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La visioconférence est de plus en plus utilisée dans l’enseignement-apprentissage des langues vivantes car elle possède le potentiel de développer un certain nombre de compétences langagières des apprenants quel que soit le niveau d’enseignement. La recherche en didactique des langues a particulièrement souligné l’apport de cet outil dans les dispositifs de télécollaboration qui mettent en relation des apprenants distants pour des projets d’échange où la langue et la culture de l’autre deviennent des enjeux authentiques de communication.

La visioconférence : un outil multimodal et synchrone pour les échanges télécollaboratifs

Dans le domaine de la didactique des langues, de nombreuses études ont été menées depuis une quinzaine d’années sur l’utilisation de la visioconférence dans l’enseignement des langues, que cela concerne des élèves du primaire (Gruson, 2010), du secondaire (Macedo-Rouet, 2009) ou du supérieur (Guichon & Tellier, 2017).

Dans la gamme des technologies disponibles pour l’enseignement des langues, la visioconférence tient une place distincte en cela qu’elle introduit de la synchronie quand la plupart des outils ne permettent qu’une interaction en temps différé (le forum, le blog, etc.) De plus, la visioconférence est pleinement multicanale quand d’autres outils passent par un seul canal (par exemple, l’écrit pour le wiki) ou deux comme l’audioconférence.

La visioconférence permet donc un échange pleinement multimodal qui associe l’image des partenaires, leur voix, les messages textuels qu’ils produisent dans la fenêtre de clavardage et les documents qu’ils partagent pendant l’interaction (Guichon & Tellier, 2017).

Les réseaux ayant gagné en qualité ces dernières années et les logiciels de visioconférence s’étant multipliés, les enseignants sont de plus en plus nombreux à impliquer leurs apprenants dans des interactions par visioconférence qui renouvellent les échanges de correspondance entre apprenants de langue et de culture différentes mais en conservent l’esprit.

On parle généralement de télécollaboration pour se référer à ces échanges pédagogiques (O’Dowd, 2006) qui recourent :

  • soit à la visioconférence de groupe (deux groupes échangent par le biais d’un seul écran et vont, par exemple, effectuer un jeu ensemble),
  • soit à la visioconférence poste à poste (des individus échangent chacun depuis leur ordinateur).

La télécollaboration par le biais de la visioconférence permet de donner aux apprenants un accès à une langue riche, orale et authentique, ce qui demeure encore peu la norme en milieu scolaire (Kinginger, 1998).

De plus, dans le cas de la télécollaboration, ce n’est plus l’enseignant qui est le principal destinataire des productions des apprenants mais leurs pairs.

En conséquence, plusieurs recherches s’accordent pour avancer qu’un tel dispositif pourrait accroître la motivation à apprendre (Marcelli et al., 2005) en plaçant les apprenants dans une situation authentique d’échanges avec des pairs qui, au-delà de différences culturelles et linguistiques, partagent des intérêts communs à une même classe d’âge.

L’intérêt de la visioconférence pour l’apprentissage des langues et des cultures

Dans le domaine des recherches en didactique des langues, Marcelli et al. (2005) ont mis en place un tel dispositif de télécollaboration par visioconférence entre des étudiants français de deuxième année de licence et des étudiants japonais.

Ils ont conduit des entretiens à la suite de ces échanges.

Leur étude souligne le potentiel de la visioconférence pour l’apprentissage d’une langue comme pouvant « favoriser l’actualisation et le développement des compétences orales ».

Toujours selon ces auteurs, cette situation d’interaction par visioconférence crée la nécessité de comprendre et d’être compris par l’autre, la motivation des apprenants trouvant alors une finalité concrète dans le cadre d’une communication aux enjeux authentiques. Les compétences langagières qui sont particulièrement convoquées concernent la capacité à négocier le sens, la capacité à demander et à apporter des clarifications et une sensibilité accrue au niveau des compétences langagières de l’interlocuteur (O’Dowd, 2006). 

En outre, la synchronie propre à la visioconférence induit une pression temporelle car les interlocuteurs se voient par le biais de la webcam et peuvent difficilement rester longtemps silencieux et inactifs.

Cette urgence à prendre sa place dans l’interaction fournit ainsi une opportunité pour travailler la fluidité des échanges. La fluidité correspond à un objectif majeur de l’apprentissage des langues : il est en effet important d’entraîner les apprenants à s’exprimer oralement sans pauses exagérées et de manière aussi naturelle que possible. La fluidité dépend également de l’attention que l’on prête à son interlocuteur. Guichon et Tellier (2017) rappellent que certains indices (hochements de la tête, mimiques faciales) disponibles avec l’image vidéo réduisent les ambiguïtés du discours et favorisent la compréhension entre partenaires.

De même, on peut utiliser des gestes, des mimiques pour se faire comprendre et développer ainsi des compétences interactionnelles. Mettre en place des rituels, soigner les routines pour saluer et s’enquérir de la santé de son interlocuteur, prendre congé, etc. sont autant d’éléments qui peuvent ainsi être travaillés (Develotte et al., 2008). 


Enfin, plusieurs chercheurs signalent combien la télécollaboration est propice au développement de la compétence interculturelle (Cappellini, 2017).

En plus des dimensions linguistiques déjà citées, un projet télécollaboratif bien pensé permet d’aiguiser la capacité des apprenants à être attentifs à une gamme d’aspects liés à la culture de leurs interlocuteurs, par exemple comment ceux-ci font de l’humour, expriment des émotions, produisent des gestes et des mimiques plus ou moins reconnaissables, gèrent la ponctualité et la proximité, autant d’éléments difficilement abordables par le seul biais des manuels de langue. Ainsi O’Dowd et Waire (2009) proposent un certain nombre de tâches qui exposent progressivement les apprenants à différents aspects de la communication avec des partenaires distants en prenant conscience de leur propre culture, en comparant leur culture avec celle de l’autre et en menant des activités de négociation culturelle.

Deux exemples de tâches peuvent être fournis : la conduite d’entretiens sur un thème culturel et leur compte rendu à l’oral ou à l’écrit ; la collaboration pour la co-création d’un produit (une affiche, un programme, un diaporama).

Quelles implications pédagogiques pour les enseignants ?

Pour que la télécollaboration se déroule de manière optimale, cela nécessite une attention toute particulière à l’ingénierie pédagogique comme Lamy & Mangenot (2013) et Guichon (2012) le signalent après avoir mis en place de tels projets puis les avoir raffinés par le biais d’entretiens auprès des participants et d’analyses des interactions. 

En amont de la première interaction, il convient tout d’abord que les apprenants soient entraînés à utiliser le dispositif technique et que les conditions soient réunies au sein de l’établissement (ordinateurs munis d’une webcam et d’un casque en état de fonctionnement, connexion internet de qualité). 


Les enseignants des classes partenaires doivent avoir précisément défini les objectifs pédagogiques en amont et partager une vision commune du déroulement et des attentes de part et d’autre (par exemple, dans quelle langue s’exprimera-t-on en cas de problème technique ?). 
Pour éviter que les échanges ne s’essoufflent trop rapidement, les enseignants peuvent mettre en place des tâches qui vont engager également les apprenants en les amenant par exemple à comparer leurs cultures respectives ou à contribuer également à des productions communes (par exemple, une exposition photo en ligne). 


Enfin, le potentiel pédagogique des échanges par le biais de la visioconférence peut être augmenté en enregistrant ces échanges avec des logiciels de capture d’écran dynamique. A partir de ces enregistrements multimodaux, les apprenants, aidés par leur enseignant, peuvent ainsi revenir sur certains aspects lexicaux, grammaticaux, pragmatiques et culturels qui ont eu lieu pendant les échanges mais qui n’avaient pas forcément été remarqués par les apprenants. En alliant les moments où les apprenants sont acteurs des échanges et d’autres, après coup, où les échanges sont analysés avec différentes perspectives, les visées communicatives, interactionnelles et interculturelles des échanges par le biais de la visioconférence peuvent alors être pleinement profitables (Guichon, 2012).

Conclusion

L’utilisation de la visioconférence pour des projets télécollaboratifs constitue un moyen propice pour développer les compétences orales en langue étrangère des apprenants en les mettant en relation avec des partenaires de leur âge. La synchronie propre aux échanges par visioconférence et la possibilité de voir son partenaire distant ménagent la possibilité d’apprendre à prendre sa place dans une interaction orale et à être attentif à des éléments culturels perceptibles par le biais de la caméra connectée. 


Des séquences pédagogiques, faisant la part belle à la comparaison et à la collaboration et tirant partie de la multimodalité et de la tension communicative, peuvent contribuer à créer des enjeux authentiques pour l’apprentissage des langues, et, plus fondamentalement, à lier la compétence d’interaction à l’oral, la curiosité envers l’autre et sa culture et l’affirmation d’une identité propre. Ce sont ces enjeux didactiques dont s’emparent un nombre grandissant d’enseignants de langue soucieux d’étirer les possibilités d’apprentissage au-delà des murs de leur classe par le biais des technologies.

Nicolas Guichon, professeur des Universités

Recommandations

  • S’assurer que les enseignants responsables de l’échange partagent les mêmes visées pédagogiques et sont prêts à investir le dispositif de formation de la même façon.
  • Apporter un soin tout particulier aux questions pratiques (respect des horaires et accès à des ordinateurs équipés et en état de marche, etc.). La mise au point d’un guide pratique et des séances d’entraînement peuvent être utiles pour détecter les éventuels problèmes techniques et rassurer les participants.
  • Inclure dans la séquence pédagogique, en amont des interactions avec les partenaires distants, des activités destinées à développer la compréhension des différences interculturelles et la capacité à contribuer efficacement aux interactions en ligne. La rédaction d’un vademecum avec les groupes d’apprenants (comment se comporter en cas de difficulté ? comment demander de l’aide à son partenaire ?) peut faciliter la conduite des échanges.
  • Concevoir des tâches appropriées propices à engager les partenaires à part égale dans des interactions riches alternant des moments de négociation du sens, de collaboration et de comparaison interculturelle.

Voir aussi

Deux initiatives sont à signaler. En France, l’action eTwinning (http://www.e-twinning.fr/) est une opération de jumelage électronique entre établissements scolaires européens des premier et second degrés. Elle fournit de nombreuses idées de tâches, des conseils précieux pour la mise en place de projets télécollaboratifs et même une aide pour trouver des partenaires susceptibles de s’engager dans la démarche. 
La seconde, UniCollaboration (https://uni-collaboration.eu), est à la fois une plateforme européenne de recherche sur la télécollaboration et un dispositif de mise en relation de partenaires potentiels pour la mise en place de projets télécollaboratifs au niveau universitaire.

Références bibliographiques

  • Cappellini M. (2017), « La télécollaboration vue par la communication exolingue – Pour un enrichissement mutuel de deux traditions de recherche », Alsic , vol. 20, n° 2.
  • Develotte C., Guichon N. & Kern R. (2008), « “Allo Berkeley? Ici Lyon… Vous nous voyez bien?”, Etude d’un dispositif de formation en ligne synchrone franco-américain à travers les discours de ses usagers », Alsic, vol. 11, n° 2, p. 129-156.
  • Gruson B. (2010), « Analyse comparative d’une situation de communication orale en classe ordinaire et lors d’une séance en visioconférence », Distances et Savoirs, vol. 3, n° 8, p. 395-423.
  • Guichon N. (2012), Vers l’intégration des TIC dans l’enseignement des langues, Paris, Editions Didier.
  • Guichon N. & Tellier M. (2017), Enseigner l’oral en ligne. Une approche multimodale, Paris, Editions Didier.
  • Kinginger C. (1998), “Video conferencing as access to spoken French”, Modern Language Journal, vol. 82, n° 4. p. 502-513.
  • Lamy M.-N. & Mangenot F. (2013), “Social Media-Based Language Learning: Insights from Research and Practice”, in Lamy M.-N. & Zourou K. (eds.), Social Networking or Language Education, Basingstoke : Palgrave MacMillan, p. 197-213.
  • Macedo-Rouet M. (2009), « La visioconférence dans l’enseignement. Ses usages et effets sur la distance de transaction », Distances et savoirs, vol. 7, n° 1, p. 65-91.
  • Marcelli A., Gaveau D. & Tokiwa R. (2005), « Utilisation de la visioconférence dans un programme de FLE : tâches communicatives et interactions orales », Alsic, vol. 8, p. 185-203.
  • O’Dowd R. (2006), “The Use of Videoconferencing and E-mail as Mediators of Intercultural Student Ethnography“, in Belz J. A. & Thorne S. L. (dir.), Computer-mediated Intercultural Foreign Language Education, Boston : Heinle & Heinle, p. 86-120.
  • O’Dowd R. & Waire P. (2009), “Critical issues in telecollaborative task design”, Computer Assisted Language Learning, vol. 22, n° 2, p. 173-188.

Article publié sur le site : https://www.reseau-canope.fr/agence-des-usages/developper-les-competences-en-langue-par-le-biais-de-la-visioconference.html

Dernière modification le jeudi, 31 mai 2018
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