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L’art d’orienter le pendule technologique et pédagogique vers l’avenir - Nous n’avons pas les moyens de nos ambitions.Voilà une phrase que j’entends souvent, sans trop en comprendre le sens, puisque j’ai commencé à concevoir des projets TIC avec des étudiants en français langue seconde (FLS) dès le début des années ’90 avec des outils, même rudimentaires pour l’époque.
De plus, l’établissement scolaire qui doute ici de la qualité de ses équipements met tout de même à la disposition de ses enseignants des ordinateurs portables et des projecteurs en plus d’un accès Internet ; de leur côté les étudiants disposent de laboratoires aussi branchés, accessibles presque sur demande. Que faut-il de plus pour répondre aux aspirations de l’heure ?
 
Que l’équipement du prof soit encastré au lieu d’être disponible sur des chariots à roulettes, qu’il comprenne des dispositifs de réalité augmentée (RA) et un tableau blanc interactif (TBI) ; que le laboratoire soit équipé des consoles caractéristiques aux labos de langues multimédias ; ou encore que l’établissement se procure les mallettes de labos nomades (1). Il faudrait aussi que les étudiants eux-mêmes possèdent des téléphones intelligents (ou qu’on cesse de les leur confisquer) et que, plus tard, des murs de téléprésence, des systèmes de communication holographique et des environnements virtuels facilitent la communication dans une formule de formation à distance (FAD), etc. (2)
 
Je me questionne aujourd’hui sur l’état actuel du regard technopédagogique jeté par certains éducateurs, croyant y voir le balancier pencher du côté d’une surenchère technologique qui, d’une certaine manière, réduit injustement (et parfois scandaleusement) la valeur des initiatives de nombreux enseignants.

1.Voir les projets dans une perspective historique

La focalisation de l’attention sur des gadgets informatiques traduit peut-être pour plusieurs le désir de suivre des courants progressistes sans nécessairement prendre conscience des réalités éducatives impliquées. Il est clair, par exemple, que mes expériences initiales se limitaient souvent à des séances sporadiques de formation dans un labo pour la réalisation, par exemple, d’un simple journal de classe, mais qu’il suivait des étapes de création finement élaborées. Les expériences suivantes m’ont permis de créer avec les étudiants des projets de sites Internet malgré les ressources limitées du milieu communautaire de l’époque, pour finalement mettre en place une structure de cours hybride, et ce dès la fin du millénaire.(3)
 
Les conditions actuelles offertes par l’établissement d’enseignement de référence dans cet article permettent de réaliser des activités sur une base beaucoup plus intense aussi bien en classe qu’au labo ou à distance. En voici quelques exemples :
 
En classe :
  • Présentation de notions à l’aide de fiches de grammaire en ligne ou encore visionnement d’un extrait vidéo sur YouTube, qui pourrait servir un projet de recherche ;
  • Démonstration d’exercices en ligne et pratique de la systématisation de points de langue ;
  • Discussion à la suite d’une présentation de manchettes de l’actualité ;
  • Création d’une histoire collective, d’un article de blogue ;
  • Communication avec des élèves d’une autre classe par le biais d’une visioconférence ;
  • Etc.
Au labo :
  • Recherche d’informations pour un travail pratique (du bulletin de météo du niveau débutant à la planification de voyage par les étudiants de niveau plus avancé) ;
  • Discussion sur la préparation d’un projet à l’aide de Twitter ;
  • Création d’une séquence d’activité collaborative : un vidéoclip, un article, une présentation d’équipe, une leçon, un site Internet, etc.
Et à distance… :
 
À défaut de posséder un TBI, un labo nomade ou toutes les merveilles de la réalité virtuelle (RV), il reste que les étudiants peuvent très bien employer leurs ressources personnelles pour accéder au Web et y pratiquer des points de langue à partir d’un vaste éventail de ressources informatisées. Qui plus est, une grande partie des projets mentionnés précédemment peut être menée à distance par des communautés apprenantes.
 
Bref, que signifie réellement Ne pas avoir les moyens de nos ambitions en projets TIC ?

2. L’arbre qui cache… une forêt peuplée de livres numériques ?

À première vue, l’expression traduit l’importance accordée à une surenchère inutile dans l’achat de produits informatiques et une méconnaissance de la typologie des projets réalisables, souvent réduits à de simples recherches individuelles d’informations sur le Web, complétées par une présentation écrite ou orale. Pourtant les possibilités sont considérables ! 
 
En plus de projets de classe ou même de jumelage de classes, maintes fois donnés en exemple, des activités d’envergure pourraient tisser des liens étroits entre la réalité scolaire et le monde du travail. À la rigueur, des étudiants pourraient même s’unir pour se lancer dans la création d’une entreprise, forcés d’en réaliser toutes les étapes en langue cible (4) dans une multitude de médias sociaux ; ou élaborer tout autre projet bien connecté à leurs rêves. Encore faudrait-il les aider à prendre conscience de ceux-ci.
 
À trop focaliser son attention sur le technologique, il est facile de perdre de vue le pédagogique. Ce faisant, le socioconstructivisme est réduit à la notion d’un simple travail en équipe, sans vraiment que l’on tienne compte de mécanismes de réflexion métacognitive et de coconstruction des savoirs. Cette mise en garde faite, je persiste à croire qu’il est approprié de mettre en place des structures pédagogiques nouvelles, basées sur l’autoformation et la collaboration impliquant les troismacroformules éducatives connues : le présentiel, le distanciel et la formule hybride. Ainsi ramenons-nous le pendule du côté du pédagogique.
 
Dans ce processus, nous devrions tout de même faire une place importante aux technologies émergentes, question d’en découvrir le potentiel éducatif. Le livre numérique ou Epub (5) fait partie de cet éventail d’outils éducatifs modernes.

- Un exemple de technologie émergente : le livre numérique

La nouvelle édition de Un coup de pied bien placé (6) d’Ariane Cloutier (au centre sur la photo) contient par exemple des codes-barres qui donnent accès à un site Web comprenant des informations supplémentaires sur le contenu du livre. De plus, l’ouvrage présente une quinzaine de personnalités du Québec, ce qui procure au lecteur étranger une base du référentiel culturel de cette province canadienne. Pour y accéder, l’utilisateur doit pointer son téléphone intelligent sur les codes répartis dans les divers chapitres.
 
Ce genre de livre numérique constitue sans l’ombre d’un doute un outil d’avenir en didactique des langues puisqu’il permet bien sûr l’apprentissage en contexte authentique, exploitant des ressources nomades comme un téléphone intelligent et Internet. De plus, l’ensemble permet le développement de compétences linguistiques aussi bien en compréhension écrite qu’en compréhension orale, deux habiletés langagières fondamentales. Il s’agirait à mon sens d’une troisième génération de produits de nature audioscriptovisuelle (7) après les livres-cassettes et l’écoute d’un livre audio en combinaison avec la lecture du même ouvrage en version imprimée. Au cours de mon apprentissage autodidacte de l’espagnol, j’ai déjà écouté les 19 CD de El Código Da Vinci de Dan Brown tout en lisant le roman imprimé. (8)
 
L’expérimentation d’autres technologies émergentes est aussi nécessaire dans le cadre de projets TIC en L2, en s’inspirant des principes de la recherche-action intégrale et systémique, RAIS. (9)
 
Conclusion
 
Tel que montré dans cet article, le monde de la technopédagogie oscille entre le technologique et le pédagogique au gré des développements technologiques. La base pédagogique reste sensiblement la même, reposant parfois sur la pratique du socioconstructivisme, l’autoformation ou la collaboration. Dans ce contexte, il me semble que le développement de projets TIC de qualité peut se réaliser dans des conditions raisonnables, et qu’il serait absurde d’attendre l’acquisition d’outils de pointe pour se lancer dans cette belle aventure éducative.
 
Dans le cadre d’un projet TIC en L2, il me semble tout de même important de faire une place à l’expérimentation de technologies émergentes comme la RA, les livres numériques, les TBI ou des environnements plus sophistiqués encore, dans le but de mieux en découvrir leur potentiel éducatif et ainsi contribuer à l’avancement de la science de l’éducation.
 
Texte : Luc Renaud, M.A. Sciences de l’éducation
 
Référence
  1. Kalysta, la mallette Ipod
  2. Renaud, L. (2012), Baladodiffusion, réalité augmentée, etc. : la mort des salles de classe ? dans EducaVox
  3. Renaud, L. (2003), D’un modèle pédagogique systémique de communication à la réalisation par des immigrants de sites Internet en milieu communautaire, dans Questions Vives No 3, pp 99-110
  4. Renaud, L. (2012) Des idées pour une formation en ligne d’une communauté apprenante, dansEducaVox
  5. EPUBsur Wikipédia
  6. Cloutier, A et Raymond, E (2012) Un coup de pied bien placé. Choisissez-vous et agissez !
  7. Cloutier, J. (1975). L’ère d’Émerec ou la communication audio-scripto-visuelle à l’ère du self media
  8. Brown, D, (2010) El Código Da Vinci. (Versión Completa)
  9. Morin, A. (2010) Cheminer ensemble dans la réalité complexe. La recherche-action intégrale et systémique (RAIS) L’Harmattan
Renaud Luc

Luc Renaud est spécialisé en technologie éducationnelle et enseigne le français langue seconde depuis plusieurs années auprès d’une clientèle adulte immigrante. Détenteur d’une maitrise en éducation, il a aussi été chargé de cours à l’Université de Montréal dans le domaine de l’intégration pédagogique des TIC, et a participé à des projets de recherche portant sur la formule hybride et le socioconstructivisme. Il possède également une solide expertise en développement et expérimentation de formations en ligne et s’intéresse vivement à la collaboration internationale. 
Mal à l’aise dans le milieu scolaire, il croit à une remise en question continuelle de l’école ; il tient d’ailleurs un blogue, L’éduc-acteur, le Blogue de Luc Renaud, sur des thèmes variés, qui mettent de l’avant l’importance de l’autoformation.
Il est aussi entrepreneur, ayant démarré récemment une entreprise de consultant en technologie éducationnelle, La boîte à idées E.T.L.R. Ideas Boxdans la région de Montréal.


Montréal, Québec (Canada)