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Le contexte particulièrement tragique que nous traversons au niveau national affecte nécessairement la situation des établissements scolaires. Les menaces qui pèsent désormais sur chacun de nos espaces publics imposent de nouvelles exigences de sécurité et de vigilance partagée que nul ne peut ignorer. La sécurisation des écoles, collèges et lycées est une priorité nationale.

Elle oblige à une attention de tous, à la mise en œuvre sereine et rigoureuse de dispositions adaptées : procédures de contrôle, surveillance accrue des espaces, réalisation d’exercices d’évacuation et de confinement… Le consensus semble donc réel, inébranlable, intransigeant pour un pouvoir politique responsable de la sécurité de tous et a fortiori des plus vulnérables : les enfants de la république.

Mais derrière les discours et les déclarations d’intention, les actes posés semblent parfois hésitants. La résolution affichée sur un tel sujet dévie, au contact du réel des établissements scolaires, vers des fluctuations parfois malaisées à décrypter. A titre d’illustration de cet atermoiement des pouvoirs publics, deux sujets – sur des thématiques très différentes - peuvent ainsi être succinctement évoqués.

Le premier d’entre eux se présente sous la forme d’un dilemme :

faut-il prévenir toute forme d’attroupement des lycéens devant leurs établissement en autorisant une exception à la loi Evin – et donc en permettant aux élèves de fumer dans l’enceinte de l’établissement ?

Ou s’agit-il au contraire de privilégier de manière inconditionnelle l’exigence de santé publique et de lutte contre le tabagisme – au risque d’exposer les publics scolaires ?

La jurisprudence a tranché sur cette question puisque le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a suspendu, jeudi 21 avril 2016, en référé, la décision du proviseur d’un établissement des Hauts-de-Seine d’autoriser les lycéens à fumer dans la cour en raison de l’état d’urgence et de la menace d’attentat. Dans son ordonnance, le tribunal demande au proviseur du lycée Paul-Lapie de Courbevoie « d’assurer le respect des dispositions du code de la santé publique interdisant de fumer dans les établissements scolaires ».

Pourtant, le constat que l’on peut faire sur le terrain est sans appel. En incitant les élèves à sortir de l’établissement, la loi Evin n’a pas véritablement fait baisser le tabagisme des jeunes. Elle a très souvent, dans de trop nombreuses situations locales, facilité le démarchage des dealers qui ne sont plus obligés de s’introduire dans les établissements.

En situation d’état d’urgence, de tels attroupement d’élèves, à des heures régulières, constitue à n’en pas douter le risque le plus manifeste d’attentat. En dépit d’une demande expresse et unanime des chefs d’établissement et de leurs syndicats, le ministère refuse jusqu’alors de légiférer, d’inscrire dans une loi d’exception – mais notre situation ne l’est-elle pas ? - la possibilité d’étendre l’état d’urgence à ce sujet. Car peut-on réellement prétendre sécuriser les établissements si l’on ne prévient pas les regroupements d’élèves à leurs abords ?

La question de la communication auprès des familles et des élèves est un autre sujet d’interrogation, voire d’inquiétude pour les professionnels.

Car un second dilemme, plus fondamental celui-ci, se pose concernant la mise en œuvre des procédures d’état d’urgence : celui de sécuriser sans stigmatiser telle ou telle population scolaire. Celui également de prévenir tout risque sans susciter une angoisse trop prégnante chez les élèves et les familles.

Ce juste équilibre à rechercher constitue intrinsèquement un sujet tout aussi éducatif que sécuritaire.

Sécuriser l’école, c’est d’abord amener tout citoyen ou futur citoyen à reconnaître les valeurs qui sont les siennes, à construire cet esprit de tolérance qui fonde l’unité républicaine. C’est bien parce que chaque élève est d’abord dans l’école un enfant de la république avant d’être membre de telle ou telle communauté qu’il convient de proscrire tout signe « ostensible » d’appartenance ou de pratique religieuse. Mais cette précaution ne porte pas atteinte à la liberté de croyance. Bien au contraire, elle la préserve de tout risque de manipulation potentielle par l’entourage comme de toute stigmatisation par les autres.

Telle est la philosophie de notre laïcité, si spécifique à la France. Elle consiste à poser l’universalité comme un dogme, l’unité comme une exigence absolue et à faire de toute forme de différence exprimée la résultante seconde de ce postulat préalable d’uniformité. Cette unité n’est pas le produit d’une « chapelle » ou d’une confession. Elle est celle de la raison, le produit des valeurs que tous peuvent et doivent partager.

Une telle approche conduit alors à expliquer très précisément quel est l’esprit de la loi, quelle est la philosophie exacte de cette laïcité qui nous est si chère et qui nous expose aujourd’hui à la violence des fanatismes. Le socle véritable de notre édifice commun, de notre « chose publique » et pleinement partagée, n’est en effet rien d’autre que le postulat de la liberté personnelle. C’est ce que dit clairement la déclaration des droits de l’homme de 1789 en son article 10 :

« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi »

C’est encore le sens exact de la loi de 1905 en son article 1 : « la république assure la liberté de conscience ».

La laïcité n’est donc pas, historiquement, antireligieuse. Elle ne proscrit pas la foi et ses pratiques. Elle les circonscrit cependant très clairement, non pour en condamner les modalités d’expression, mais pour permettre le pluralisme des croyances et l’autonomie des adhésions personnelles. L’auteur de l’article 10 de la Déclaration, le député Rabaud Saint Etienne, n’était ni franc-maçon, ni libre penseur, ni athée. Il était politiquement Girondin, ami de Condorcet, mais surtout protestant. Il entendait alors inscrire dans la loi sa liberté de croyance contre toute forme de gallicanisme, contre toute idée de religion d’Etat. Nul besoin de se cacher dans les profondeurs des forêts cévenoles pour pratiquer son culte : la laïcité garantit à chacun cette liberté fondamentale contre toute forme de persécution publique.

Il faut donc expliquer aux élèves, rappeler aux citoyens que la laïcité est d’abord l’affirmation absolue de la liberté de croire ou de ne pas croire, l’interdiction posée à tout pouvoir politique de s’immiscer dans les consciences personnelles.

Tel est également l’esprit de la loi de 2004 qui proscrit tout signe ostensible à l’école : non pour stigmatiser mais à l’inverse pour préserver chaque enfant de toute stigmatisation. Un tel message de l’esprit des lois n’est pas, en ces moments de tensions extrêmes entre les communautés, suffisamment rappelé. Il est même parfois, il s’agit d’en convenir, contredit par ceux qui prétendent aveuglément s’en réclamer.

Il appartient bien à l’école, au-delà de toute déviance ou méconnaissance de ces principes originelles, d’expliquer la force et la grandeur de ce message universaliste. Il convient aujourd’hui de sécuriser les esprits autant que les établissements, de brandir la force des valeurs authentiquement entendues contre toutes les déviances et les égarements. La meilleure des armes contre le fanatisme, la seule sans doute qui soit sur le long terme efficace, restera toujours l’éducation.  

Dernière modification le vendredi, 13 janvier 2017
Torres Jean Christophe

Proviseur au lycée Léopold Sédar Senghor à Evreux (lycée campus des métiers et des qualifications - biotechnologies et bio-industries de Normandie). Agrégé de philosophie, auteur de plusieurs essais dans les domaines de la philosophie morale et politique, de la pédagogie et de la gestion éducative.