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Billet rédigé l’année dernière et jamais terminé … Introduction - L’année universitaire 2013 / 2014 est définitivement inscrite comme l’année des MOOC (massive online course). Les milieux universitaires et professionnels ont braqué leurs regards vers cette nouvelle instanciation de la formation, tant sous l’angle de l’apprentissage que de l’enseignement. S’il fallait s’en convaincre, la consultation du moteur de recherche Google pour le terme Mooc affiche 2 500 000 occurrences (consultation du 24 mars 2014)

À défaut d’être novateur le Mooc aura inscrit l’enseignement à distance dans les esprits du grand public et aura orienté la focale sur la vidéo pédagogique. Rappelons que le Mooc consiste à mettre en ligne des cours sous forme de vidéo accompagnées d’exercices puis de validation. Loin d’être novateur, les Mooc sont les héritiers des usages anciens de la télévision scolaire et  des usages plus contemporains comme les sessions de TEDX, les cours en ligne de Canal U et de l’école normale supérieure du savoir, ou bien encore la Khan académie,  qui ont utilisé le film ou utilisent  la vidéo.

Nous nous interrogerons dans cet article sur la place de la vidéo dans les dispositifs de formation. Au-delà de l’apparente et trompeuse simplicité de cet objet technique, les constructions pédagogiques instanciées sont complexes.

  • La vidéo construite dans des espaces de formation signifiants

Il serait simple, pour ne pas dire simpliste, de considérer que le réalisation d’une vidéo pédagogique se résume au regroupement en un lieu déterminé, d’une solution technologique ad hoc et d’un (ou de plusieurs) acteur(s) du dispositif. Les vidéos sont conçues au sein d’espaces spécifiques hétérogènes et signifiants, il nous reviendra de déterminer quelles sont les caractéristiques des scénarisations intégrant la ou les vidéo(s).

La première question que nous aborderons sera liée à l’espace de conception que nous concevons comme double. Les enseignants exercent leur professionnalité tantôt à l’intérieur d’un espace physique professionnel, tantôt à l’intérieur de l’espace privé que nous nommerons domicile.

  • L’espace public
  • L’espace public de conception

La conception des dispositifs de formation s’exerce dans un cadre juridique formel. Elle  peut  se réaliser dans le cadre du lien de subordination pour les enseignants soumis au droit privé, ou dans le cadre des obligations de service public pour les fonctionnaires. Dans les deux hypothèses l’employeur est censé fournir le matériel de travail à ses salariés pour qu’ils accomplissent au mieux leur tâche. L’idéal juridico-technique consisterait donc à imaginer l’existence des lieux institutionnels adaptés à la conception / réalisation de supports vidéos mais …

La réalité de terrain est plus contrastée que ne le laisse imaginer le droit. Les formations s’échelonnent de la maternelle à l’Université ; elles concernent la formation initiale comme la formation continue, celle des apprenants comme celle des enseignants. La diversité des situations, des contextes, des intentionnalités nous invite à engager une réflexion sur l’espace technologique hétérogène de conception. Nous pouvons identifier une typologie de lieux sur laquelle nous appuierons notre argumentaire.

  • Les formations institutionnelles pilotées par les ministères et déployées pour des cohortes massives. Le dispositif de formation Magistère en est la représentation type. L’institution pilote l’élaboration des modules. Lorsqu’il est besoin d’intégrer des vidéos on s’appuie sur l’expertise de spécialistes du e.learning disposant de lieux et de matériels adaptés et possédant les compétences spécifiques
  • Les structures disposant de structures adaptés

Certaines structures possèdent des lieux spécialisés pour la réalisation de vidéos pédagogiques. Certaines (de nombreuses ? toutes ?) Universités sont équipées de studio d’enregistrement et disposent des personnels qualifiées pour les prises de vues, de son et le montage. Dans cette configuration l’existence d’une chaîne de conception spécialisée facilite le travail des enseignants en les affranchissant de l’acculturation aux méthodes du cinéma

  • Les formations institutionnelles sans supports techniques centralisés
  • L’espace public d’écoute
  • L’espace privé

Les modalités de travail des enseignants sont imprégnées de méthodes de travail collectif, les équipes apprennent à coopérer et à collaborer sans induire obligatoirement une présence dans le même lieu physique. Il est, par conséquent, tout à fait loisible de travailler de son domicile où sont installés les outils de captation / conception vidéo.

Les appareils de captation vidéos se sont miniaturisés et sont présents sur  une grande variété de matériels, Antonio Casili le souligne en disant :

La miniaturisation des ordinateurs (analysée notamment par Daniel Bell dans teletext and Technology) a engendré une reterritorialisation de ceux-ci, leur permettant petit à petit d’intégrer l’espace domestique. Le premier changement que cette miniaturisation a impliqué est donc celui de l’espace physique. L’agencement des pièces, des meubles, des chambres change avec l’arrivée de ce nouvel appareil électroménager qu’il faut installer, comme on a installé avant lui la radio ou la télévision. Mais il n’y a pas que l’espace domestique qui est bouleversé par l’arrivée de cet équipement : l’espace technologique de la maison l’est aussi avec l’arrivée d’un équipement dont le contenu technologique est par définition plus important que les autres, puisqu’il permet de tout faire (jouer de la musique, regarder des films, jouer, communiquer…)

Il est ainsi possible de filmer assez facilement avec la webcam de son ordinateur, avec un camescope, un appareil photo numérique, un smartphone, de réaliser en souplesse le montage avec movie maker ou i.movie  puis de déposer rapidement sur youtube ou dailymotion mais …

L’espace personnel n’est pas un studio d’enregistrement, sa fonction première est l’activité privée (dormir, manger, se laver, exercer des activités sociales variées …). La question qui se pose est donc de savoir concilier le privé et le professionnel pour produire des vidéos pédagogiques de bonne qualité.

Il convient donc de comprendre comment concilier une activité créative professionnelle dans un écosystème non adapté à cet effet.

Dans un studio d’enregistrement l’espace est conçu pour optimiser la prise de vue :

  • Les parois des murs sont adaptées pour piéger les bruits parasites ;
  • Les éclairages sont adaptés pour éviter les ombres inopportunes, la sous exposition ou la surexposition ;
  • Les prises de sons sont optimisés par la présence de micro cravates et autres dispositifs en doublon ;
  • Le mobilier facilite la posture du corps ;
  • La présence de plusieurs caméras permet de gérer une variété de prises de vues.

Au domicile de l’enseignant l’environnement est moins favorable, loin s’en faut. Il faut apprendre à domestiquer un écosystème plus “hostile” car le parasitage est permanent entre la vie privée et les enjeux professionnels. On peut tenter de lister les freins à l’exercice de captation :

  • La qualité de l’éclairage du domicile dépend de sa situation, de sa configuration ;
  • Les bruits domestiques (lave linge, sonnerie du téléphone, sonnerie de la porte d’entrée, bruits de la rue, cris des animaux, musique de fond, télévision allumée …) ;
  • Les flux de circulation humaine. Il est difficile “d’exproprier” l’espace intime pour le rendre professionnel même si c’est par intermittence. Le domicile est un lieu de médiation permanente, quelles sont les conditions de négociation pour obtenir une neutralisation du champ visuel et une “aseptisation” sonore ? ;
  • Comment professionnaliser son champ de vision ? Nous pourrions dire le “désintimiser temporairement” ;
  • La taille de l’appartement et sa configuration influent sur les modalités de réalisation.
  • Les compétences à acquérir

Pendant des années la réalisation de supports pédagogiques animés (on parlait alors d’audiovisuel) relevait de la compétence de spécialistes ou d’enseignants engagés dans des cadres expérimentaux. De 1954 à 1970, le CNDP, l’IPN puis L’OFRATEME ont produit de nombreux films pour la télévision scolaire. À ce propos on peut lire sur le site de l’école documentaire :

1963

Un « Département » de la Radio Télévision Scolaire (RTS) est constitué au sein de l’IPN. Il est toujours dirigé par Henri Dieuzeide. Face à l’explosion démographique, un plan d’extension des moyens audiovisuels d’enseignement est mis en place par le gouvernement dirigé par Georges Pompidou, premier Ministre de Charles de Gaulle. L’Office de Radio Télévision Françaises (L’ORTF) est créé la même année .En avril, la deuxième chaîne de TV est lancée.” L’école documentaire

On peut se référer, pour comprendre les débuts de l’intégration des supports pédagogiques dynamiques, aux travaux de Géneviève Jacquinot-Delaunay et notamment de son expérience au collège de Marly le Roi

Les réalisateurs des supports télévisuels avaient été formés et avaient acquis des compétences spécifiques à la réalisation, au montage, au cadrage. Ils étaient des spécialistes formés dans des écoles prestigieuses formant aux techniques de réalisation. On peut citer, parmi d’autres,  Eric Rohmer cinéaste dont on ne présente plus l’oeuvre, auteur réalisateur à la « scolaire » dans les années 60-70 et et Philippe Pilard spécialiste du cinéma britannique, chargé de cours dans les universités de Vincennes, Jussieu et Nanterre, co-président de la Société des Réalisateurs de Films : (81-83) – “Il reste que Rohmer revendique son travail à la Télévision Scolaire et considère que ses documentaires sur Hugo ou Poe, par exemple, font partie de son oeuvre au même titre que les fictions connues d’un plus large public”. C’était aussi “Edith Krauss, chef opérateur issue de l’IDHEC (prestigieux Institut des Hautes Etudes Cinématographiques remplacé par la FEMIS)” . Nous sommes encore à cette époque dans l’ère de la spécialisation.

Le passage au numérique a largement modifié la donne en nous faisant entrer dans la société de la convergence. Nous sommes désormais inclus dans un système qui donne l’illusion de la compétence (Michel Serres parle de présomption de compétence) car nous avons à disposition des outils souples, intuitifs, portables et interopérables. Nous pouvons assez facilement produire des vidéos, les mettre en ligne, les diffuser de façon massive mais produisent-elles pour autant  un sens  complet ? Sont -elles à l’appui ou “à la remorque” des dispositifs pédagogiques ? La seule compétence technique manipulatoire est-elle soluble dans les dispositifs de formation, lorsqu’elle tend à occulter les enjeux pédagogiques ?

De l’illusion de la compétence, à la compétence acquise, le chemin est long, passe certainement par la formation des enseignants. Serions nous des analphabètes numériques  ? Ce n’est pas impossible !

Il convient de ne pas laisser les enseignants errer dans une zone grise qui ne peut que les desservir dans la réalisation des leurs projets.

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Il est intéressant de se pencher sur notre histoire de l’enseignement et de la technologie. A l’époque de la télévision scolaire c’est Eric Rohmer qui réalisait des films à portée pédagogique

Article publié sur le site : https://moiraudjp.wordpress.com/2015/03/06/video-et-pedagogie-quelles-nouvelles-competences-pour-les-enseignants/

Dernière modification le mercredi, 11 mars 2015
Moiraud Jean-Paul

Cherche à comprendre quels sont les enjeux des perturbations du temps et de l'espace dans les dispositifs de formation en ligne. J'observe comment nous allons passer du discours théorique sur les bienfaits des modes collaboratifs à l'usage réel. Entre collaboration sublimée et usages individualistes de pouvoir, quelle place pour le numérique ?
 
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