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Après avoir explicité la spécificité de l’activité de recherche d’information sur internet et les difficultés qui en découlent pour les élèves dans un article précédent (cf., article 1), nous allons, ici, présenter des pistes concrètes de pratiques pédagogiques pouvant faciliter l’acquisition, en amont, des compétences nécessaires. En effet, malgré la croyance d’un effet digital native où les jeunes élèves étant nés avec internet devraient maîtriser l’outil, l’activité de recherche en ligne confronte bel et bien les élèves à de nouvelles difficultés.

Pour se faire, une revue partielle de la littérature existante des années 1980 à aujourd’hui sera synthétisée afin de pouvoir questionner, au travers d’un angle de vue global, l’utilisation d’internet en milieu scolaire. Cette discussion est on ne peut plus actuelle de par la publication récente des résultats recueillis en 2016 par l’enquête internationale ePIRLS (Progress in International Reading Literacy Study) portant sur la compréhension de l’écrit sur internet des élèves de CM1 (Mullis, Martin, Foy & Hooper, 2017).

Avant que les élèves ne commencent cette activité complexe de recherche d’information parmi la multitude d’informations disponibles sur internet, quelques connaissances sur lesquelles ils pourront s’appuyer peuvent leur être transmises.

Les connaissances métatextuelles et le fonctionnement d’un moteur de recherche

Un enseignement portant sur les connaissances métatextuelles (structure des textes, utilisation de la table des matières, des titres, des liens hypertextes…) ainsi que sur le fonctionnement d’un moteur de recherche permettrait une recherche d’information plus efficace. 


Ainsi, Potocki (à paraître) a mis en évidence, grâce à l’enregistrement de leurs mouvements oculaires, de fortes différences entre 36 élèves de CM2 lors d’une tâche de recherche d’information dans un texte sur écran. Certains utilisent systématiquement les titres (fixent les titres) alors que d’autres ne les utilisent jamais. Ces différences sont dues à leurs capacités à mettre en œuvre certaines stratégies de lecture finalisée et non pas à leurs capacités en lecture-compréhension (cfarticle 1).

Un bon décodage et une bonne compréhension ne suffisent donc pas à la mobilisation de stratégies efficaces pour localiser l’information dans un document électronique. L’apprentissage de ces stratégies de recherche d'information (la métacognition) représente, bel et bien, un enjeu pédagogique au même titre que l’apprentissage de la lecture-compréhension classique. 


La mise en œuvre de ces stratégies repose sur l’acquisition de connaissances à propos de la navigation sur internet, de la gestion des multiples liens présentés par le moteur de recherche et de l’identification des indices disponibles via la structure des textes et des sites (Coiro & Dobler, 2007).

Même si ces connaissances se développent avec l’âge, elles semblent pouvoir s’acquérir avec l’entraînement. En effet, dans le cadre de recherches d’information sur documents papier, Coutelet et Rouet avaient mis en place en 2004 un programme d’entraînement en classe sur 5 semaines à raison d’une séance de 30 minutes par semaine chez 41 élèves de CE2 et CM2. Les exercices de recherche d’information dans 12 textes (sous un format courant dans les ouvrages documentaires, les manuels scolaires et sur internet) proposés dans le cadre de ce programme étaient réalisés de manière individuelle. Ensuite, les élèves évaluaient, en groupe, les réponses formulées et tentaient de dégager la meilleure parmi celles proposées.

De manière générale, si l’on ne fait pas de distinction d’âge, les groupes (un de CE2 et un de CM2) ayant bénéficié du programme d’entraînement ont eu des meilleures performances en recherche d’information que les 2 groupes qui n’en ont pas bénéficié. En effet, ces groupes n’utilisent plus de stratégies primitives, c’est-à-dire que les élèves ne lisent plus le texte en entier, alors que 20 % des élèves appartenant aux 2 autres groupes les utilisent encore. Après l’entraînement, les élèves sont tous capables de prendre en compte les indices métatextuels (même si c’est avec plus ou moins de réussite).

Ces résultats ont permis de réaffirmer que les capacités de recherche d’information s’acquièrent avec l’âge.

Ainsi, avant l’entraînement, les CM2 ont de meilleures performances que les CE2 : ils sont deux fois plus rapides pour trouver l’information pertinente. Toutefois, l’entraînement permet d’améliorer les performances des plus jeunes élèves, alors capables d’utiliser des stratégies élaborées, c’est-à-dire qu’ils s’appuient sur les indices métatextuels pour réaliser leur recherche d’information. 

Dans le cadre de recherches d’information sur internet, si l’on compare 2 études menées par Bilal (2001) au début des années 2000, les résultats semblent indiquer que le fait d’avoir déjà utilisé un moteur de recherche pour enfants lors de la 1re expérience améliore les performances de recherche d’information sur ce même moteur lors de la 2e expérience.

L’entraînement à l’utilisation d’un moteur de recherche dans le cadre d’exercices scolaires guidés par les enseignants permettrait donc de rendre la recherche d’information plus efficace. Ces résultats sont toujours valides actuellement, si l’on s’appuie, par exemple, sur l’édition 2011 de l’enquête internationale PISA (OECD, 2011) incluant pour la première fois des exercices de lecture sur support numérique et qui a montré que la capacité de navigation d’une page à l’autre explique, en partie, la variation de performances entre les élèves à ces exercices.

Les connaissances sur les différents niveaux d’information existants

L’acquisition de connaissances sur les différents niveaux d’information existants est également une composante essentielle à la réussite d’une tâche de recherche d’information.

Par exemple, pour répondre à la question « Qu’est-ce qui est arrivé à Pierre cet hiver au ski ? », le texte peut contenir l’information de manière explicite, « Cet hiver, Pierre a fait une mauvaise chute au ski, il s’est cassé la jambe », ou de manière implicite, « Cet hiver, Pierre est allé au ski. Il est revenu avec la jambe plâtrée ». Dans cette dernière phrase, la réponse est suggérée, le lecteur doit mettre en œuvre un processus d’interprétation pour dégager l’information implicite.


Pour comprendre l’importance de distinguer ces différents niveaux d’information, reportons-nous à un programme d’entraînement de 10 semaines, visant à sensibiliser 217 élèves de CM2 et de 4e aux divers niveaux d’information potentiellement disponibles dans un document papier. Les résultats de ce programme ont montré que l’entraînement avait permis d’améliorer les réponses des élèves (Raphael & McKinney, 1983).

En effet, les enseignants (après avoir été formés par les expérimentateurs) sensibilisaient les élèves au fait que les informations peuvent être disponibles de manière explicite ou implicite dans un texte. Elles peuvent venir compléter les éventuelles connaissances préalables du lecteur à propos du domaine concerné.

Pendant une phase d’entraînement de 2 semaines, les élèves réalisaient divers exercices dans lesquels ils devaient répondre à des questions en indiquant si, pour trouver l’information pertinente, ils avaient dû localiser une information explicitement écrite ou réfléchir et chercher dans le texte, ou s’ils le savaient déjà sans avoir besoin de chercher. Cet entraînement était suivi de 6 leçons pour maintenir les connaissances acquises sur les différents niveaux d’information existants à raison d’une leçon par semaine et, enfin, par la phase de test durant laquelle les élèves devaient répondre à 18 questions.

Les résultats montrent l’effet bénéfique du programme, en particulier concernant la sensibilisation à l’existence d’informations implicites. Ils font également écho aux pratiques éducatives au primaire au sein desquelles les élèves sont le plus souvent exposés à des textes narratifs accompagnés de questions nécessitant de trouver des informations explicites.

Avec l’entrée au collège, les textes se complexifient, se diversifient et prennent souvent la forme de textes documentaires où répondre aux questions nécessite d’associer plusieurs morceaux d’information éparpillés ou encore de réaliser des inférences (Rouet, 2007). Il pourrait alors être intéressant d’introduire progressivement, et en accompagnant les élèves, des contenus implicites dans les documents étudiés exigeant qu’ils analysent plus en profondeur le texte pour pouvoir répondre aux consignes. 


Ces résultats sont obtenus à partir d’un matériel constitué de textes imprimés mais ils viennent questionner les actuels usages documentaires d’internet, notamment en situation scolaire. En effet, des études plus récentes décrivent l’interface dynamique et la recherche d’information non linéaire qu’impose la structure des moteurs de recherche et des sites web comme exigeant des capacités d’inférences, c’est-à-dire de déduction sur le contenu caché derrière un lien ou un hypertexte, pour une navigation efficace (cfarticle 1, Coiro & Dobler, 2007 ; Henry, 2006 ; Leu et al., 2011 ; Rouet, 2006). Ces pratiques impliquent des compétences spécifiques de traitement des informations implicites. Ces compétences doivent être développées à l’occasion d’activités d’apprentissages dédiées.

Les connaissances sur les stratégies de recherche existantes

Des connaissances sur quelles stratégies peuvent être mobilisées et sur comment les utiliser permettent, également, aux élèves de réaliser leur activité de recherche d’information de manière plus efficace, que ce soit sur des textes imprimés ou sur internet. 


En effet, Garner, Macready et Wagoner (1984) ont montré que des lecteurs de 9 ans à qui l’on a appris à « retourner en arrière » dans un texte explicatif imprimé pour trouver les réponses à 5 questions posées utilisent cette stratégie et sont récompensés pour leurs efforts car ils parviennent mieux à localiser les informations pertinentes par rapport aux sujets du groupe contrôle (à qui l’on n’a pas appris cette stratégie).

Ces résultats permettent de mettre en perspective les résultats de l’étude ePIRLS (Mullis et al., 2017) qui montre que la majorité des élèves interrogés n’a pas revisité les anciennes pages web au cours des exercices proposés mais que les 17 % qui l’ont fait sont ceux qui ont les meilleurs résultats à cette évaluation internationale (sur les 14 pays participants, la France n’en faisant pas partie). De plus, faire la distinction entre la pertinence et l’importance d’une information est primordiale.

Comme indiqué dans l’article précédent (cfarticle 1) les comportements de sélection de liens hypertextes parmi une liste prédéfinie d’élèves de 11 à 15 ans restent en grande partie impulsifs et dépendants d’indices superficiels (mots clés en majuscules, par exemple) plutôt que de la pertinence réelle des contenus (Rouet, Ros, Goumi, Macedo-Rouet & Dinet, 2011). Il faut donc former les élèves pour les aider à passer d’une stratégie basée sur la cohérence apparente du texte (par exemple : « Ce qui est important c’est ce dont le texte parle en premier », « […] ce qui est écrit plus gros », « […] ce qui est répété souvent », etc.) à une stratégie basée sur la pertinence (par exemple : « Ce qui est pertinent c’est ce qui va me servir à réaliser mes objectifs »).


De manière plus générale, l’activité de recherche d’information peut se définir comme une lecture guidée par des objectifs.

Ainsi, sans une bonne perception par l’élève des besoins d’information associés à une tâche de lecture, il ne peut y avoir de planification de la recherche, planification pourtant essentielle pour une mise en œuvre de stratégies pertinentes (modèle MD-TRACE, Rouet & Britt, 2011). Il est, donc, important de s’assurer que l’élève a bien compris la consigne et il est nécessaire de s’attarder sur l’explicitation des questions car elles serviront de guide pour l’élève tout au long de sa lecture.

D’après Rouet (2012), un travail préparatoire visant à approfondir la compréhension des objectifs a des effets bénéfiques sur les performances de recherche d’information.

La qualité de cette étape préliminaire est d’autant plus importante lorsque la recherche d’information a lieu sur internet de par la complexité de sa structure non linéaire et la quantité des informations disponibles face auxquelles les élèves peuvent rapidement perdre de vue leurs objectifs initiaux.

Concrètement, il semblerait que poser une « question sur la question », du type : « Selon toi, qu’est-ce que tu dois trouver dans le texte pour pouvoir répondre à cette question ? », aiderait les élèves à évaluer leur compréhension de la consigne et à planifier leur activité de recherche de manière efficiente. 

Les connaissances métacognitives et métatextuelles sur lesquelles les élèves peuvent s’appuyer sont donc primordiales. Mais surtout, il est essentiel de les guider, en amont, vers l’utilisation de ces connaissances. En effet, à cet âge, les élèves ont les capacités cognitives pour mobiliser ces connaissances mais, d’une part, elles ne sont pas forcément acquises de par l’absence d’un enseignement explicite, et d’autre part, même si elles le sont, les élèves ne les utilisent pas de manière spontanée. Ce manque d’automatisation peut être dû à une mobilisation non systématique de ces connaissances lors des exercices proposés en classe. Ainsi, cela renforce l’intérêt d’interventions pédagogiques allant dans ce sens.

Conclusion

Comme démontré dans l’article précédent (cf.article 1), la recherche d’information sur internet est une activité complexe nécessitant l’acquisition de connaissances et de stratégies, en partie, spécifiques.

Dans le contexte actuel de la diffusion de l’utilisation du numérique à l’école, l’apprentissage de ces compétences représente un enjeu pédagogique majeur.

D’après les résultats d’ePIRLS (Mullis et al., 2017), l’utilisation d’ordinateurs en classe est associée à de meilleures performances à cette évaluation internationale alors que le fait de lire et de chercher des informations sur internet tous les jours n’a pas d’impact.

Ce n’est donc pas le temps passé sur un ordinateur qui importe mais la manière dont on utilise les moyens d’accès à l’information. Ainsi, les résultats des recherches scientifiques sur des interventions pédagogiques orientées vers l’apprentissage de ces compétences spécifiques doivent être pris en compte par les acteurs pédagogiques afin de pouvoir prétendre à l’amélioration des performances en recherche d’information sur internet des élèves de primaire et de collège. Ici, l’enjeu pédagogique se situe plus dans l’acquisition préalable de connaissances sur le fonctionnement des moteurs de recherche, sur la structure des sites web, sur les stratégies de recherche existantes…Si l’élève maîtrise cela, alors il aura plus de chance d’être en capacité d’appréhender un exercice nécessitant une recherche d’information sur internet même sur un sujet qu’il ne connaît pas (et c’est une situation qui se présente souvent dans le contexte scolaire). Dans le 3e et dernier article de cette série, nous allons voir que des outils de support efficaces à l’activité de rechercher d’information existent et qu’une présentation optimale de cet exercice est aussi un facteur à prendre en compte.

Julie Ayroles, Doctorante en psychologie cognitive, CeRCA et Réseau Canopé
Dernière modification le jeudi, 29 mars 2018
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Les usages du numérique éducatif : L'Agence nationale des usages du numérique éducatif est un site web de référence qui vise la compréhension des enjeux liés à l’évolution des pratiques professionnelles des enseignants dans un contexte numérique. Cette publication présente une veille sur les outils, ressources, services pédagogiques numériques pour l’Éducation, des résultats de la recherche internationale, des expériences d’utilisateurs dans la conduite des actions d’enseignement et d’apprentissage et une observation en continue des processus « usages » mis en œuvre dans le cycle de vie des projets technico-pédagogiques.

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