Quand l’école s’ouvre, les élèves changent
Cyrille Savary, principal du collège Arthur Rimbaud -LATILLE, l’a rappelé avec force : c’est lorsqu’il a commencé à ouvrir largement son établissement aux partenaires du territoire que les résultats de ses élèves se sont transformés. Dans son collège rural, pourtant déjà engagé dans un dispositif numérique, c’est l’arrivée de nouveaux acteurs – centre socio-culturel, animateurs jeunesse, associations, communes voisines – qui a donné un souffle nouveau au climat scolaire.
Selon lui, cette dynamique ne consiste pas à accumuler des intervenants, mais à créer de véritables alliances : des projets où chacun agit non comme un prestataire, mais comme un partenaire engagé dans un même projet éducatif. Les élèves ne bénéficient pas seulement d’activités supplémentaires ; ils vivent une continuité éducative qui dépasse la seule salle de classe.
De son côté, Nathalie Belin, proviseure adjointe de la cité scolaire d'Arsonval, observe un phénomène similaire au lycée, mais avec un autre défi : la réforme du lycée et l’explosion des spécialités ont rendu les parcours plus riches… mais aussi plus fragmentés. L’enjeu est alors d’inventer des espaces où ces trajectoires individuelles retrouvent du collectif, où les disciplines se croisent et où les projets redonnent du sens commun à des élèves dispersés dans leurs choix. Dans son établissement, c’est l’interdisciplinarité et l’approche par compétences – qu’elle a également expérimentées à l’université – qui permettent de recréer ces liens.
Le numérique : une opportunité, mais aussi un risque si l’on ne comprend pas les usages réels
Jean-François Cerisier, professeur des Universités à Poitiers et membre du laboratoire Techné, en historien du numérique éducatif, a rappelé que les outils introduits depuis les années 1990 ont souvent encouragé l’individualisation plutôt que la coopération. Après une période enthousiaste autour des projets collaboratifs, la tendance actuelle revient massivement vers la personnalisation, notamment via les outils adaptatifs et les IA.
Or, cette personnalisation – si elle peut être utile – fait peser un risque majeur : le renforcement des inégalités, en isolant les élèves au lieu de les faire apprendre ensemble.
Cette question de l’écart entre les outils proposés par l’institution et les pratiques réelles des jeunes a été longuement discutée. Nathalie Belin a souligné combien les adultes – enseignants comme parents – surestiment encore l’usage des moteurs de recherche traditionnels. Les adolescents, eux, interrogent leurs réseaux sociaux, puis de plus en plus souvent… les intelligences artificielles. Si l’école ignore ces pratiques, elle construit des réponses décalées.
Pour la CNIL, représentée par Xavier Delporte, directeur des relations aux publics, cette situation pose aussi des questions de citoyenneté : protection des données, manipulation de l’information, exposition aux contenus trompeurs. L’école ne peut faire face seule à ces enjeux ; elle doit s’appuyer sur la communauté éducative élargie. Mais, paradoxalement, les acteurs du même territoire se connaissent souvent mal. C’est en créant des espaces de rencontre et de coopération que l’on parvient à bâtir des actions cohérentes, comme l’a montré l’exemple marseillais évoqué lors de la table ronde.
Le territoire, acteur souvent invisible et pourtant indispensable
L’intervention de Romain Briot, directeur adjoint de la cohésion sociale et territoriale (Intercommunalités de France), a éclairé un autre enjeu majeur : celui du rôle des intercommunalités. Bien que moins visibles que l’Éducation nationale, elles sont devenues des acteurs incontournables de l’action publique locale. Leur raison d’être – mutualiser, coopérer, décloisonner – correspond précisément aux besoins actuels de l’école. Les élèves ne vivent pas dans des frontières administratives : ils circulent dans un bassin de vie. C’est donc à cette échelle que peuvent se coordonner les politiques éducatives, sociales, culturelles et sportives.
Mais ce travail se heurte à deux réalités. D’abord, les appels à projets de l’État, qui alternent phases d’impulsion et phases d’abandon, créent mécaniquement des inégalités territoriales. Ensuite, tous les territoires n’ont ni les mêmes richesses ni les mêmes capacités de coopération. Pour que l’école et les collectivités travaillent efficacement ensemble, il faut du temps, de la visibilité, de la stabilité… et une confiance qui se construit lentement.
Replacer l’élève au cœur : les compétences humaines comme boussole
Un thème a traversé toute la discussion : celui des compétences psychosociales. Pour Cyril Savary, elles sont désormais essentielles pour que les élèves puissent naviguer dans un environnement numérique complexe et dans des relations sociales parfois fragilisées.
Dans son collège, elles constituent même un pilier du projet d’établissement. L’approche choisie est simple : développer l’esprit critique, la coopération, la communication, l’engagement, en créant des situations concrètes – une web-radio, une classe média, des projets locaux – qui permettent aux élèves de se sentir acteurs.
Ce recentrage sur l’élève rejoint une idée forte partagée par tous les intervenants : les innovations éducatives ne peuvent émerger que si l’on autorise les enseignants à expérimenter, à tenter, à ajuster, à se tromper. La créativité pédagogique, comme la confiance avec les élèves, ne naît pas de circulaires mais de marges de liberté.
Vers une école qui pense avec son territoire
Au terme de cette table ronde, une conclusion s’impose : la transformation de l’école ne se fera pas par une réforme unique, ni par un dispositif miracle. Elle se construira par capillarité, à partir des initiatives locales, des rencontres, des projets communs, des interactions quotidiennes entre établissements, collectivités, associations, familles et élèves.
L’école ne peut plus être pensée comme un lieu autonome. Elle est devenue un organisme vivant, traversé de flux, d’acteurs, de temporalités multiples.
Pour les enseignants, cela ouvre des perspectives nouvelles : moins d’isolement, davantage de collaborations, une meilleure compréhension des usages numériques réels, des projets plus ancrés dans la vie quotidienne des jeunes. Cela demande aussi de sortir des silos et d’accepter que l’éducation se construise désormais à plusieurs.
Comme le rappelle Xavier Delporte, il y a beaucoup de raisons d’être optimiste : partout, des démarches innovantes existent, souvent modestes, parfois exemplaires, et elles transforment réellement la vie des élèves. L’enjeu des prochaines années sera de les valoriser, de leur donner de la visibilité, et surtout de les adapter aux réalités locales plutôt que de les dupliquer mécaniquement.
C’est peut-être ainsi que l’école redeviendra ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un milieu vivant, ouvert, relié, où chaque élève trouve sa place et peut y grandir pleinement.
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Dernière modification le mercredi, 26 novembre 2025






