou "complémentaires". Autre exemple : les CPGE économiques et commerciales destinées aux bacheliers généraux, pour lesquelles l'Association de professeurs des CPGE EC, interviewée le 26/12/2019 par le site L'Etudiant, recommande de conserver les mathématiques en terminale sous trois formes envisageables : la spécialité + l'option de maths expertes, la spécialité seulement, au minimum l'option de mathématiques complémentaires, et ajoute que pour la deuxième spécialité "le jeu est très ouvert" : SES ou HGGSP ou HLS ou LLCE anglais ou ...

Il est donc faux de dire que les familles dont les enfants sont scolarisés en seconde GT ou en première générale en 2019/2020, doivent choisir leurs enseignements de spécialité "à l'aveugle". Une recherche d'information sur Internet, certes quelque peu fastidieuse, permet dans la plupart des cas d'accéder aux bonnes informations. C'est ce qui nous a permis de présenter en plusieurs pages ce type d'informations dans les livres que nous avons fait paraître en septembre 2019 sous le titre "SOS : Le nouveau lycée", et février 2020 sous le titre "Quelles études sont (vraiment) faites pour vous" ? (éditions L'Etudiant, diffusion par les éditions de l'Opportun).

3) La vraie difficulté est de passer de trois enseignements de spécialité en première à deux en terminale :

Comme nous l'avons vu en début de cet article, les élèves admis en première générale sont tenus de choisir trois enseignements de spécialité. C'est là un choix relativement large qui a permis à la plupart de choisir sereinement. En tête des choix, les mathématiques ont accueilli 68,6% des élèves, suivis par la physique-chimie (39%), les SVT (44,7%), les SES (39,2%), l'HGGSP (34,9%), LLCE (28,4%), HLP (18,1%), NSI (8,1%), SI (5,8%), arts plastiques (3,1%), cinéma-audiovisuel (1,1%), théâtre (0,7%); Histoire des arts (0,7%), musique (0,5%); latin (0,3%); danse (0,1%); grec antique (0,1%); arts du cirque et biologie-écologie (moins de 0,1%). Concernant les choix de "triplettes", 28% des élèves de première générale ont choisi maths + physique-chimie + SVT. En y ajoutant les 4,3% ayant opté pour "maths + PC + SVT" et 4,2% pour "maths + PC + NSI", on peut dire que 36,5% des élèves entrés en première générale en 2019 ont choisi une triplette de type "filière S". Ces chiffres sont extraits d'une Note d'information de la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du Ministère de l'Education nationale, N° 19-48, en date de novembre 2019.

En passant en classe terminale générale, les familles doivent choisir deux enseignements de spécialité parmi les trois de première. Aux yeux de beaucoup, c'est là une situation très anxiogène. On se doute bien que les élèves qui auront rencontré de plus ou moins grandes difficultés avec l'un de ces trois enseignements n'auront guère de mal à choisir. Mais quid de ceux - nombreux en vérité - qui sont à l'aise dans ces trois spécialités et n'ont guère d'envie d'en abandonner une ? Pour ceux-là, c'est un choix d'autant plus cornélien que pour accéder à certaines formations supérieures, avoir choisi trois spécialités aurait été bénéfique. C'est par exemple le sentiment qui domine pour les études de santé (la nouvelle filière "Portail santé", qui remplace l'ancienne PACES) pour laquelle les enseignements requis donnent le sentiment qu'il aurait été judicieux d'être porteur d'un profil "maths + SVT + physique-chimie". Autre exemple du même type : pour les CPGE EC, un profil "maths + SES + HGGSP ou anglais ou HLP" aurait été bienvenu. Idem pour les prépas BCPST pour lesquelles la triplette "maths + SVT + physique-chimie" aurait été fortement souhaitable. On pourrait citer bien d'autres cas du même type.

De plus, comme chacun l'a bien compris, il y a grand risque à ne choisir ses enseignements de spécialité que par rapport à son seul premier voeu. La logique (et le bon sens) voudraient que chacun élabore une liste de voeux en prenant en compte la nécessité d'être porteur d'un "plan B", "plan C", etc. Si un élève a pour préférence de se faire admettre en "Portail santé" dans le but de faire ensuite des études médicales, il a manifestement intérêt à opter pour mathématiques + SVT. Mais s'il craint de ne pas être admis en "Portail santé" et demande en second choix des écoles d'ingénieurs à recrutement post bac, alors l'absence du choix de la spécialité physique-chimie pourrait s'avérer dommageable. Idem pour un candidat à l'admission en Institut d'études politiques qui pourrait pour cela opter pour les enseignements de spécialité de SES et GGGSP et se contenter de l'option facultative de mathématiques complémentaires. S'il demande en second choix une CPGE EC ne va-t-on pas lui reprocher de ne pas avoir opté pour une spécialité maths, voire anglais ?

C'est pourquoi certains réclament une révision de la réforme du lycée général en supprimant l'obligation d'abandonner un des trois enseignements de spécialité de première. Ils proposent d'en rester au même schéma qu'en première : trois enseignements de spécialité à raison de 4 heures hebdomadaires chacun. A la date où nous écrivons cet article, le Ministre de l'Education nationale continue de refuser un tel changement, et tout conduit à penser qu'il ne changera pas cette règle.

4. Quid des profils hétérogènes ?

L'une des bonnes surprises de la réforme est l'apparition de profils d'élèves ayant choisi en première des "triplettes" d'enseignements de spécialité qui ne correspondent à aucune des trois filières (ES, L et S) de l'ancien lycée. La note pré citée présentant les choix faits par les élèves entrés en première générale à la rentrée de septembre 2019 montre que certains ont fait des choix de type "SVT + SES + HGGSP" ou encore "mathématiques + anglais + latin", "LLCE + mathématiques + arts plastiques", "mathématiques + physique-chimie + SES", etc. De telles combinaisons étaient impossibles dans le cadre des anciennes filières de lycée. De tels choix ont obéi à une logique que les autorités ministérielles ont fortement mis en avant : "ne choisissez pas uniquement en fonction des débouchés, faites vous plaisir en choisissant des enseignements de spécialité qui vous plaisent".

Les établissements d'enseignement supérieur ont bien compris qu'outre les profils classiques, ils auront affaire à des profils d'élèves nouveaux et très divers, pour lesquels ils vont devoir concevoir de nouvelles filières d'enseignement supérieur, ou prévoir des systèmes de compensation des lacunes pour les filières traditionnelles. Nombreux sont ceux qui se préparent à proposer des enseignements de remise à niveau ou d'ajustement afin de mieux accueillir ces profils de bacheliers "hétérogènes". Ces enseignements permettront en outre de mieux accueillir les élèves qui auront commis une ou des erreurs de choix d'enseignement de spécialité, à l'instar par exemple de ceux qui auront accompli au lycée un parcours sans enseignement de mathématiques, et seront désireux de choisir de passer dans une filière d'enseignement supérieur pour laquelle un tel choix aurait été préférable.

Conclusion :

Désormais, toute famille dont l'enfant est scolarisé en voie générale du lycée nouveau est invitée à s'efforcer de tenir compte des débouchés post baccalauréat aux moments (en fin de seconde puis de première) où ils doivent faire le choix des enseignements de spécialité. Ce phénomène contribue à amplifier une tendance constatée depuis plusieurs années concernant le calendrier de l'orientation dans l'enseignement secondaire qui tend à remonter de plus en plus tôt dans le cursus de scolarité. Aujourd'hui c'est dès la classe de seconde que cette problématique est présente, et même en fin de cursus au collège.

Toutefois, cette tendance se heurte au fait qu'à l'âge où se prennent de telles décisions (entre 15 et 18 ans), une forte proportion des élèves ont beaucoup de mal à raisonner ainsi, n'ayant pas (pas encore) de projet d'études supérieures ou celui-ci étant encore trop vague et susceptible d'évolution. D'autres sont portés par une sorte de "principe de plaisir", préférant choisir leurs enseignements de spécialité en fonction du plaisir ressenti à recevoir un enseignement dans une discipline donnée. Il est à cet égard frappant de constater que dans un texte officiel exprimé par le Ministère de l'Education nationale dans le BOEN (Bulletin officiel de l'éducation nationale) N° 29 du 19/7/2019, à la rubrique "quelques conseils pour réfléchir à vos choix" d'enseignements de spécialité, le premier conseil évoqué est le suivant "choisissez des enseignements de spécialité qui vous plaisent et dans lesquels vous êtes déjà à l'aise, ou qui vous tentent vraiment".

Dans ces genres de cas, le choix est loin de reposer sur le seul critère des débouchés post baccalauréat. Il repose principalement sur un bilan scolaire et personnel qui doit être fait au moment où de tels choix se présentent. Il n'y a donc pas qu'une seule stratégie concernant le choix des enseignements de spécialité, mais deux, qui ne sont pas exclusives l'une de l'autre.

Bruno Magliulo

Magliulo Bruno

Inspecteur d’académie honoraire -Agrégé de sciences économiques et sociales - Docteur en sociologie de l’éducation - Formateur/conférencier -

(brunomagliulo@gmail.com)

Auteur, dans la collection L’Etudiant (diffusion par les éditions de l’Opportun : www.editionsopportun.com ) :

  • SOS Parcoursup
  • Parcoursup : les 50 questions que vous devez absolument vous poser avant de choisir votre orientation post baccalauréat
  • Quelles études (supérieures) sont vraiment faites pour vous ?
  • SOS Le nouveau lycée (avec en particulier toute une partie consacrée aux liens entre les choix d’enseignements de spécialité et d’option facultative, et le règles de passage dans le supérieur)
  • Aux éditions Fabert : Les grandes écoles : une fabrique des meilleurs, mode d’emploi pour y accéder

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