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Une équipe de scientifiques de l’université d’Oxford a publié en juin 2025 une liste les 24 pays*, à peine plus de 10 % des nations du monde, qui disposent des infrastructures de stockage de données nécessaires pour entraîner l’intelligence artificielle (IA). Un tel déséquilibre en dit long sur le fossé de plus en plus profond qui tend à fracturer le monde pour l’accès à une technologie majeure. *Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Australie, Autriche, Bahreïn, Belgique, Brésil, Canada, Chili, Chine, Corée, Émirats arabes unis, Espagne, États-Unis,France, Inde, Indonésie, Irlande, Israël, Italie, Japon, Taïwan, Thaïlande.

Sans surprise le Top 3 des pays ou régions les mieux équipés sont les États-Unis, la Chine et l’Union Européenne. Réciproquement l’Amérique Latine et l’Afrique sont les grands perdants de cette course technologique pendant que les pays du golfe investissent à tout va la richesse tiré de leur sous-sol afin de préparer la transition vers une économie post-pétrole.

On notera aussi la récente montée en puissance de l’Inde premier pays le plus peuplé du monde contrastant avec la polarisation de la Russie sur les applications militaires ;

A défaut de faire un inventaire exhaustif des forces et faiblesses des 198 pays du globe dans le domaine de l’IA une analyse globale des ressources donne la mesure de la capacité des uns et des autres à suivre la course menée par deux leaders dont les stratégies rivales sont au services de leurs ambitions sur leur zone d’influence respectives: l’Occident et et le Sud global

Etats-Unis

Berceau de la production industrielle de calculateurs à mémoire (IBM) et patrie d’un des fondateurs de l’Intelligence artificielle (John McCarthy) les États-Unis ont d’emblée pris une longueur d’avance dans les technologies numériques puis dans les IA.

Aujourd’hui il y a plus de 24.000 chercheurs en IA dans ce pays répartis dans des universités comme le M.I.T., l’université de Stanford,.., chez les géants de la Tech (Google, Méta,…) et dans large tissu de milliers de startups (500 créations en 2024). Cet écosystème géant attire les cerveaux du monde entier par son dynamisme, ses conditions de travail confortables et ses rémunérations généreuses.

Les super-ordinateurs les plus avancés et les plus puissants sont aux États-Unis qui disposent aussi du plus grand nombre de data centers ce qui leur confèrent un net avantage sur les concurrents. Pour exemple, d’après le Stanford AI index report, en 2024 les États-Unis affichaient 61 modèles de Large Language Models (LLM) contre 21 en Europe et 15 en Chine.

Des investissement colossaux ont permis l’émergence des premiers champions du numérique (Microsoft, Google, Facebook) qui ont qui saisi opportunité de l’IA et du deep learning pour renforcer leur croissance organique ou pour étendre leur marché par croissance externe consolidant un leadership mondial aux allures d’oligopole.

Ces chercheurs d’or (les données) font un chiffre affaires (CA) et des bénéfices colossaux, d’autres se contentent d’atteindre des valeurs boursières faramineuses et sans commune mesure avec leur activité débutante (ChatGPT génère 10 milliards de CA et Open AI, déficitaire, est valorisé 160 milliars de dollars). On n’oubliera pas non plus la bonne fortune de fournisseurs de composants critiques comme NVDIA – dont la valeur stratosphérique 4200 milliards de dollars le 18/7/25 dépasse le PIB de l’Allemagne qui est la 4ème économie mondiale ) – et leur position domination technologique « aux ordres » dans le cadre d’embargos décidés par les dirigeants de ce pays (guerre commerciale avec la Chine, sanctions anti-russes).

L’émergence de la concurrence chinoise et l’hubris politique poussent les États-Unis au « toujours plus » et à la surenchère comme on le voit dans le projet Stargate qui prévoit de mobiliser 500 milliards de dollars.

Dans ce pays les technologies numériques et l’IA sont aussi des armes silencieuses mais redoutablement efficaces comme l’ont montré l’affaire Snowden et le scandale Cambridge Analytica dont les spectres d’action ont dépassé les frontières U.S. avec une surveillance planétaire ou de l’ingérence dans des processus démocratiques (référendum Brexit)

Chine

À partir des années 2000, le secteur du numérique et internet sont classés au rang de priorités stratégiques et économiques au niveau national, comme en témoignent les différents plans quinquennaux.

Avec « Made in China 2025 », la Chine a lancé en 2015 un plan de mutation industrielle complété en 2017 par un plan de développement de l’Intelligence artificielle dans le cadrer du programme des « Nouvelles routes de la soie numériques » pour devenir le leader planétaire de l’IA d’ici à 2030.

Dès 2022 l’économie numérique chinoise est numéro deux mondial avec 50 mille milliards de yuans soit 41,5 % du PIB de la Chine. En 2024 le nombre d’articles de recherche chinois liés à l’IA liés à l’IA (23 695) a dépassé la somme des productions scientifiques dans ce domaine aux États-Unis (6378), au Royaume-Uni (2747) et dans l’Union européenne (10 055).

Avec DeepsSeek, la Chine vient de montrer sa capacité de créer des méthodes plus rapides pour construire des modèles de langages plus économes en ressources et en énergie pour faire tourner leurs grands centres de calcul.

Pour les dirigeant chinois l’IA est aussi un une boite à outil au service de son économie fragilisée par le déclin de sa démographie et donc de sa population active. Dès 2020 les autorités ont pris des mesures pour faire face au manque de main d’œuvre et la remplacer par des robots dans les usines, dans les transports, dans l’éducation, dans les services à la personne…

L’IA est aussi un outil de contrôle de la population. Avec sont réseau de videosurveillance (1 caméra pour 2 habitants) l’IA est au service au service du calcul du crédit social des citoyens et de la surveillance de minorités ethniques ou de dissidents.

L’IA chinoise est aussi un instrument dans les relations internationales et dans une politique d’influence : Échanges avec le Zimbabwe qui fournit les données biométriques de ses citoyens en contre des technologies IA chinoises, coopération avec l’Iran pour le déploiement de technologies de surveillance, …

Last but not least l’État-parti chinois et ses vassaux industriels ne se privent pas d’utiliser l’IA pour développer des technologies de persuasion afin de poursuivre des objectifs illibéraux et autoritaires, à l’intérieur comme à l’étranger par des moyens tels que des campagnes d’influence en ligne ou des opérations psychologiques ciblées.

Union Européenne

Les acteurs scientifiques et les les entreprises ont avancé en ordre dispersé et le potentiel de l’Union Européenne en matière d’IA est sous exploité. Elle est loin derrière les États-Unis et la Chine tant que son écosystème numérique n’est pas plus uni et que son financement reste l’otage de politiques budgétaires des pays membres asynchrones et insuffisantes qui ont ensablé le Plan Juncker de 2018 alors l’IA était qualifiée de “technologie stratégique majeure du XXIe siècle”.

A défaut d’avoir une politique de long terme et une cohésion des parties prenantes politiques et financières, l’Europe a travaillé sur l’éthique et a déployé cadres juridiques et réglementaires. S’ils sont décriés par les/certains « entrepreneurs », ils limitent le pillage de données (RGPD) et les abus (IA act) On notera que dans l’esprit comme dans la lettre ces référentiels sont repris dans d’autres pays (Israel, Japon, Royaume-Uni…

Pourtant, l’UE dispose des ressources essentielles : la production électrique, les réseaux de communication performants, des compétences saluées en mathématiques et informatique notamment.

Sans véritable union sur le sujet IA, point de salut ! Il faut espérer que le plan présenté par la Commission Européenne en février 2025 réussisse pour éviter un décrochage dommageable. Avec un investissement de 200 milliards d’euros (constitué d’un engagement de l’UE à hauteur de 50 milliards d’euros, qui s’ajoute aux engagements de 150 milliards d’euros venant de grands groupes réunis au sein de l”EU AI Champions Initiative’) on est en droit d’attendre de ce partenariat public-privé massif le développement d’une IA fiable et souveraine.

Le projet Open European Family of Large Language Models offre aussi l’opportunité d’un réveil de l’Europe avec un modèle de langage transparent couvrant l’ensemble des langues officielles de l’UE pour s’affranchir de la dépendance à OpenAI, Microsoft, Google ou DeepSeek. Son budget 37,4 millions d’euros est significativement plus faible que ce que mobilisent les US et la Chine certes, mais il peut rivaliser si sa stratégie est pertinente et réactive dans un secteur où le rythme des ruptures technologiques offre des opportunités à condition de préserver les compétences et de fluidifier les canaux de financements

Russie

Après avoir suivi un trajectoire parallèle à celles des pays occidentaux l’IA russe a véritablement décollé dans les années 2010 en exploitant les progrès de l’intelligence machine (Big data, machine learning) et l’élaboration, à la fin de la décennie, d’une stratégie nationale (on se souvient de la déclaration de Vladimir Poutine en 2017 lors d’une rencontre avec des étudiants «  Celui qui maîtrisera l’intelligence artificielle deviendra le maître du monde ».

Avec cette stratégie lancée en octobre 2019 le président russe a voulu placer son pays sur la carte des leaders, en mobilisant un budget de près de 6 milliards d’euros. Plus prosaïquement les dirigeants russes attendaient des développements de l’IA qu’ils apportent des solutions aux faiblesses chroniques du pays en matière de services publics, d’accès aux soins, de transports publics.

Ces projets civils on été ont été délaissés suite à l’invasion de l’Ukraine en février 2022 et la priorité a été donnée aux applications sécuritaires et militaires ainsi qu’aux cyberattaques sophistiquées menées par des mercenaires comme le groupe Wagner.

Aujourd’hui le discours officiel dit et répète que tout va bien. La réalité est bien différente : la Russie souffre d’une pénurie de semi-conducteurs et d’une fuite de cerveau massive.

Inde

Forte d’un savoir-faire dans le numérique développé depuis trois décennies , les sociétés d’informatique indiennes ont commencé à s’intéresser à l’IA dans les années 2000. Aiguillonée par la montée en gamme du voisin Chinois dans ce secteur, les dirigeants indiens donnent un coup d’accélérateur en 2018 avec la publication de la stratégie nationale sur l’intelligence artificielle. “AI for all”, l’intelligence artificielle pour tous.

La politique du gouvernement est de couvrit le maximum de domaines, avec deux objectifs : la croissance économique, et l’inclusion sociale, en encourageant l’innovation pour l’agriculture, de transports, la santé, l’éducation, etc.

Si le discours officiel affiche une volonté de jouer dans la cour des grands, il plaide aussi pour une éthique de l’IA et une gouvernance associant la société civile pour pour une intelligence artificielle “raisonnable” dont le think-tank gouvernemental NITI Aayog, a défini les principes en 2024.

L’écosystème indien de l’IA constitué de grandes compagnies comme Tata Consultancy Sevices, Infosys, Wipro, etc , d’ institutions académiques reconnues (The Institute of Technology) de plus de 200 start-ups, coopére avec des acteurs américains (Microsoft, Google…) et chinois (Lenovo) surtout, et tisse de partenariats avec des « pays amis » : France, Israël notamment.

Cela dit, l’Inde est aussi confrontée au risque de fuites des cerveaux et reste dépendantes de fournisseurs étrangers pour son approvisionnement en semi-conducteurs.

Alors que l’on a abusivement qualifié l’Inde de réservoir de « petites mains »pour alimenter les basses de données, c’est le cinquième pays à déposer le plus de brevets liés à l’intelligence artificielle depuis 2014 d’après l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.

Forte de son aura auprès des pays non alignés et de ses investissements vers les pays en voie de développement l’Inde rivalise avec la Chine pour être le leader du Sud Global grâce à la puissance de son économie numérique et ses progrès dans le champ de l’IA.

Pays en voie de développement

L’essor des technologies numériques et de l’IA sont de véritables défis pour ces pays.

  • Leur avantage compétitif reposant sur une main d’œuvre bon marché est concurrencé par les chaînes de productions automatisées que leurs donneurs d’ordre historiques rapatrient sur leur propre territoire. Leur modèle économique ne peut plus seulement reposer sur des exportations à faible valeur ajoutée. : d’après une étude de la Banque mondiale plus de 40 % des emplois de ces pays pourraient disparaître d’ici à 2040.
  • A part quelques pays qui ont saisi l’opportunité du développement des technologies numériques (Kenya, Rwanda, Egypte,) le retard est impressionnant. La formation balbutiante à ces technique nouvelles et le sous équipement en infrastructures – réseaux, calculateurs – sont préoccupants. Les chercheurs doivent même louer du temps de super-ordinateur à l’étranger et travailler la nuit pour ne pas perturber les autres usagers d’internet.
  • La sous-traitance de taches répétitives à des travailleurs du clics locaux payés au lance-pierre relègue les plus pauvres d’entre eux dans des partenariats sans avenir (Madagascar, Philippines,…).

Pourtant l’IA pourrait compenser les lacunes des systèmes éducatifs et des services sanitaires, améliorer les rendements agricoles ou ou l’accès aux services financiers pour une population souvent loin de tout.

Les principaux leviers résident dans l’investissement massif dans le capital humain, les infrastructures numérique en développant des alliances stratégiques mobilisant des financements internationaux afin de déployer un un écosystème technologique adapté pour éviter la marginalisation dans l’économie mondiale.

Derrière les applications séduisantes (et plus ou moins utiles) de l’IA on voit qu’elle « conditionne » les rapports de forces entre grandes puissances que ce soit dans la partie visible des investissements, dans leur capacité de manipulation, la prédation de données personnelles et dans des combats sous-terrains. Comme cela a été dit en début d’article à peine 10 % des pays ont les infrastructures ou/et la maîtrise de l’IA. Laissée en l’état une telle fracture peut générer une ségrégation qui risque d’être insupportables pour les pays les moins dotés.

Xavier Drouet

https://hommesetsciences.fr/geopolitque-des-ia-et-partition-du-monde/

Références

AI Compute Sovereignty: Infrastructure Control Across Territories, Cloud Providers, and Accelerators – Zoe Hawkins, Vili Lehdonvirta, Boxi Wu (University of Oxford, 2025)

La Tech. Quand la Silicon Valley refait le monde – Olivier Alexandre (Éditions du Seuil, 2023)

IA & Chine : l’émergence d’une nouvelle superpuissance de l’intelligence – Jean-Baptiste Monnier (Asoa Centre dans les médias, 2025)

Géopolitique du numérique – Julien Nocetti (Editions la Découverte, 2023)

L’Europe Loi sur l’IA – Loreen Helmer Amazon, 2024

Dernière modification le jeudi, 24 juillet 2025
Drouet Xavier

Xavier DROUET, 63 ans, est ancien élève de l'École Normale Supérieure où il a étudié la Physique et la Biochimie. Il est aussi Docteur en Médecine.
Après une carrière scientifique dans la recherche académique, appliquée et industrielle, il a dirigé plusieurs sociétés à fort contenu technologique pendant 15 ans et consacré 8 années à soutenir la recherche, l'innovation et le développement économique au niveau régional et national à des postes de direction au ministère de la Recherche et dans les services du Premier Ministre en France.
Depuis 2015 il exerce une activité d'expertise et de consultant pour accompagner des projets de créations ou de croissance d'entreprises de la microentreprise unipersonnelle à la start-up «techno».
Il est également auteur et conférencier (sciences, économie, stratégie) pour le compte d'entreprises, d'organisations de diffusion de la culture scientifiques et de media d'information pour les professionnels ou le « grand public ».

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