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Il y a quelques mois, en chemin pour un dîner en ville, la vitrine d'une librairie a attiré mon attention.

Plusieurs ouvrages mis en valeur et un peu en scène concernant le domaine... de la mode.

Je n'étais pas spécialement en avance sur l'heure de rendez-vous prévue pour le dîner, mais je suis quand même entrée... juste pour voir. 

J'ai à peine un pied dans la librairie, le libraire me lance un très enthousiaste "Bonsoir et merci d'être venue !".

Plutôt décontenancée, je ne sais pas vraiment quoi répondre... "Euh bah de rien..." 

Quelques coups d'oeil alentours m'indiquent ce qui est en train de se passer : une rencontre avec un auteur débute exactement au moment où j'entre dans le lieu. Une chance inouïe !

La synchronicité comme introduction à ce propos, ici même. 

 

Clément Pairot, auteur de "Démocrazies. Un frenchie dans la campagne de Bernie Sanders." paru aux Editions Qui mal y pense fait alors le récit de son aventure aux Etats-Unis, au sein même du camp démocrate, et plus précisément avec l'équipe de Bernie Sanders. 

Il me semble qu'en pleine tempête médiatique sur l'élection américaine pile ces jours-ci, le sujet est on ne peut plus d'actualité. Ci-dessous les réponses aux questions posées à l'auteur sur le système électoral... et nous. 

"Le 9 novembre 2016, une partie du monde se réveillait stupéfaite et hagarde en découvrant le visage du 45ème Président des Etats-Unis. Impensable dans un premier temps, redoutée ensuite, la défaite du Parti démocrate et de sa candidate face à Donald Trump concluait alors une campagne électorale hors normes... Pendant les primaires, tandis que le Parti républicain se laissait séduire par la tentation d'une insurrection réactionnaire et identitaire, une autre révolution, progressiste et autrement plus porteuse d'espoir, a été occultée: la campagne de Bernie Sanders, étouffée par le Parti démocrate pour assurer la nomination d'Hillary Clinton."

Ndlr : Le livre "Démocrazies. Un frenchie dans la campagne de Bernie Sanders." est un journal intime de campagne, en quelques sorte, relatant les événements quotidiens vécus par l'auteur pendant son expérience de militant actif lors des éléctions de 2016 et expliquant le mode de scrutin américain (et il est pas simple!) avec des schémas, des encarts spéciaux pour mieux comprendre les enjeux et mécanismes de ce système. Il me semble ainsi être un formidable support pédagogique pour raconter nos sociétés démocratiques (et leurs crises?) et peut-être se poser des questions... 
  
Extrait du livre : "[De quoi je me mêle ?] C'est vrai ça ! Que viennent faire deux Français dans la campagne démocrate ? Les Français en France et les Américains seront bien gardés ! Si j'ai fait le choix de me lancer avec Flore dans l'aventure c'est qu'il me semble que non. Nous sommes tous concernés. Ce qui se joue dans la campagne américaine ne concerne pas juste les Etats-Unis mais une partie de l'équilibre mondial. (...) Face aux urgence climatique, terroriste et sociales mondiales, il est de ma responsabilité en tant que citoyen d'aider à mon échelle les candidats progressistes, pacifistes et déterminés sur les questions d'environnement à maximiser leurs chances de victoire.(...)"
 

Questions à l'auteur, et ses réponses :

 
Quelles différences et quelles similarités avez-vous noté entre le peuple américain et le peuple français, en terme d'implication vis à vis des élections ? 
 
"Je ne saurais pas faire de généralités comparant ces deux peuples car je n’ai pas mené cette expérience avec une grille sociologique et une méthodologie scrupuleuse pouvant me permettre de tirer des conclusions légitimes et tranchées. Cette précision faite, il reste des éléments assez évidents de distinction entre les Etats-Unis et la France. Le plus marquant est probablement la capacité qu’on les soutiens d’un•e candidat•e à l’arborer de mille manières : sur leur voiture avec un « bumper sticker » à la fenêtre de leur appartement avec une pancarte à son nom ou sur leur carré de jardin devant la maison avec les fameux Yard Signs. C’est quelque chose de moins (voir pas du tout) développé en France.
Un autre détail qui m’avait marqué en 2016 est le fait que, quand vous allez voter, on vous donne un petit autocollant « I voted » que beaucoup arborent ensuite sur leur plastron durant la journée. C’est une méthode assez amusante pour inciter les gens que vous croisez à aller voter sans même avoir à enclencher de discussion. Néanmoins, cette implication « visible » ne doit pas faire oublier une démobilisation particulièrement forte de l’électorat américain. On avoisine les 40 à 45% d’abstention lors des scrutins présidentiels, près du double de l’abstention en France. Cela peut paraitre assez paradoxal.
 
Aussi, ces derniers jours sur Facebook j’ai vu plusieurs de mes ami•e•s d’Ohio participer fièrement aux réunions de préparations de la primaire (qui s’y déroulera dans plus de deux mois pour l’Ohio), et élire ceux qui, parmi eux, seront les potentiels délégué•e•s des candidat•e•s à la convention. C’est comme si la complexité du système des primaires amène ceux qui s’y  impliquent à le faire de manière particulièrement importante, bien au delà du simple fait d’aller voter.
En conclusion, si je peux me risquer à une généralité, je dirais que l’électorat est encore plus scindé aux USA qu’en France entre celles et ceux qui votent et souvent s’impliquer fortement, et celles et ceux qui sont totalement désintéressés, alors que j’ai l’impression qu’en France on est globalement davantage politisés. C’est en tous cas l’image (positive chez mes amis pro-Sanders) que les américains ont de nous avec nos révolutions et nos grèves ! :)" 
 
Le fonctionnement des scrutins est très différent, que devrions-nous mettre en place en France pour inciter les citoyens à s'emparer de leur citoyenneté ? 
 

"Aux Etats-Unis, le fait que Donald Trump ait gagné l’élection présidentielle avec une minorité du vote populaire mais grâce au système dit de « collège électoral » qui est un scrutin indirect amène celui-ci à être remis en question fortement chez les démocrates. Les commentateurs français décrivent souvent ce système comme archaïque. Or, il n’est pas plus « archaïque » ou « injuste » ou « illégitime » que...la manière dont on élit les Sénateurs en France. Je crois donc que la remise en question doit être plus profonde et structurelle.


En France, comme aux Etats-Unis, pour que les citoyennes et citoyennes aient à nouveau l’envie de s’informer sur les programmes, de s’impliquer et de voter, je crois qu’il faut que l’on révolution le mode de scrutin. 
 
Quand on y réfléchit, ce n’est en rien une évidence que le scrutin uninominal à deux tours avec juste 2 candidat•e•s au second tour (comme on le fait pour notre présidentielle) soit le plus pertinent, le plus représentatif, le plus juste etc. Idem pour le système américain où les primaires constituent des sortes de « premier tour » de chaque parti, avant un second tour avec deux gros noms (et quelques tout petit comme le candidat libertarien ou la candidate verte en 2016). A la place de ce système qui a plein de biais (les voix se cannibalisent entre candidat•e•s aux propositions proches, le vote de contestation, le vote de barrage, le vote utile etc.), il me semble que le scrutin à jugement majoritaire est une alternative très attirante, saine, transparente, et simple à mettre en oeuvre.
 
Si vous ne connaissez pas je vous encourage à regarder les nombreuses vidéos proposées sur le sujet sur youtube, notamment :
 
1) : présentation du vote à jugement majoritaire (3’40) https://www.youtube.com/watch?v=0tXc_-rUwdg 
2) présentation de différents podes de scrutins (4’40): https://www.youtube.com/watch?v=vfTJ4vmIsO4&t=3s
vidéo plus complete sur tout le sujet (7’00):  https://www.youtube.com/watch?v=nyepRkrhwYU
 
Et ce que ça aurait donné en simulation en 2017 : https://www.mercialfred.com/lifestyle/contre-election-resultats
La question épineuse est évidemment comment on décide de changer de scrutin alors qu’il désavantage les partis dominants qui, notamment grâce au vote de barrage, arrivent à forcer la main aux électeurs même si, pour reprendre une belle expression apprise durant la campagne de Sanders « Our dreams don’t fit on their ballot » . Sur ce point, je n’ai pas la réponse même si le fait de procéder à la rédaction d’une nouvelle constitution, notamment via une assemblée constituante permettrait probablement de bien remettre les choses à plat et repartir sur un système et un mode de scrutin plus sain."
 
Sur twitter pour prolonger l'échange si le coeur vous en dit : @democrazies_ 
Dernière modification le jeudi, 05 novembre 2020
Elbaz Jennifer

Vice-présidente de l'An@é.