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Lors du Salon Educatic-Educatice, l'An@é a proposé une table ronde avec pour questionnement premier : Après le confinement, quelles évolutions et changements fondamentaux pour le numérique à l’école ? Ont été invités à participer à ces échanges : Jean-François Cerisier, Directeur de l’Unité de recherche Techné, Université de Poitiers, Cécilia Pinto, Professeur d'espagnol à Lille, formatrice et co-fondatrice de l'Association Eduvoices, Anne Veghte-Quatravaux, DRANE Montpellier, IAN Lettres académie de Montpellier, Sylvain Rivière, Principal du collège Eugénie Cotton 95 Argenteuil.

 

Pendant des mois d’interruption liée aux confinements et couvre-feux, le numérique est devenu l’un des acteurs indispensables de l’école. Mais aujourd’hui, après des mois de tâtonnements, d’initiatives diverses, voire même de bricolage, au sortir de la crise sanitaire, plusieurs questions se posent dans l’après-confinement :

Le numérique s’est-il définitivement imposé dans les pratiques pédagogiques auxquelles il aurait imprimé des évolutions irréversibles ? Qu’en est-il du vécu des enseignants qui n’ont sans doute pas tous franchi le pas vers une acculturation numérique dans leurs pratiques pédagogiques et éducatives ?

L’école est-elle désormais capable de faire face aux évolutions nécessaires tout en respectant les normes de sécurité sanitaire, les menaces d’interruptions momentanées et en intégrant la nécessité d’une hybridation présentiel/distanciel des enseignements ?

Comment dès lors se conjuguent obligations sanitaires, impératifs pédagogiques et continuité éducative dans l’école d’après, toujours sous la menace du virus ?

Quelles sont les options rendues possibles et les options souhaitables pour l’après confinement ? Et que nous dit la Recherche des évolutions possibles, nécessaires, souhaitables et des dangers qui apparaissent au détour d’usages et de comportements pas toujours maîtrisés ?

En effet, s’il est évident que la révolution numérique n’a pas eu lieu, des marges de progrès et des changements importants sont perceptibles aujourd’hui et pour demain, notamment avec l’émergence de l’Intelligence Artificielle (ou augmentée) dont les applications au service des élèves font actuellement l’objet de recherches et de projets prometteurs.

Après plusieurs confinements et couvre-feux, comment ont évolué les pratiques pédagogiques des enseignants ? Quels changements majeurs sont intervenus dans les comportements ?

1 1 20211126 092929Pour Cecilia Pinto, le confinement a engendré des contraintes au niveau spatial, temporel, humain et pédagogique.

Cette période compliquée pour l’ensemble de la communauté éducative a nécessité une grande remise en question que ce soit dans le remodelage des emplois du temps que dans des formes d’hybridation des cours. Cependant l’école ne peut pas être intégralement numérique : le COVID a montré que les élèves ont besoin de l’école physique mais aussi sociale : l'école, c'est aussi du lien.

La cinquantaine d’ateliers organisés en ligne par l’Association Eduvoices a clairement montré que les enseignants ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour garder le lien avec leurs élèves coûte que coûte que ce soit via la poste (envoi de polycopiés aux familles) ou de manière numérique (envoi de mail, organisation de visioconférences).

Les problèmes de connexion aux plateformes institutionnelles, réels et massifs, ont malheureusement favorisé un effritement de la motivation de certains enseignants qui après plusieurs tentatives n’ont pas réitéré l’expérience.

Ces ateliers ont également mis en exergue le besoin de formation des enseignants. En effet, avec l’arrivée tardive de formations, les collègues, livrés à eux-mêmes, se sont tournés vers les communautés telles qu’Eduvoices pour s’entraider, se rassurer, partager leurs expériences et trouver de l’inspiration. Une fois de plus, ces communautés ont montré leur intérêt quant à l’apprentissage par les pairs.

D'autre part, la pandémie a encore montré les faiblesses de la formation initiale et continue des enseignants de l’Éducation Nationale. Malgré tout, ils ont réussi à s’adapter, à hybrider leurs approches, à utiliser différentes manières de faire, chacun à son niveau avec ses compétences avec toujours pour objectif le suivi et l’accompagnement des élèves. Le numérique s’est avéré être un puissant fédérateur.

Dans ce contexte, nous ne pouvons qu'interroger cet étonnant comportement de l'État qui préfère se décharger sur des prestataires de services plutôt que d’investir réellement dans la formation des enseignants à la culture numérique. Les outils il y en aura toujours de nouveaux, ce qui est important c’est d’apprendre à collaborer quel que soit l’outil utilisé !

1 SR 20211126 092929 3Sylvain Rivière constate que s’il est vrai que les confinements successifs ont mis en lumière un certain nombre de difficultés, techniques, logistiques, pédagogiques, il faut tout de même reconnaître que l’avancée numérique (depuis les années 2010 notamment) a permis de gérer et de rendre réelle une continuité pédagogique, aussi précaire et perfectible soit-elle.

Face aux nombreuses critiques, pour la plupart justes et constructives et qui émanent de l’Institution elle-même, il convient de se poser objectivement la question suivante : Quelle aurait été l’ampleur des dégâts causés par les confinements successifs que nous avons connus, si ceux-ci avaient eu lieu à des époques où le numérique éducatif n’existait pas, dans les années 80 ou 90 par exemple ?

 

1 JFC20211126 092929Jean-François Cerisier : C’est une banalité de le dire mais la crise sanitaire a révélé - au sens quasi-photographique- certaines des forces et des faiblesses latentes de l’École. Ces problématiques sont souvent de celles que l’on connait si bien et depuis si longtemps qu’elles en sont invisibilisées.

Parmi les forces, c’est tout d’abord l’engagement de tous les acteurs de l’École qui doit être souligné. Faute de mieux, c’est souvent le bricolage qui a permis aux enseignants de faire face. Bricolage solitaire parfois, mais bricolage fréquemment collaboratif et solidaire. La co-formation entre pairs, déjà appelée de leurs vœux par les enseignants s’est considérablement développée avec une forte attente complémentaire en termes d’accompagnement et d’expertise. C’est à un autre modèle de formation des enseignants qu’invite ce retour d’expérience, en rupture avec les dispositifs plus classiques que nous connaissons depuis toujours.

1 nenette20211126 093259Anne Veghte Quatravaux : La crise sanitaire a bouleversé les modes d’enseignement, d’apprentissage et d’accompagnement. Au-delà de la mise à disposition des outils, qui est une question en soi (il est devenu flagrant que le « solutionnisme technologique » n’est pas opérant), les acteurs de l’École ont été contraints de s’adapter à l’enseignement à distance et à l’hybridation.

Pour les élèves et les familles, la crise sanitaire a impliqué un changement de posture. Les élèves ont dû s’adapter, faire preuve de plus d’autonomie pour suivre leur scolarité, s’emparer des outils numériques mis à leur disposition, sous peine de décrocher et ils ont été un certain nombre.

Les familles ont suivi et aidé comme elles ont pu, la littératie numérique des parents est un enjeu fort de la transformation culturelle à travers le numérique. Les enseignants, dont certains ne voyaient pas l’intérêt de se former au numérique, ont dû s’approprier les outils et modifier leurs pratiques, pratiquer de l’expérimentation, fonctionner sous forme d’essai/erreur pour améliorer leur enseignement à distance.

D’un coup, l’urgence de l’utilisation du numérique non plus comme un simple outil cantonné à la seule utilisation du professeur (recherches pour construire ses cours, utilisation du vidéoprojecteur, etc.), mais également comme le vecteur de production et d’individualisation du travail de l’élève est apparue.

Pour certains, l’adaptation a simplement consisté à remplir le cahier de textes avec des fichiers .pdf tandis que d’autres sont parvenus à proposer des séances d’apprentissage interactives aux élèves, se sont interrogés sur les gestes professionnels dans l’enseignement à distance, sur l’étayage, l’évaluation, etc.

Or, réfléchir à une hybridation revient à se poser la question - pour l’instant encore largement impensée - de la transformation des pratiques pédagogiques pour tendre de plus en plus vers une fluidité, un continuum entre le présentiel et le distanciel. Autrement dit : comment concevoir des cours qui puissent être suivis aussi facilement en présence qu’à distance et en passant de l’un à l’autre sans difficulté ? Cela suppose de replacer l’apprentissage de l’élève au centre des préoccupations pédagogiques, de penser les gestes professionnels en synchronie en présence et à distance, mais aussi de façon asynchrone (conception de cours et d’activité et choix des outils adaptés, animation à distance, …), et l’étayage dans un contexte de distanciel.

L’École a-t-elle franchi le pas vers une « acculturation numérique » ?

Sylvain Rivière :

Sans forcément affirmer que l’École a franchi le cap de « l’acculturation numérique », on peut dire que les difficultés liées à la pandémie actuelle et les constats dressés ont conduit l’ensemble des acteurs de l’Education à réagir :

  • Les enseignants ont déployé des efforts considérables en ce qui concerne le suivi de leurs élèves, ainsi qu’une grande créativité pour proposer des contenus et une pratique qui, jusqu’ici, était éloignée de la norme en matière d’enseignement.
  • Les cadres ont fortement sollicité et facilité la mise en place d’actions de formation à destination des personnels, de manière à anticiper de nouvelles crises.
  • L’Institution et les collectivités ont renforcé leurs investissements sur la question du numérique, par des dotations importantes de matériel à destination des élèves mais aussi des personnels, ou par le développement et le déploiement de nouvelles formations.

Jean-François Cerisier :

1 cerisier20211126 093303 Beaucoup se sont mobilisés dans l’urgence (parents, personnels et services de l’Éducation et des collectivités territoriales, associations…) et ont joué un rôle essentiel. Parmi eux, les entreprises du secteur EdTech se sont engagées selon des modalités parfois inédites et peu documentées pour apporter une aide à l’échelle nationale mais aussi plus locale. Malgré le manque d’anticipation, beaucoup d’initiatives ont ainsi été prises par les uns et par les autres, du plus près du terrain au plus haut niveau de nos institutions. C’est cette dynamique qui a permis de limiter les dégâts, même si elle ne pouvait les éviter tous. Un enseignement peut en être tiré de cette situation.

L’éducation est un processus qui repose sur l’équilibre d’un écosystème où l’amélioration de l’efficacité de l’École pour réaliser sa promesse éducative équitable et inclusif repose sur sa capacité à construire des alliances.

Anne Veghte Quatravaux :

Il y a eu de grandes disparités au sein d’un même établissement. Cette disparité dans les pratiques dépend du niveau de maîtrise des outils numériques et de l’aisance de l’enseignant vis-à-vis de sa pratique d’enseignement en général. Il est plus facile de se remettre en question lorsqu’on a confiance en ses compétences. Souvent, les enseignants qui ont un peu d’expérience sont plus aptes à prendre un recul réflexif sur leur pratique.

Et ces transformations prennent du temps car il s’agit véritablement d’une question culturelle, qui impacte non seulement la communauté éducative (le regard porté sur le rôle de l’enseignant, de l’élève et de la famille), mais également la société dans son ensemble : la réalité de la crise sanitaire vient bousculer le rapport à l’institution scolaire qui est très particulière en France si l’on compare avec d’autres pays pourtant assez similaires.

Comme pour tout phénomène culturel, le changement s’opère sur du long terme et progressivement. Or, les épisodes de confinement et d’enseignement à distance ne sont pas si lointains. Le recul nécessaire pour analyser et tirer les conséquences de ces bouleversements suppose du temps et une réflexion globale et confrontant différents points de vue.

L’activité quotidienne de reprise des cours a impliqué que ce temps de réflexion collective n’a pas vraiment eu lieu même si des jalons ont été posés par exemple grâce aux états généraux du numérique. De plus, un accompagnement des enseignants notamment dans une démarche de recherche action s’avèrerait certainement fort utile, il serait donc nécessaire de mon point de développer une imbrication plus intense entre la recherche et les actions de terrain dans les établissements.

Avec la généralisation du numérique, est-il possible de gérer les dangers qui apparaissent au détour d’usages et de comportements pas toujours maîtrisés ?

Anne Veghte Quatravaux ne sait pas si ce sera possible, mais affirme qu’il est absolument nécessaire en tout cas de renforcer la connaissance du fonctionnement du numérique et des réseaux. Et c’est le rôle essentiel de l’école. Renforcer les compétences numériques des élèves ET des parents (car les modèles familiaux sont fondamentaux comme dans tout apprentissage culturel).

C’est fait en partie grâce au CRCN (Cadre de Référence des Compétences Numériques) qui a le mérite d’apporter de la clarté sur les compétences et leur niveau d’acquisition ; et à Pix (service public en ligne pour évaluer, développer et certifier les compétences numériques). Mais il faut que tous les enseignants s’en emparent et aient conscience de l’importance de la maîtrise de ces compétences, non seulement pour pouvoir être à l’aise dans le monde professionnel mais aussi pour devenir un citoyen éclairé (être capable d’exercer son esprit critique face aux informations qui circulent sur les réseaux, savoir comment protéger ses données personnelles, comprendre l’impact environnemental de ses pratiques numériques, etc.). Il y a aussi tout le travail qui est fait en EMI (Éducation aux Médias et à l’Information).

Quelles sont les perspectives de la Recherche, notamment sur le rôle de l’Intelligence Artificielle dans les enseignements et apprentissages ?

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Jean-François Cerisier :

Véritable pharmakon, le numérique a joué un rôle considérable pour le maintien de la médiation pédagogique mais il a également amplifié les difficultés de certains élèves, souvent corrélées à des déterminants sociaux.

L’expérience contrainte de l’enseignement à distance s’est avérée difficile. S’il a souvent été dit que cette obligation de transformation des pratiques pédagogiques avait accéléré l’appropriation des techniques numériques par les enseignants, on peut en douter. Sans nier leur valeur ni leur étendue, les apprentissages réalisés par les enseignants dans ce domaine se limitent pour l’essentiel à ce que l’on peut apprendre par l’expérience en situation d’urgence. C’est-à-dire beaucoup mais pas assez pour couvrir les besoins d’une véritable ingénierie pédagogique de l’enseignement hybride et/ou à distance, voire de l’utilisation des techniques numériques en situation présentielle ordinaire. Pour certains enseignants même, la dureté de l’expérience vécue se traduit par une forme de rejet du numérique.

En fait, c’est une grande diversité des situations individuelles qui s’exprime et qui appelle une meilleure prise en compte du numérique dans le projet de l’École, avec ses partenaires.

C’est enfin le potentiel des équipements et ressources numériques qui est interrogé. La mobilisation de certaines techniques d’intelligence artificielle, par exemple, propose des aides aux enseignants, notamment pour la personnalisation des parcours d’apprentissage, précieuse en temps de confinement comme en régime ordinaire de fonctionnement des établissements scolaire. Là encore, le « solutionnisme » n’est pas le bon mode de raisonnement et la problématique centrale est celle de l’ingénierie pédagogique, au cœur du métier de l’enseignant.

Anne Veghte Quatravaux :

L’IA pourrait permettre d’assister l’enseignant dans le suivi individualisé de l’élève, les premières applications sont en cours de parachèvement (Captain Kelly, Pi2A-Cogniclasse, cf Nancy-Metz Gramex https://dane.ac-nancy-metz.fr/gramex/ IREMIA pour le climat scolaire).

L’IA permet déjà d’assister l’enseignant pour la différenciation surtout au bénéfice des élèves en difficulté sur des tâches d’aide à la mémorisation, l’enseignant restant essentiel sur l’analyse des freins qui empêchent l’élève d’accomplir une tâche complexe ou l’empêchent de progresser.

La réalité virtuelle propose aussi des applications comme Virtual Construct qui permettent à l’élève de s’entraîner à des compétences métiers et sécurité parfois périlleuses comme certains postes chantiers dans le BTP (casque VR et manette) et retour vers l’enseignant sur la plateforme pédagogique

Comment pourrait évoluer le monde de l’éducation pour « l’École d’après » ? Que faudrait-il changer en termes de pratiques, d’organisation, de formation, d’encadrement, pour faire entrer l’école dans l’ère du numérique ?

Cecilia Pinto :

Il faudrait profiter de ce moment où l’institution est bousculée pour remettre en question la forme scolaire et entamer “une révolution” ou une très grosse évolution pédagogique car force est de constater que ce n’est pas (encore !) le cas aujourd’hui : nombre d’élèves par classe, organisation de l’emploi du temps et des heures de cours, nombre de professeurs par groupe etc.

Contrairement aux gouvernements scandinaves qui optent pour une politique sur le long terme (même en cas de changement de parti politique), en France, chaque nouveau ministre de l’Education Nationale piétine les actions de son prédécesseur et repart de zéro, Il y a un problème de politique éducative sur la durée.

Actuellement, dans notre pays, on mise tout sur l’équipement. Le numérique est l’objet d’apprentissage, mieux vaut éduquer au numérique qu’avec le numérique. Même si dans ma discipline, en langues vivantes, le numérique apporte une grande plus-value, il y a également beaucoup de gadgets et de substitution qui ne favorisent pas les apprentissages.

Beaucoup de parents se posent la question du temps d’écran en classe. Pour exemple, lors d’un projet tel que la conception collaborative d’un guide touristique d’Amérique Latine, sur 6h de cours les élèves ont travaillé 4h sur le contenu avec un papier crayon et 2h sur la tablette pour la réalisation et la publication de leur livre. L’écran dans ce contexte n’a aucune importance, car tout seul il n’est pas performant ; ici le numérique n’est pas un acteur, mais un vecteur.

Pour Sylvain Rivière, les perspectives conduisent à agir dans trois directions :

  • Repenser les usages des locaux scolaires :

Le collège Eugénie Cotton a participé à un appel à projets éducatifs innovants proposé par la collectivité de rattachement.

Ainsi, la traditionnelle salle de Permanence a disparu, au profit d’espaces plus restreints et dédiés à des thématiques précises, l’objectif étant d’accueillir des groupes d’élèves en fonction de leurs envies du moment.

L’élève peut donc travailler autrement dans une salle au mobilier adapté, station debout avec des conditions matérielles qui favorisent le travail de groupe et la coopération. D’autres espaces existent, ils sont 6 au total : des espaces pour jouer, pour se détendre, pour créer…

Le choix est donc laissé à l’élève, qui détermine sa façon d’occuper son temps « libre ». Un travail est actuellement mené pour que les jeunes puissent aller plus loin et être réellement acteurs de leur temps de vie en dehors des temps de cours.

  • Réaffirmer le numérique comme un outil au service de la pédagogie :

Dans un monde où le numérique est très souvent présenté comme une réponse à bon nombre de questions, il semble important de réaffirmer qu’en matière de pédagogie, le numérique doit rester un outil de travail destiné à faciliter la transmission des apprentissages et à favoriser l’autonomie des élèves face à ces apprentissages.

  • Renforcer l’éducation au numérique :

Nos jeunes sont, nous le savons, surexposés aux écrans, mais ne savent pas forcément utiliser les outils numériques à leur disposition. Si on souhaite favoriser le développement d’une utilisation éclairée de ces outils, le travail quotidien mené auprès des élèves et de leurs familles doit être poursuivi et intensifié.

Anne Veghte Quatravaux : Les perspectives doivent être dégagées d’un temps de réflexion commune des acteurs au niveau de l’établissement mais aussi plus largement. Certains chefs d’établissement ont mis en place cette réflexion dans le cadre de conseils pédagogiques ou de commissions numériques autour des pratiques de l’enseignement à distance ou de l’enseignement hybride. Les cadres ont un rôle essentiel dans ce processus, mais ils sont pris par les contraintes des adaptations sanitaires, des réformes et autres.

Au niveau des pratiques basiques, il est essentiel d’acculturer les élèves à l’ENT (Environnement numérique de travail) qui doit devenir un outil de cours au quotidien de façon à ce que le passage en hybridation puisse se faire le mieux possible. Cela pose le problème du nombre de salles informatiques ou d’équipements de tablettes/classes mobiles dans les établissements et de connexion wifi. La région Occitanie équipe tous les élèves de lycées d’un ordinateur portable. La question de l’équipement des enseignants est également cruciale. Les familles doivent être également accompagnées par les acteurs sociaux de terrain, de préférence en lien avec les établissements (médiateurs numériques de quartier, les CAF, la Trousse à projets, etc.)

Afin que les usages numériques porteurs de plus-value pédagogique puissent se développer à la fois en présence mais aussi dans la perspective d’un enseignement hybride ou à distance, il est extrêmement important que les différents acteurs de l’éducation puissent mener des actions concertées sur les territoires.

Un après États généraux du numérique est souhaitable, c’est d’ailleurs ce qui se profile au niveau des TNE (Territoires Numériques Éducatifs) actuellement en expérimentation qui combine de l’équipement, de la formation pour les enseignants, de l’accompagnement des parents et de l’évaluation du dispositif par la recherche. Cependant il serait intéressant que la recherche puisse être plus présente dans la construction des pratiques et qu’un regard global puisse être porté sur le parcours de l’élève (sans séparation dans les équipements et les pratiques entre école/collège/lycée).

Soyons utopiques, peut-être faut-il un décloisonnement des niveaux et des disciplines. Cela implique un rapport nouveau à l’apprentissage et à l’enseignement, de nouveaux espaces et de nouveaux temps scolaires, et un élève qui soit plus acteur de son parcours. C’est un changement culturel majeur qui ne se fera pas tant que la société n’a pas interrogé son rapport à l’école.

Jean-François Cerisier :

Finalement, l’enseignement le plus éclairant de ces deux dernières années est que seule une vision écosystémique de l’éducation -et du numérique dans l’éducation- garantit à la fois la résilience indispensable des institutions éducatives et leur capacité à évoluer. La mise à l’épreuve de la forme scolaire dans ses dimensions les plus fondamentales par les contraintes sanitaires (reconfiguration des espace-temps scolaires, reconfiguration de la médiation pédagogique et éducative, transformation des activités d’apprentissage…) a souligné l’interdépendance des acteurs de l’École et de leurs apports respectifs.

Sont ainsi, parmi beaucoup d’autres problématiques, réinterrogées les questions de la co-éducation (et notamment de place et du rôle des parents), de l’articulation des politiques publiques nationales et territoriales (pour le déploiement d’infrastructures, d’équipement des élèves…), de la construction et de la régulation des marchés de ressources et services numériques, de la place de la recherche aux côtés de tous les autres acteurs, du rôle des opérateurs en appui des politiques publiques…  L’interdépendance positive, celle qui sert tout autant les intérêts particuliers que l’intérêt général suppose le développement d’une culture du partenariat et de la collaboration. Elle s’est esquissée durant le confinement et il appartient à tous de contribuer à ce que cette dynamique écosystémique se renforce et se structure. 


Ces témoignages et réflexions nous ont montré des voies à explorer pour tirer le meilleur parti de la période de crise que viennent de vivre tous les acteurs de l’École. Nous pouvons dès lors nous appuyer sur ce que la crise a révélé d’essentiel pour aller vers un nouvel élan de l’école avec le numérique.

 

Force est de constater que le numérique a introduit au fond un changement de culture aussi bien dans la vie scolaire que dans la pédagogie quotidienne, des transformations qui s’installent peu à peu grâce à la prise de conscience d’une nécessaire interdépendance de tous les acteurs. Le numérique apparaît désormais comme la culture qui s’installe aux fins de décloisonnement de l’ensemble des acteurs et des activités : enseignants, parents, élèves, chefs d’établissements, Dane, collectivités territoriales, tous acteurs désormais en mesure de construire un continuum éducatif à toutes les étapes de la mise en œuvre des actes d’enseignement et d’apprentissage. Il nous appartient désormais d’œuvrer ensemble à la construction de ces écosystèmes vertueux grâce auxquels le système éducatif pourra tirer toute la force que le numérique est en mesure de lui apporter.

Michel Pérez

Dernière modification le mercredi, 24 août 2022
Pérez Michel

Président national de l'An@é de 2017 à 2022. Inspecteur général honoraire de l’éducation nationale (spécialiste en langues vivantes). Ancien conseiller Tice du recteur de Bordeaux, auteur de nombreux articles et rapports sur les usages pédagogiques du numérique et sur la place des outils numériques dans la politique éducative.