Introduction : du contexte aux questions de recherche
Le champ de l’orientation scolaire et professionnelle connaît, avec la transition sociétale numérique, de profondes mutations des pratiques de conseil et d’accompagnement.
Que ce soit la « plateformisation » des démarches d’orientation scolaire (avec Affelnet ou Parcoursup, entre autres) ou le fait que « les solutions digitales apparaissent comme une possible réponse au besoin de tous de bénéficier d’un accompagnement » (Houssemand et Loarer, 2023, p.1), on assiste à un double mouvement concomitant de digitalisation des instances de conseil et d’orientation et de déploiement d’un véritable marché numérique de l’orientation.
L’inventaire proposé par ces auteurs est, en ce sens, éclairant ; ce qui nous permet de nous appuyer sur cet ensemble pour désigner les « nouveaux supports » ou « supports digitaux » d’aide à l’information et à l’orientation :
« Le numérique en orientation se présente sous des formes multiples et variées. De formats entièrement numériques ou hybrides, il va des applications aux plateformes, des réseaux sociaux aux jeux sérieux, aux modalités de communication et de conseil à distance ou à l’intelligence artificielle. Il concerne tant l’accès aux informations, par des systèmes de plus en plus interactifs, fournissant des informations de plus en plus nombreuses et actualisées sur les formations et sur le monde du travail, que l’aide à la connaissance de soi à travers des outils et applications, les supports d’éducation à l’orientation ou de conseil à distance, les dispositifs d’affectation dans les filières, d’aide à l’insertion ou de mobilité professionnelle ou encore le développement des interactions sociales et des réseaux sociaux pour l’orientation. » (ibid.)
Or, les recherches récentes sur ce foisonnement de l’offre digitalisée du champ de l’orientation attestent d’effets ambivalents sur les « représentations d’avenir » (Guichard, 1993) et sur les parcours des adolescents comme des adultes en situation de « transition identitaire dans leurs parcours d’éducation » (Jacques, 2020).
Dans leur revue de littérature sur la question « Orientation et numérique », Houssemand et Loarer (ibid.) soulèvent les effets discrets de ces usages sur les processus d’orientation :
« Si, dans un contexte où l’accompagnement humain qualifié est rare et souvent onéreux, plusieurs études montrent le relativement faible impact actuel du numérique sur l’orientation ». En appui sur une étude conduite au Québec, Dionne et al. (2023) interrogent les effets de « justice sociale » de ces usages et précisent que « la télépratique groupale constitue une avenue prometteuse pour soutenir le développement progressif de compétences numériques, mais qu’elle soulève des enjeux centraux à considérer pour favoriser un accès juste aux services d’orientation et d’emploi.
Certaines inégalités sociales semblent effectivement exacerbées par les inégalités numériques, notamment celles découlant de ressources informatiques limitées ou d’une faible littératie numérique. » (p.63).
D’autres analyses en Sociologie pointent les dérives possibles de ces supports qui « matérialise[nt] la socialisation des élèves aux règles du marché et se dessine à l’horizon la figure de l’élève comme sujet marchand », par la canalisation des aspirations qu’ils opèrent (Lehner, Oller et Pin, 2023, p.647). La question de l’amplification des inégalités d’origine, via les usages numériques, est également soulevée par Blanchard, Déage et Saccomano (2023) lors des procédures d’orientation « dite active » afférentes au segment du Lycée.
Concernant ce public adolescent, Gauducheau et Marcoccia (2017) révèlent par ailleurs que « les forums Internet comme espaces de discussion entre adolescent.e.s sur l’orientation scolaire » seraient à l’origine de la « construction d’une contre expertise profane », dans une démarche de « recherche de soutien social et de comparaison sociale. » (p.1)
En revanche, des effets plus positifs des supports digitaux sur les processus d’orientation ont été pointés dans des recherches en Psychologie.
Ainsi, Dumas-Reyssier et Touraille (2023) ont observé que l’appui des conseillers en mission locale sur l’application-web DiagOriente prend en charge une partie de la tâche de guidage de la réflexion des jeunes et améliore la disponibilité des conseillers, vers de « nouvelles affordances » (p.33) : ces capacités d’utilisation se déploient vers une individualisation du soutien et de nouveaux ateliers collectifs.
En appui sur des outils numériques immersifs, Saban et Bobillier-Chomont (2023) montrent « une amélioration de la relation intrapersonnelle des sujets » et de « leur capacité à se réapproprier leurs compétences ainsi que leurs projets professionnels en situation de bilan de compétences » (p.7).
Ces résultats contrastés ont été questionnés dans le cadre du comité scientifique du CARIF OREF (Centre d’animation, de ressources et d’information sur la formation / Observatoire régional emploi-formation) de Nouvelle Aquitaine, à savoir Cap Métiers (CMNA), qui développe de nombreuses interfaces d’information sur les formations et les métiers, la plupart étant digitalisées (serious game de mise en situation par le geste, plateformes interactives, podcasts et vidéos, forums, jeux de plateau, etc.) :
Nous nous sommes interrogés sur les usages et les effets de cette multiplication des canaux d’information ou de sensibilisation et de ces nouveaux services (notamment numériques) : accessibilisent-ils l’information et résorbent-ils des inégalités d’appropriation ou au contraire, les accentuent-ils ? Quelles sont les conditions d’accès à ces offres (distanciel, accueil grand public, encadré, autonome) ? Comment sont construits ces dispositifs ? Quel regard les personnes portent-elles sur ces outils ? Comment les acteurs territoriaux les investissent-ils ? Comment se rencontrent les besoins et les ressources ? Quels sont les effets de ces services (affluence, effets sur les représentations des métiers et des formations, ampleur de l’intention d’élargissement des perspectives) ?
Dans le cadre d’un séminaire de Master 1 des Sciences de l’éducation et de la formation de l’université de Limoges, intitulé « Citoyenneté et pouvoir d’agir en contextes francophones », nous nous sommes penchés sur ces questions de départ. Plus spécifiquement, nous avons mis la focale sur les publics en situation de vulnérabilité socio-scolaire et leur réception de ces nouveaux supports d’information et d’orientation au sein de Cap Métiers Nouvelle-Aquitaine. Nous entendons par vulnérabilité, un « processus social qui prive des individus de certaines ressources », amplifie leur « potentialité à être blessé » (Roy, 2008) et les place dans une « zone d’entre deux située entre l’exclusion et l’intégration » (Becquet, 2012). Les publics sur lesquels nous avons mis notre focale sont privés de certaines ressources sociales (relevant notamment de l’emploi, la maîtrise de la langue, la mobilité, les soutiens sociaux) et/ou scolaires (se manifestant par des difficultés d’apprentissage ou de persévérance, un déficit de compétences et de connaissances du socle commun).
Pour structurer notre démarche, nous nous sommes donc demandé quels sont les usages et les effets des temps collectifs d’information organisés à Cap Métiers, via ces « nouveaux supports », sur le pouvoir d’agir des sujets en situation de vulnérabilité socio-scolaire face à leur (ré)insertion?
Accès au dossier en téléchargement
Quand des mastérants vont sur le terrain : Regards d’apprentis-chercheurs sur un dispositif de découverte des métiers. - 35 pages -
1-Dossier_Mastérants_U_Limoges_-_Cap_Métiers.pdf
Tous nos remerciements à Marie-Hélène JACQUES - Professeure des Universités en Sciences de l’éducation et de la formation, faculté des Lettres et Sciences humaines, Unité de Recherche FrED, Université de Limoges -
A Tarana AMRAHOVA, Léa BOUFFIER, Fleury CHARLES, Matteo DEBIAIS, Léa DUBREUIL, Margot LAFORET, Emilie LAMBERT, Florence LAMIDEL, Marine LUCAS, Lise NADAL, Vincent POUCHOL-BLANCHON, Bunga RIDAYANTI, Solène TCHOU, Jade TRONCY – Promotion d’étudiants en Master 1 (2023-24) parcours Diversité, Education, Francophonie en Sciences de l’éducation et de la formation, faculté des Lettres et Sciences humaines, Université de Limoges -
Dernière modification le mercredi, 02 octobre 2024