fil-educavox-color1

Texte actualisé juin 2018 - Critiquées par certains mais adulées par d'autres, de plus en plus concurrencées par des voies différentes d'accès aux grandes écoles, menacées de disparition pure et simple par les uns quand d'autres se montrent prêt à les défendre bec et ongle ... Les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) françaises font débat. Dans l'article qui suit, nous vous proposons d'en découvrir les termes, et nous nous risquerons à une prédiction (qui n'engage que nous) sur le sort qui pourrait leur être réservé dans l'avenir.

Par "classe préparatoire" nous entendons l'ensemble des formations postbac en deux ans, qui préparent à l'admission dans des écoles dont la scolarité se déroule en trois ans, délivrent des diplômes de niveau Bac + 5 (master...), et qui peuvent octroyer à celles et ceux qui en sont issus 120 crédits d'enseignement supérieur européen transférables (ECTS) permettant de prolonger les études par équivalence en cas d'échec ou de renoncement aux concours.

Nous avons donc choisi d'exclure du champ de notre analyse les "fausses classes préparatoires" que sont les centaines de formations post bac en un an proposant une mise à niveau pour se présenter à divers concours de niveau bac (en vue de se faire admettre en diverses écoles sociales, paramédicales, d'art, de commerce et autres), et n'offrent aucune équivalence en cas d'échec aux concours.

Nous précisons "françaises" parce que comme certains le savent, les CPGE sont une composante quasi spécifiquement française de l'enseignement supérieur. Peu d'autres pays en ont (on en trouve cependant dans divers pays de l'ex "Empire colonial" français, presque toujours tournées vers les concours d'accès dans des grandes écoles françaises), et jamais en aussi grand nombre. Une explication historique explique cette originalité.

1. Le processus de création des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) dans le système français d'enseignement supérieur :

A l'origine du système moderne d'enseignement supérieur français, on a fait le choix d'un système dual avec d'un côté des formations "ouvertes" (non sélectives) destinées au plus grand nombre, et un secteur "fermé" (sélectif), accessible à une minorité de postulants. Le secteur "ouvert" était (et est encore largement) constitué de la majeure partie des premiers cycles universitaires, le secteur "fermé" comprenant les CPGE, les écoles, les instituts universitaires de technologie (IUT), les sections de techniciens supérieurs (STS, préparatoires aux divers brevets de techniciens supérieurs, BTS), la filière comptable supérieure (Diplôme de comptabilité et de gestion, DCG), et un petit nombre de formations universitaires. Compte tenu de l'extension progressive du secteur "fermé", la part des bacheliers entrant dans des formations sélectives a eu tendance à croître fortement : tous baccalauréats confondus, 26% des lycéens de 1960 poursuivant leurs études dans le supérieur entraient en première année d'une formation sélective, ils étaient 45% à le faire en 2015 (tous nos chiffres sont puisés dans l'édition 2017 de "Repères et références statistiques" du Ministère français de l'Education nationale)..

A l'origine il fut décidé d'implanter les CPGE non en milieu universitaire, mais dans des lycées,  d'abord dans ce qu'il fut convenu d'appeler "les grands lycées", d'origine napoléonienne, puis, par souci de démocratisation, un peu partout en France. Aujourd'hui, on en compte plusieurs centaines, implantées dans tout le pays, y compris Outre-Mer et dans certains lycée français de l'étranger. Elles accueillent des effectifs d'élèves réduits (entre 20 et 35 élèves par classe), triés par une sélection plus ou moins sévère sur dossier. Ils y bénéficient d'un enseignement très dense et exigeant, d'un corps professoral de grande qualité, d'un encadrement sur meure, d'un esprit de stimulation que l'on ne trouve guère ailleurs. Ajoutons qu'elles sont porteuses de promesses de débouchés réputés parmi les plus prestigieux, et affichent des taux globaux de réussite très importants dans la plupart des cas ... Il est donc logique que ces filières, fréquemment qualifiées " d'excellence", soient si fortement demandées par les familles des classes terminales des lycées : en 2017, elles ont accueilli un peu moins de 7 % des bacheliers, choisis parmi 27 % de demandeurs, soit un peu plus de 43000 nouveaux bacheliers, sur un total de 650000.

2. Longtemps peu discutées, elles font l'objet depuis quelques temps d'interrogations diverses

Malgré leur indéniable succès, sur lequel nous reviendrons, les CPGE font l'objet d'une remise en cause qui oblige à se poser la question de leur avenir dans le système éducatif français.

Plusieurs éléments sont à prendre en compte pour comprendre le sens du débat les concernant :

  • Depuis la mise en place dans l'enseignement supérieur, il y a une dizaine d'années, du système international LMD (licence/master/doctorat), les CPGE  ont un problème de "visibilité internationale". Ce sont des formations en deux ans (hors redoublement éventuel) préparant à des concours d'entrée dans des écoles dont la scolarité se déroule en trois ans. Elles proposent donc un parcours bac + 2 + 3 ans. Ce déroulé des études n'offre pas de visibilité internationale dans la mesure où l'organisation désormais consacrée dans la plupart des pays est de type baccalauréat + 3 + 2 ans (trois pour le premier cycle licence/bachelor plus deux ans pour le grade de master), conformément au schéma mis en place au niveau international en général, européen en particulier (le désormais bien connu "LMD" : licence ou bachelor en trois ans, suivi(e) d'un master en deux ans, puis éventuellement d'un doctorat en trois années complémentaires). Il existe certes un système de reconnaissance qui permet à certains élèves de rejoindre un parcours licence ou bachelor en fin de deuxième année de CPGE, mais sauf cas particulier, cela ne vaut officiellement que dans le cadre des études supérieures françaises, et pas pour tous. C'est la raison pour laquelle certains proposent de faire passer la durée de formation en CPGE à trois années, et de réduire celle dispensée en grande école à deux ans... ce dont ne veulent ni les responsables des grandes écoles (pourquoi accepteraient-ils de réduire leur scolarité d'un an sur trois ?), ni les employeurs (qui y voient un abaissement potentiel des aptitudes professionnelles des futurs diplômés). Quand aux autorités ministérielles, elles ne souhaitent évidemment  pas se lancer dans une telle réforme, ne serait-ce que parce qu'elle serait très coûteuse, et susciterait une vive opposition.
  • Un nombre croissant de grandes écoles recrutent par d'autres canaux, soit dès le niveau baccalauréat (écoles en quatre ou cinq ans), soit par des procédures d'admission dites "parallèles" à bac + 2 (post IUT, STS, deuxième année de licence...) ou bac + 3 (post licence complète ou bachelor). Il en résulte que la part des étudiants qui intègrent une grande école en passant par une CPGE a eu tendance à fortement régresser ces dernières années : 64% en 1960, 55% en 1980, 42% aujourd'hui. Certains y voient un effacement progressif des CPGE, d'autres une simple diversification des modes de recrutement des grandes écoles.
  • De plus en plus de lycéens entrent en CPGE sans intention de se présenter à un concours pour l'accès à une grande école. Bons élèves, désireux de faires des études universitaires, ils considèrent les CPGE comme un bon moyen de contourner les deux premières années des premiers cycles universitaires non sélectifs, à fort mauvaise réputation en France du fait de leurs effectifs de masse, du manque d'encadrement, et de leurs mauvais taux de réussite. Une stratégie se développe chez nombre de bons élèves qui choisissent de commencer par bénéficier d'études de haut niveau en CPGE, puis rejoignent sur équivalence une troisième année de licence, ce qui revient à détourner en partie les classes préparatoires de leur mission fondamentale qui est de préparer leurs élèves aux concours d'entrée dans diverses grandes écoles.
  • Si les élèves des CPGE scientifiques et des CPGE économiques et commerciales ont de réels débouchés vers les grandes écoles (d'ingénieurs pour les premières, de commerce et management pour les secondes), tel n'est pas le cas (loin s'en faut) pour la plupart des élèves des classes préparatoires littéraires, qui ne trouvent pas suffisamment de débouchés du côté des grandes écoles littéraires (Ecoles normales supérieures, Ecole des Chartes, Ecole des Bibliothèques, certaines grandes écoles de communication telle le CELSA...). Même en y ajoutant ceux des élèves de ces CPGE littéraires qui acceptent de se tourner vers des Instituts d'études politiques, des écoles de commerce et management, des écoles de traduction et/ou interprétariat ... on est loin du compte : au total à peine un tiers de ces élèves trouvent place dans une grande école, conduisant une majorité d'entre eux à entrer ensuite, bon gré mal gré, en troisième année de licence. Ces chiffres sont des moyennes générales : certaines de ces classes préparatoires tirent mieux leur épingle du jeu que d'autres.
  • Il est parfois reproché aux classes préparatoires de ne pas être suffisamment en phase avec les formations qui attendent leurs élèves lorsqu'ils seront entrés dans une grande école, et plus encore lorsqu'ils auront à exercer les métiers qui les attendent à l' issue de leurs études, puis tout au long de leur vie active. En d'autres termes, pour reprendre le célèbre précepte de Montaigne dans Les Essais : "Il vaut mieux une tête bien faite qu'une tête bien pleine". La critique porte notamment sur le choix d'enseignements quasi intégralement généraux, sans véritable développement d'une culture pré professionnelle. C'est certes en partie vrai, mais c'est oublier que les carrières dites supérieures, auxquelles auront logiquement accès les diplômés des diverses grandes écoles, nécessitent des hommes et de femmes porteurs d'une solide culture générale, d'une grande capacité de communication en plusieurs langues, de méthodes de travail, d'une aptitude à subir des rythmes de travail intenses, a bien gérer le temps et le stress... Toutes choses que l'on acquiert incontestablement en classe préparatoire et qui sont aisément transférables dans les études en grande école puis dans la vie active. 

3. Les universités s'y mettent à leur tour

Fort de ces constats, un nombre croissant d'universités proposent désormais des "classes préparatoires universitaires aux grandes écoles" (CPUGE).

Ces formations sont encore peu nombreuses : en 2016, on en recense douze de type scientifique, six économiques et commerciales, vingt CPUGE aux Instituts d'études politiques et deux littéraires. Plusieurs projets sont en préparation, ce qui devrait permettre d'augmenter cette offre universitaire dans les années prochaines. Point fort de ces CPUGE : elles sont adossées à des parcours licences (on note que quelques CPUGE sont organisées en partenariat étroit avec un lycée proche, et alternent les enseignements qui se déroulent en milieu universitaire, et ceux qui ont lieu dans le cadre du lycée partenaire). 

De ce fait, elles permettent d'offrir à leurs étudiants une double possibilité : l'accès sur concours à des grandes écoles, mais aussi bénéficier quasi automatiquement de la validation d'une deuxième année de licence (L2) et donc de poursuivre éventuellement en L3. On peut certes en dire autant des CPGE de la plupart des lycées, à cette différence importante près qu'une telle équivalence est dans ce cas conditionnelle, même si elle est très largement accordée pour les élèves issus des CPGE des lycées publics et privés sous contrat. C'est par contre beaucoup moins le cas pour les élèves des CPGE des établissements privés hors contrat d'association avec l'Etat, nombreux dans ce secteur de formation.

Plus généralement, il semble bien que les universités françaises aient lancé une sorte d' "OPA" ("offre publique d'achat" dans le vocabulaire boursier) sur les CPGE des lycées. Cela fait bien longtemps que les universitaires voient d'un mauvais œil les meilleurs élèves des classes terminales des lycées se diriger vers les formations sélectives en général, les CPGE en particulier, et corrélativement fuir les premiers cycles universitaires, sauf dans certaines formations spécifiques pour lesquelles cette concurrence entre CPGE et premiers cycles universitaires n'existe pas (les licences de droit, PACES - première année du cycle des études de santé). Pour résoudre le problème, ils n'ont pour certains rien trouvé de mieux que de demander le transfert pur et simple des CPGE en université. 

Une telle revendication procède d'un mouvement plus global qui est celui de la multiplication des premiers cycles universitaires sélectifs. En revendiquant le transfert de tout ou partie des CPGE en leur sein, les universitaires visent à renforcer un secteur en expansion, qui est celui des "licences doubles" sélectives, venant s'ajouter à diverses formations universitaires sélectives plus anciennes, tels les "collèges" (au sens anglo-saxon du mot "college" qui désigne un premier cycle d'études superieures) de droit et d'économie de l'université de Paris Panthéon-Assas, l'université de Paris-Dauphine... . Le but est clair : offrir aux "bons lycéens"des formations universitaires de premier cycle attractives en plus grand nombre.

Faut-il pour autant céder globalement à cette revendication de transfert des CPGE vers les universités ? Il est clair que si de nombreux universitaires appellent cela de leurs vœux, tout aussi nombreux sont ceux qui s'y opposent fortement. Ces derniers ne se trouvent pas uniquement du côté des professeurs qui enseignent en CPGE et des chefs d'établissements qui les hébergent : une large majorité des employeurs font plus confiance aux actuelles CPGE des lycées qu'aux universités pour assurer la préparation des futurs cadres et ingénieurs dont ils ont besoin. Malgré certains défauts réels (qui pourraient être aisément corrigés) les CPGE des lycées ont pour atout une longue tradition d'efficacité, alors que les universités sont loin d 'avoir fait leurs preuves en premier cycle. "Il ne faut surtout pas casser une machine aussi efficace que les classes préparatoires" nous déclare sans détour le proviseur d'un lycée qui ajoute qu'il ne voit pas ce que le système d'enseignement supérieur français et le monde professionnel auraient à gagner à cela.

Pour conclure

Notre sentiment est que les CPUGE vont très probablement connaître une certaine expansion dans les années futures, au détriment sans doute de certaines "petites" CPGE qui ont parfois du mal à faire le plein. On a d'ailleurs quelques exemples d'ouverture de CPUGE opérées par transfert de moyens décidés par tel ou tel Recteur, comme ce fut le cas par exemple en 2015 au profit de l'université de La Rochelle pour l'ouverture d'une CPUGE accompagnée de la fermeture de celle jusque là hébergée par un lycée public de la même ville. 

Ce scénario pourrait prendre de l'ampleur, notamment en ce qui concerne nombre de CPGE littéraires, victimes du manque de débouchés dans les grandes écoles littéraires et dont une large partie des élèves passent ensuite en troisième année de licence. 

Autre tendance prévisible que nous développerons la semaine prochaine : l'extension des formations sélectives en premier cycle universitaire, et notamment du nombre des licences à double parcours (licence dites "doubles") et des "parcours d'excellence", qui rencontrent un réel succès et attirent désormais certains bons élèves qui, sans cela, se seraient tournés vers les CPGE. Malgré ces tendances, je ne pense pas que l'on va assister à un scénario de fermeture pure et simple des CPGE des lycées avec transfert massif vers les universités, ne serait-ce que parce que la moindre tentative en ce sens se heurterait à une véritable levée de boucliers. 

Les CPGE auraient cependant bien tort de rester telles qu'elles sont aujourd'hui. Il semble temps d'ouvrir une réflexion visant à préparer une nécessaire rénovation, et pourquoi pas, le faire en concertation avec les responsables d'universités. Sur le terrain, force est de constater que des rapprochements ont lieu sous forme de partenariats de plus en plus nombreux entre CPGE et universités.

Bruno MAGLIULO

 https://www.linkedin.com/pulse/quel-avenir-pour-les-classes-pr%C3%A9paratoires-fran%C3%A7aises-bruno-magliulo
 

Dernière modification le mardi, 19 juin 2018
Magliulo Bruno

Inspecteur d’académie honoraire -Agrégé de sciences économiques et sociales - Docteur en sociologie de l’éducation - Formateur/conférencier -

(brunomagliulo@gmail.com)

Auteur, dans la collection L’Etudiant (diffusion par les éditions de l’Opportun : www.editionsopportun.com ) :

  • SOS Parcoursup
  • Parcoursup : les 50 questions que vous devez absolument vous poser avant de choisir votre orientation post baccalauréat
  • Quelles études (supérieures) sont vraiment faites pour vous ?
  • SOS Le nouveau lycée (avec en particulier toute une partie consacrée aux liens entre les choix d’enseignements de spécialité et d’option facultative, et le règles de passage dans le supérieur)
  • Aux éditions Fabert : Les grandes écoles : une fabrique des meilleurs, mode d’emploi pour y accéder

Profil LinkedIn