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Un nouvel article « Que dit la recherche ? » vient d’être publié sur l’Agence des usages. Il s’agit de l’article « Eduquer à la sobriété numérique les élèves de 12 à 14 ans » de Sarah Descamps, sssistante de recherche et doctorante au sein du Service d’Ingénierie Pédagogique et du Numérique éducatif de l’Université de Mons (Belgique).

Cet article vise à étudier un nouvel enjeu éducatif de notre société : l’impact du numérique sur l’environnement. Les objectifs de cette contribution sont de définir le concept de sobriété numérique, de théoriser l’éducation à la sobriété numérique et surtout d’offrir un retour d’expérience concret.

L’empreinte numérique mondiale, c’est-à-dire l’ensemble des impacts de nos usages numériques, de la phase de fabrication à leur fin de vie, est d’aujourd’hui de 4 %, soit plus que le transport aérien, et l’ADEME (2021) estime que, d’ici 2025, ce pourcentage aura doublé. De nombreux auteurs ont étudié la sobriété numérique (Berthoud, 2017 ; Bordage, 2019 ; Courboulay, 2021 ; Ferreboeuf, Efoui-Hess & Kahraman, 2018 ; Vidalenc, 2019) et ils démontrent que l’utilisation des technologies a un impact sur l'environnement.

Les citoyens sont encore peu conscients de la face cachée du numérique.

Pourtant, la protection de l’environnement est l’une des 21 compétences du socle de compétences numériques mis en place par la Commission européenne (le DigComp) (Redecker & Punie, 2017). Elle se définit comme la capacité d’être conscient de l'impact environnemental des technologies numériques et de leur utilisation. La sobriété numérique consiste à concilier les deux transitions auxquelles nous devons faire face : la transition numérique et la transition écologique. Le secteur de l'enseignement n'échappe pas à ces deux transitions. C'est pourquoi cet article vise à donner des pistes éducatives pour sensibiliser les jeunes à la sobriété numérique au travers d'un retour d'expérience concret.

Le concept de sobriété numérique

Tout d’abord, il semble primordial de définir la sobriété numérique.

Bordage met en lumière pour la première fois ce concept en 2008. Il s’agit d’avoir une utilisation raisonnable et raisonnée du numérique, c'est-à-dire utiliser les technologies avec modération et quand cela est nécessaire. Une posture de sobriété numérique consiste à être conscient que chacun de nos usages des technologies a des répercussions sur l’environnement et de mettre en œuvre des comportements plus écoresponsables (Bordage, 2019), comme limiter son usage du streaming, se désabonner des newsletters ou encore garder ses appareils numériques le plus longtemps possible. La sobriété numérique est intimement liée à la notion de besoin. Il s'agit d'utiliser le numérique et d'acheter des technologies uniquement quand on en a besoin.

L'éducation à la sobriété numérique

Avec l’essor de transition numérique, il devient essentiel de sensibiliser les citoyens à la sobriété numérique et aux impacts des technologies sur l’environnement (Vidalenc, 2019 ; Bordage, 2019 ; Ferreboeuf  et al., 2018). C’est pourquoi cet article s’intéresse à ce nouvel enjeu éducatif. Plus particulièrement, nous ciblons les élèves de 12 à 14 ans de l’enseignement obligatoire, car les jeunes sont de grands consommateurs de numérique et qu’ils peuvent également être vecteurs de changement. En effet, ils sont les citoyens de demain et ils pourront à leur tour sensibiliser leur entourage et diffuser les bonnes pratiques numériques.

Pour alimenter ce nouvel enjeu éducatif, de nombreuses formes d’éducation ont été mobilisées comme l’éducation relative à l’environnement, l’éducation au développement durable, l’éducation à l’énergie, l’éducation au numérique, l’éducation à la citoyenneté, la didactique des sciences humaines ou encore la didactique des sciences.

Ainsi, 3 axes éducatifs ont été identifiés (Descamps, Temperman & De Lièvre, 2022a) :

  • Axe 1 : comprendre et analyser l’impact de nos modes de vie numérique sur l’environnement en utilisant l’analyse du cycle de vie. L’analyse du cycle de vie est un outil visuel et efficace pour comprendre les répercussions environnementales des technologies (Berthaud, 2017 ; Bordage, 2019 ; ADEME, 2021 ; Courboulay, 2021). Il se compose de 4 étapes : la naissance (l’extraction de matière première, la production et la distribution), la vie (l’utilisation des technologies), la mort (la fin de vie de nos appareils numériques) et la renaissance (la valorisation et/ou le recyclage).
  • Axe 2 : identifier et rechercher des solutions numériques pour protéger l’environnement. L’objectif est de déculpabiliser les jeunes et de démontrer que les technologies peuvent aussi être une opportunité pour sauver l’environnement. En effet, le numérique peut également être au service de la transition écologique : quand des réseaux de producteurs locaux se forment sur internet, par exemple.
  • Axe 3 : utiliser plus responsablement les technologies et agir collectivement pour une sobriété numérique en réalisant une charte des usages écoresponsables, adaptée aux élèves par exemple. L’intérêt est de fournir aux apprenants des clés et des comportements à adopter pour agir plus sobrement. Il s’agit, par exemple, de désactiver la lecture automatique des vidéos, de se désabonner des newsletters ou encore de privilégier l'achat d'équipement reconditionné.

Retour d'expérience d'un dispositif pour éduquer à la sobriété numérique 

Le dispositif d’apprentissage présenté ici a été expérimenté dans des classes de première et deuxième secondaire de Fédération Wallonie Bruxelles en Belgique, c’est-à-dire auprès d’un public de 12 à 14 ans. La séquence d’apprentissage a été construite afin d’exercer chacun des 3 axes de notre modèle (Descamps et al., 2022a).

Au total, ce sont 140 élèves qui ont expérimenté ce dispositif d’apprentissage. La séquence d’apprentissage s’est articulée autour de 6 heures de cours :

  1. Tout d’abord, les élèves ont été amenés à se questionner sur les enjeux, les risques et les opportunités que représente le numérique pour l’environnement.
  2. Ensuite, il s’agissait d’effectuer une analyse documentaire des opportunités offertes par le numérique.
  3. La troisième heure de cours avait pour objectif d’introduire l’analyse du cycle de vie en abordant la phase de production des technologies.
  4. Pour traiter de la phase d’utilisation, les élèves étaient amenés à se questionner sur leurs pratiques personnelles vis-à-vis du numérique et sur ce que le fonctionnement des appareils peut impliquer.
  5. Il s’agit de s’interroger et de débattre sur la fin de vie de nos appareils numériques à l’aide d’un corpus documentaire.
  6. Enfin, les élèves ont pu identifier des gestes numériques écoresponsables qu’ils pourraient mettre en place et ainsi concevoir leur propre charte d’usage.

La particularité de cette séquence d’apprentissage relative aux répercussions du numérique sur l’environnement est qu’elle intègre un célèbre film d’animation. Dans ce film, les élèves pouvaient suivre l’histoire d’un petit robot qui composte les déchets terrestres sur une planète Terre désertée par l’être humain qui a fui dans l’espace. Ce film permet d’aborder de nombreuses thématiques comme la surconsommation, la domination numérique, les énergies renouvelables, la place des technologies, etc.

Des études ont déjà analysé l’effet de l’utilisation de ce film d’animation pour aborder l’éducation relative à l’environnement (Hamalosmanoglu, Kizilay & Saylan Kirmizigül, 2020 ;  Korfiatis,  Photiou & Petrou, 2020). Ces recherches démontrent que cette fiction favorise une conscientisation des problèmes environnementaux, l’adoption d’une attitude responsable par rapport au recyclage et un changement de regard par rapport à la planète chez les jeunes (9 à 12 ans) spectateurs. Ici, nous avons étudié l’intégration de ce film dans un contexte un peu différent, celui de la sobriété numérique. Notre question de recherche est la suivante : suite à la mise en place d’une séquence d’apprentissage qui intègre un célèbre film d’animation abordant la surconsommation et l’écologie, les élèves (12 à 14 ans) déclarent-ils adopter des usages numériques plus responsables ?

L'impact de la séquence d'apprentissage sur les usages numériques écoresponsables des apprenants

Une enquête relative aux pratiques numériques déclarées de ces jeunes a été réalisée avant et une semaine après l’expérimentation de la séquence d’apprentissage. L’analyse des résultats nous permet d’identifier les impacts de cette séquence d’apprentissage par rapport aux usages numériques écoresponsables des apprenants.

Ces résultats sont présentés en reprenant les 4 axes du questionnaire de maturité à la sobriété numérique (Descamps, Temperman & De Lièvre, 2022b) : les gestes écoresponsables liés à la navigation en ligne, la communication, la gestion d’environnement numérique et la consommation de technologies :

  • à la suite de la séquence d’apprentissage, les élèves rapportent qu’ils naviguent en réduisant leurs impacts sur l’environnement. Ils évitent d’ouvrir des pages ou des applications qui ne sont pas utiles, limitent l’usage du streaming, désactivent la lecture automatique des vidéos sur les réseaux sociaux et évitent de laisser de nombreuses applications, pages ou onglets ouverts ;
  • les apprenants déclarent qu’ils ont également appris des gestes écoresponsables relatifs à la communication comme se désabonner des newsletters pour éviter un flux de mails inutiles et vider leur boîte mail pour supprimer les données inutiles ;
  • suite à la séquence d’apprentissage, les élèves rapportent gérer leur environnement numérique de manière plus responsable. Ils privilégient le réseau Wi-Fi à la 4G, utilisent le mode « économie d’énergie », réduisent la luminosité ou encore suppriment les applications non désirées qui dégradent l’équipement ;
  • enfin, ces jeunes estiment avoir une consommation du numérique plus responsable en réparant leurs équipements numériques avant d’en racheter, en limitant le nombre d’équipements numériques et en recyclant les appareils numériques.

Précisons qu’il s’agit ici des pratiques déclarées des élèves qui ne sont donc pas forcément le reflet de leurs pratiques réelles de leurs usages responsables du numérique. L'objectif premier de la séquence était avant tout de sensibiliser aux impacts environnementaux du numérique et donner aux élèves des pistes concrètes pour un comportement plus sobre.

Notons également que lors des focus group, les élèves ont mis en avant leur intérêt d’aborder une thématique qui allie enjeux environnementaux et numériques. De plus, certains d’entre eux signalent leur envie de diffuser ce qu’ils ont appris auprès de leurs parents. Les élèves évaluent positivement la séquence d’apprentissage. En effet, ils sont satisfaits de l’agencement des activités d’apprentissages, d’avoir pu se questionner et débattre. Enfin, ils sont 85,2 % à avoir réellement apprécié l’utilisation du film d’animation.

Conclusion

En conclusion, cette étude donne un retour d’expérience d’une séquence d’apprentissage pour sensibiliser aux impacts du numérique sur l’environnement.

De manière générale, les élèves ont apprécié de s’emparer de ce nouvel enjeu et déclarent avoir mis en place différents comportements numériques plus sobres. Afin de répondre à notre question de recherche, nous pouvons dire que cette séquence d’apprentissage intégrant un célèbre film d’animation abordant l’écologie a permis de sensibiliser les élèves de 12 à 14 ans à l’impact du numérique sur l’environnement et à la sobriété numérique. De plus, les élèves sont motivés à en savoir plus sur cette problématique et mettre en œuvre des comportements plus responsables.

Auteur : Sarah Descamps – Assistante de recherche et doctorante au sein du Service d’Ingénierie Pédagogique et du Numérique éducatif de l’Université de Mons (Belgique)
Article publié sur le site : Eduquer à la sobriété numérique les élèves de 12 à 14 ans - Réseau Canopé (reseau-canope.fr)

Recommandations

Cette étude nous permet de rédiger des recommandations concernant l’éducation relative à la sobriété numérique :

  • ne pas culpabiliser les jeunes sur leurs usages numériques, d’où l’importance de montrer que les technologies sont aussi des solutions pour réussir la transition écologique. Par exemple, des réseaux de producteurs locaux ou de covoiturage ont vu le jour grâce au numérique. En effet, Soares (2013) mettait en avant dans son ouvrage l’importance d’avoir une posture déculpabilisatrice quand on parle d’environnement aux enfants ;
  • utiliser un maximum d’outils visuels pour tenter de rendre visible, l’invisible. En effet, derrière l’impact de nos usages numériques, se cachent des infrastructures, des réseaux, des datacenters, des déchets. L’utilisation de la schématisation de l’analyse du cycle de vie, de photographies ou d’extrait d’un film d’animation a permis de visualiser la pollution numérique ;
  • rendre les élèves acteurs de leur apprentissage. Il est essentiel qu’ils recherchent, se questionnent, débattent au sujet des impacts positifs et négatifs du numérique sur l’environnement ;
  • agir de manière sobre et responsable dans son utilisation du numérique comme enseignant. Dans un principe de cohérence, il s'agit d'appliquer les gestes de sobriété numériques, de réfléchir aux besoins pédagogiques et d'utiliser le numérique quand il apporte une véritable plus-value. Par exemple, pour réduire le nombre d’équipements nécessaires, le travail en atelier est une solution qui nécessite un plus petit nombre de matériel et renforce au passage la capacité de collaboration des élèves.

Voir aussi

Bibliographie

  • ADEME (2021, janvier), La Face cachée du numérique. Réduire les impacts du numérique sur l’environnement.https://www.eco-ecole.org/guide-pratique-face-cachee-numerique/
  • Berthoud F. (2017), « Numérique et écologie », Annales des Mines. Responsabilité et environnement, n° 87, 3, p. 72-75. https://doi.org/10.3917/re1.087.0072
  • Bordage F. (2008), « Glossaire », GreenIT.fr (blog). https://www.greenit.fr/2008/05/21/glossaire/
  • Bordage F. (2019), Sobriété numérique. Les clés pour agir, Buchet Chastel : Paris.
  • Courboulay V. (2021), Vers un numérique responsable. Repensons notre dépendance aux technologies digitales, Actes Sud Éditions : Arles.
  • Descamps S., Temperman G. & De Lièvre B. (2022a), Vers une éducation à la sobriété numérique. Humanités numériques, (5). doi:10.4000/revuehn.2858
  • Descamps S., Temperman G. & De Lièvre B. (2022b), Évaluer sa maturité à la sobriété numérique, présenté au 33e colloque de l'ADMEE-Europe, Université des Antilles, Guadeloupe, France.
  • Ferreboeuf H., Efoui-Hess M. et Kahraman Z. (2018), Pour une sobriété numérique, The Shift Project. Consulté sur https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2018/11/Rapport-final-v8-WEB.pdf
  • Hamalosmanoglu M., Kizilay E. & Saylan Kirmizigül A. (2020), “The Effects of Using Animated Films in the Environmental Education Course on Prospective Teachers' Behavior towards Environmental Problems and Their Attitude towards Solid Waste and Recycling,” International Online Journal of Education and Teaching, 7(3), p. 1 178-1 187.
  • Korfiatis K., Photiou M. & Petrou S. (2020), “Effects of eco-animations on nine and twelve year old children’s environmental conceptions: How WALL-E changed young spectators’ views of earth and environmental protection”, The Journal of Environmental Education, 51(5), p. 381-394.
  • Redecker C. & Punie Y. (2017), European Framework for the Digital Competence of Educators, Luxembourg : Office of European Union, Commission européenne. https://doi.org/10.2760/178382
  • Vidalenc E. (2019), Pour une écologie numérique, Institut Veblen : Paris.
Dernière modification le vendredi, 07 avril 2023
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Les usages du numérique éducatif : L'Agence nationale des usages du numérique éducatif est un site web de référence qui vise la compréhension des enjeux liés à l’évolution des pratiques professionnelles des enseignants dans un contexte numérique. Cette publication présente une veille sur les outils, ressources, services pédagogiques numériques pour l’Éducation, des résultats de la recherche internationale, des expériences d’utilisateurs dans la conduite des actions d’enseignement et d’apprentissage et une observation en continue des processus « usages » mis en œuvre dans le cycle de vie des projets technico-pédagogiques.

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