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Publié sur le site de l'Agence des Usages par Lionel Roche, doctorant laboratoire EA 4281, Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand, cette étude sur les plateformes de formation en ligne : gadget ou véritable outil de formation pour les enseignants ?

Cette contribution va tout d’abord rendre compte des études qui se sont intéressées aux usages de plateformes en ligne en relation avec le développement de compétences d’enseignement, parmi lesquelles la capacité à réguler le travail des élèves, à différencier le travail, ou encore à identifier et connaître les comportements typiques des élèves dans certaines situations d’apprentissage (par exemple, difficultés typiquement rencontrées par les élèves).

L’objectif sera ensuite de dégager des recommandations relatives à l’usage de tels dispositifs de formation au bénéfice du développement professionnel des enseignants.

Le développement des MOOC (Massive Open Online Course ou « cours en ligne massif et ouvert » en français), et plus généralement de l’enseignement massif en ligne, est aujourd’hui important, comme le soulignait déjà un numéro de la Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire en 2015 (volume 12, numéros 1 et 2).
 
En effet, l’intérêt pour les MOOC est croissant et la formation des enseignants est également concernée par le déploiement de contenus de formation accessibles en ligne. Les MOOC peuvent ainsi être considérés comme « une nouvelle forme d’éducation à distance » (Karsenti, 2013) et diplômante. Dans la même lignée que les MOOC, de nombreuses plateformes (sans délivrance systématique de diplôme) se sont développées pour former les enseignants : citons pour exemples MyTeachingPartner (http://curry.virginia.edu/research/centers/castl/mtp), développée par l’Université de Virginie (USA), ou Neopass@ction> (http://neo.ens-lyon.fr), développée par l’Institut Français de l’Éducation.
 
Notons que ce type de plateformes est essentiellement constitué de contenus vidéo issus de situations réelles d’enseignement (captation de situations de classe avec des élèves ou d’entretiens avec des professionnels, enseignants ou chercheurs). Elles se distinguent en ce sens des MOOC qui ne se limitent pas à ce type de contenus (par exemple, vidéos de conférences, apports disciplinaires, didactiques). 

Il faut à ce stade se demander si le visionnage de vidéos en ligne, en général, peut favoriser l’acquisition de compétences professionnelles (par exemple, concevoir et mettre en œuvre des situations d'enseignement et d'apprentissage permettant la gestion de la diversité des élèves). Notre contribution va tout d’abord rendre compte des études qui se sont intéressées aux usages de plateformes en ligne en relation avec le développement de compétences d’enseignement, parmi lesquelles la capacité à réguler le travail des élèves, à différencier le travail, ou encore à identifier et connaître les comportements typiques des élèves dans certaines situations d’apprentissage (par exemple, difficultés typiquement rencontrées par les élèves). Ceci nous amènera ensuite à formuler des recommandations relatives à l’usage de ces plateformes pour la formation des enseignants. 

Les plateformes de formation en ligne : une aide pour transformer sa pratique

Parmi les études portant sur les plateformes de formation en ligne à destination des enseignants, différents types de résultats peuvent être relevés. Nous nous référons ici à l’étude qualitative de Serge Leblanc (Université de Montpellier), réalisée entre septembre 2011 et janvier 2012, sur la base du suivi longitudinal d’une enseignante stagiaire de mathématiques en collège (Leblanc, 2014). Le but de cette étude était :

  1. d’identifier les transformations de la pratique de classe que l’enseignante envisageait lors de chaque session de vidéo formation (transformations envisagées au cours du visionnage de vidéos) ;
  2. de rendre compte de leur réalisation ou non en classe ainsi que de leurs éventuels effets sur la pratique (par exemple, satisfaction de l’enseignant, amélioration de la gestion de classe) à travers un retour d’expérience réalisé lors d’un entretien se déroulant un mois plus tard.

Le protocole méthodologique ici mis en place agrège 3 volets : la consultation des ressources vidéo sur la plateforme en ligne (Neopass@ction), des verbalisations sollicitées par le chercheur et un entretien réalisé un mois plus tard. Lors de sessions de navigation, l’enseignante devait commenter ce qu’elle faisait, expliciter les raisons qui l’amenaient à consulter les différentes vidéos (par exemple, vidéos de situations de classe, entretiens d’auto-confrontation d’enseignants débutants sur la base de captations de séances, entretiens avec des chercheurs).

Deux principaux résultats peuvent être dégagés de cette étude :

  1. Le rôle de l’accompagnement par le chercheur lors du visionnage des vidéos de pairs (dispositif d’allo-confrontation – voir ci-dessous) : le recours à des captations vidéos vise à faire émerger une analyse critique par le sujet de sa propre activité, de prendre conscience de ses procédures, par le biais de la découverte et de la discussion autour des pratiques mises en place par d’autres enseignants. Cette méthode d’allo-confrontation vidéo (Mollo & Falzon, 2004), se différencie de l’auto-confrontation (visionnage de la captation de sa propre pratique). 


Lors de l’auto-confrontation vidéo, la réflexion développée est un moyen de mettre à jour les processus cognitifs sous-jacents à l’activité mise en œuvre par le participant. 
L’allo-confrontation, quant à elle, est un moyen de verbaliser une activité que le participant connaît et qu’il met en œuvre mais qui n’est pas celle visionnée. Cette méthode permet notamment de prendre conscience d’autres formes de connaissances pratiques qui conduisent les sujets à devenir conscients de leur propre activité par rapport à celle des autres. Elle permet également la construction de nouvelles connaissances relatives à l’activité observée. 


Ainsi, les questions posées par le chercheur ont ici amené l’enseignante à envisager une transformation de sa pratique de classe à partir de l’observation de collègues en situation. Les séances de visionnage et l’accompagnement par le chercheur ont permis à l’enseignante d’identifier un ensemble possible de rituels à mettre en place dans sa classe. Certains de ces rituels ont réellement été instaurés et ont permis à la participante de modifier durablement sa pratique. Cette activité mimétique réflexive (inspirée par le visionnage d’autres enseignants en train d’enseigner) a été favorisée par les questions posées par le chercheur et la mise en relation par l’enseignante en formation de sa pratique avec celle des enseignants témoins.

Les échanges avec le chercheur à partir de visionnages de témoignages de pairs ont aidé l’enseignante à identifier ses propres façons de faire pour envisager de les modifier. Ainsi la participante a été conduite à trouver dans la façon de faire de l’enseignante filmée une piste de transformation de sa propre pratique d’enseignement : l’instauration de nouveaux rituels, comme celui d’envoyer les élèves au tableau par groupe de trois.

Cette étude montre que la mise à disposition d’une plateforme de formation en ligne basée sur des vidéos est susceptible de constituer une ressource de formation pour les enseignants lorsqu’elle permet de recourir à une activité de visionnage de type allo-confrontation vidéo (accompagnée par un chercheur ou un formateur).

Cette méthode permet aux enseignants en formation d’imaginer de nouvelles possibilités d’intervention en classe, pour se projeter grâce à une expérience mimétique. De plus, l’accompagnement des transformations professionnelles doit se faire sur plusieurs mois, notamment en réalisant plusieurs séances d’allo-confrontation vidéo qui vont permettre d’envisager des transformations mais aussi d’évaluer les effets à long terme sur la pratique de classe.

Les plateformes de formation en ligne : une aide pour opérationnaliser des connaissances théoriques

L’étude de Koc, Peker & Osmanoglu menée en 2009 à l’Université d’Indiana (USA) auprès d’enseignants débutants (19 dont 13 en primaire) et expérimentés (7 enseignants de mathématiques du secondaire), visait à évaluer les éventuels bénéfices, pour le développement professionnel, du recours à une plateforme en ligne, plateforme incluant des vidéos et un forum d’échanges entre enseignants.

Les échanges en ligne étaient modérés par un formateur universitaire qui accompagnait le groupe en formation mais n’était pas impliqué dans la conception ni du dispositif de recherche ni du dispositif de formation. Son rôle était de guider et d’aider les enseignants dans leurs questionnements.

Concernant les échanges sur le forum, l’analyse catégorielle de contenu par les chercheurs fait émerger les catégories significatives suivantes :

  •    le rôle que l’enseignant en formation endosse dans les échanges en ligne (manager, formateur, évaluateur, concepteur de situations d’apprentissage),
  •   la compréhension de l’activité d’apprentissage par les élèves (par exemple, difficultés rencontrées par les élèves lorsqu’ils réalisent un exercice),
  •    les outils utilisés en classe par l’enseignant en formation.

Les différentes catégories mises en évidence montrent bien que les enseignants en formation (au travers des échanges sur le forum) prennent conscience qu’il est complexe de transmettre des contenus d’enseignement et que, pour cela, ils doivent assumer différents rôles au cours d’une même leçon.

Cette étude a en outre pu montrer que l’association du visionnage de vidéos en ligne avec un forum de discussion permet aux enseignants d’envisager plus facilement des applications concrètes de connaissances théoriques.

En effet, les échanges en ligne entre les enseignants en formation facilitent la construction et la redécouverte de connaissances théoriques abordées lors de sessions de formation initiale. Par exemple, les échanges en ligne permettent aux enseignants en formation, à partir d’une étude de cas vidéo, de reconstruire toute la complexité des rôles que l’enseignant doit assurer durant une leçon : évaluateur de l’activité des élèves, formateur, organisateur de l’activité en classe, concepteur de tâches d’apprentissage…

Les résultats de l’étude rendent compte du fait que les échanges, guidés par un formateur universitaire, permettent aux enseignants en formation de découvrir et expliciter des applications concrètes de connaissances théoriques :  par exemple, comment mettre en œuvre une situation d’enseignement en mathématiques en introduisant la leçon par un problème concret qui permet par la suite d’introduire les notions qui vont être abordées dans la leçon du jour.

Les plateformes de formation en ligne : une aide pour apprendre à réguler les apprentissages

L’étude d’Allen, Pianta, Gregory, Mikami & Lun (2011) de l’Université de Charlottesville (Virginie, USA), réalisée à partir du dispositif MyteachingPartner, a pour sa part montré que la conception de vidéos de son propre enseignement (c’est-à-dire captation de la leçon puis sélection et montage), puis la mise en ligne de ces dernières sur une plateforme en ligne et l’accompagnement par un formateur universitaire ont permis aux enseignants participants d’améliorer la qualité des relations enseignants/élèves. 

Cette étude, menée auprès de 78 enseignants du secondaire et de 2 237 élèves, avait pour objectif d’étudier les éventuels impacts du dispositif MyteachingPartner sur les résultats scolaires des élèves. Cette plateforme a été conçue dans le but premier de travailler les compétences professionnelles relatives à la motivation des élèves et à la relation enseignant/élèves (par exemple, établir un climat émotionnel positif, prendre en compte les besoins des élèves, différencier les modalités pédagogiques, corriger les élèves).


Les données recueillies se basent sur une analyse comparée des performances disciplinaires des élèves en début et fin de protocole entre un groupe ayant suivi le dispositif MyteachingPartner et un groupe témoin (les contenus et objectifs disciplinaires étaient les mêmes pour les deux groupes).

Il était demandé aux enseignants (8 années d’expérience en moyenne, dans différentes disciplines) de mettre en ligne une vidéo de leur enseignement, visionnée ensuite par un formateur qui lui-même enregistre en retour une courte capsule vidéo consultable par l’enseignant en formation. Par la suite, un entretien entre le formateur et l’enseignant était réalisé afin d’envisager des stratégies pour améliorer les relations enseignant/élèves durant certains moments particuliers de la leçon (ces entretiens ne faisaient pas partie du protocole de recherche mais bien du dispositif de formation lui-même).

En fin d’année scolaire, les tests passés par les élèves dont les enseignants avaient suivi le dispositif MyteachingPartner ont permis de rendre compte d’une amélioration de leurs résultats scolaires dans l’ensemble des disciplines scolaires. Ces résultats s’expliquent notamment par une plus grande capacité des enseignants en formation à prendre en compte et à évaluer plus précisément les productions des élèves (par exemple, les réussites et les échecs) lors de situations d’apprentissage dans les tâches scolaires. Mais, les enseignants ont aussi développé une plus grande capacité à apporter des réponses individualisées aux difficultés spécifiques des élèves.

Conclusion

Le visionnage de vidéos en ligne via des plateformes spécifiques semble pouvoir contribuer au développement professionnel des enseignants (par exemple, amélioration des capacités à identifier les difficultés typiques des élèves et à apporter des réponses spécifiques, meilleure compréhension des situations de classe).

Cependant, toutes les études se rejoignent pour souligner que ces plateformes, et les vidéos qui les constituent, ne peuvent en elles-mêmes suffire à former les enseignants. En effet, le rôle du formateur est un aspect important pour optimiser l’usage de l’outil « plateforme ».

L’accompagnement et les formes de travail qu’il suscite (par exemple, création de capsules vidéos, visionnage de capsules vidéos, questionnement suscité sur certaines compétences professionnelles ou encore focalisation sur certains aspects de la pratique professionnelle), jouent un rôle essentiel dans les éventuelles transformations de la pratique et le développement des compétences professionnelles enseignantes. De plus, les ressources et services associés (par exemple, forum modéré) constituent des éléments qui favorisent un développement des capacités d’analyse et de compréhension des situations d’enseignement/apprentissage mises en œuvre en classe. Les interactions avec un formateur ou des pairs semblent déterminantes afin d’accroître le potentiel formateur des plateformes vidéo.

Lionel Roche,
doctorant laboratoire Activité Connaissances Transmission Education, EA 4281, Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand.
Dernière modification le jeudi, 31 mai 2018
Agence usages Canopé

Les usages du numérique éducatif : L'Agence nationale des usages du numérique éducatif est un site web de référence qui vise la compréhension des enjeux liés à l’évolution des pratiques professionnelles des enseignants dans un contexte numérique. Cette publication présente une veille sur les outils, ressources, services pédagogiques numériques pour l’Éducation, des résultats de la recherche internationale, des expériences d’utilisateurs dans la conduite des actions d’enseignement et d’apprentissage et une observation en continue des processus « usages » mis en œuvre dans le cycle de vie des projets technico-pédagogiques.

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