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Pendant la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle de 2022, Emmanuel MACRON, a en plusieurs occasions annoncé qu’en cas de réélection, il porterait une réforme en profondeur de la voie professionnelle de l’enseignement secondaire français. Depuis, le Président MACRON  est plusieurs fois revenu sur ce thème, notamment à l’occasion du très médiatisé discours d’ouverture qu’il a prononcé lors de la réunion de rentrée des Recteurs, le 25 août 2022.

En outre, le 13 septembre 2022, lors  d’une visite au lycée professionnel Eric TABARLY des Sables-d’Olonne (un choix de lieu qui ne doit rien au hasard car cet établissement est nanti du label « lycée professionnel des métiers du nautisme, de l’industrie et de l’automobile » et forme pour des secteurs d’activité fortement recruteurs), il a déclaré : « Je crois dans le lycée professionnel (…). Notre devoir est de le rendre plus fort ».

C’est une façon, pour le premier personnage de l’Etat, d’exprimer publiquement son sentiment que le lycée professionnel pose problème et qu’il est devenu nécessaire de s’engager sans plus attendre dans un processus de transformation.

Accompagné du Ministre de l’Education Nationale et de la Ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnelle, il a confié à cette dernière  le soin d‘ouvrir dans l’immédiat des négociations en vue d’aboutir à une réforme articulée autour de trois axes : « tordre le cou aux idées reçues », « mieux orienter » et « revoir la carte des formations ». Ajoutant que « les décisions ne viendront pas d’en haut », le Président de la République a annoncé le lancement d’ « un grand chantier de concertation » qui permettra à l’ensemble des acteurs concernés de faire entendre leurs voix.

Une première réunion du groupe chargé de « penser » ce projet de réforme s’est tenue le vendredi 14 octobre 2022. Ce fut  l’occasion d’annoncer que, dans un premier temps, quatre groupes de travail sont créés, qui consacreront leurs travaux respectifs à la lutte contre « le décrochage de trop d’élèves de la voie professionnelle », « les possibilités de poursuite d’études après le baccalauréat professionnel », « l’insertion professionnelle », et « les marges de manœuvre des établissements et l’accroissement de leurs liens avec le monde professionnel ».

Il a donc été décidé de commencer par dresser un état des lieux et un premier diagnostic. Cette première étape sera inévitablement suivie d’une seconde étape politiquement plus difficile, au cours de laquelle, comme le déclare Bruno BOBKIEWICZ, Secrétaire Général du principal syndicat des chefs d’établissements (le SNPDEN), « il faudra bien parler des sujets qui crispent », et ces derniers ne manquent pas !

1.Commençons par rappeler ce qu’est la voie  professionnelle secondaire française.

A l’issue du collège, les élèves sont pour la quasi-totalité orientés vers l’une des trois classes suivantes:

  • Une première année de CAP (certificat d’aptitude professionnelle) en vue d’y préparer en deux ans, en lycée professionnel ou en centre de formation d’apprentis, l’un de près de 200 CAP proposés. Le CAP est un diplôme d’Etat à vocation très professionnelle, débouchant pour une large majorité de ces diplômés sur une insertion professionnelle.
  • Une classe de seconde professionnelle, première étape d’un parcours en trois ans ponctué par une des 125 spécialités du baccalauréat professionnel. Ce diplômes d’Etat est beaucoup plus polyvalent que le CAP, ce qui explique qu’en moyenne,  près de la moitié de ces élèves optent ensuite pour une poursuite d’études dans l’enseignement supérieur, principalement en section de technicien supérieur (STS) en vue d’y préparer un BTS.  Les autres choisissent de s’insérer sur le marché du travail. Comme les CAP, les « bacs pros » peuvent  se préparer « sous statut scolaire » (principalement en lycée professionnel) ou par l’apprentissage (notamment en CFA – centre de formation d’apprentis).
  • La classe de seconde générale et technologique qui, à son issue, se subdivise  en deux voies séparées : générale et technologique.

Ce que l’on nomme « voie professionnelle » correspond aux deux premiers de ces trois parcours de formation, conduisant à un CAP ou un baccalauréat professionnel, diplômes d’Etat pouvant se préparer sous statut scolaire (en lycée professionnel) ou par l’apprentissage (en centre de formation par l’apprentissage, CFA).

Si le Président de la République a fait les déclarations présentées dans notre introduction, et a annoncé la nécessité d’une profonde réforme de la voie professionnelle, c’est qu’à ses yeux, plusieurs insuffisances la caractérisent auxquelles il convient de remédier.

2. L’existence d’un déficit de considération de la voie professionnelle :

A la différence de ce qu’il est possible d’observer dans de nombreux autres pays, l’enseignement secondaire professionnel français est fortement dévalorisé.

Il est très fréquemment perçu comme étant une voie de relégation pour les élèves de collège scolairement les moins performants. Aux yeux de la plupart des familles (qui ne demandent le plus souvent une telle orientation qu’avec grande réticence), mais aussi des enseignants de collège, qui considèrent majoritairement cette voie d’études comme étant une variable d’ajustement pour caser les « mauvais élèves » issus du collège, cette voie d’études secondaires subit fortement le handicap d’une mauvaise « image de marque ».

Quel contraste avec ce que l’on observe dans les pays nordiques, en Allemagne … dans lesquels un très efficace travail de préparation et valorisation de  l’orientation post collège vers la voie professionnelle est mené tout au long de l’équivalent du collège, portant ses fruits dans la mesure où une telle orientation est vécue plus fréquemment de façon positive.

En outre, on observe que dans ces pays, les taux de décrochage des élèves orientés vers la voie professionnelle sont nettement inférieurs à ceux que l’on constate en France.

Il en résulte que moins d’un élève sur trois de classe de seconde professionnelle demande une telle orientation en premier vœu. Pour les deux autres tiers, une telle orientation se décide « par défaut », est imposée par des conseils de classes de fin d’année de troisième qui ne jurent majoritairement que par les capacités de réussite des élèves dans les enseignements généraux, et ont donc tendance, lorsque le bilan scolaire de l’élève semble témoigner d’un potentiel de réussite faible en seconde générale et technologique, à prendre pour ce dernier une décision d’orientation vers la voie professionnelle.

Pire : d’après un rapport de l’Inspection Générale datant de juillet 2010 (Rapport N° 2010-088 sur le suivi de la mise en oeuvre de la rénovation de la voie professionnelle), les trois quarts des orientations vers la voie professionnelle  se font « à l’aveugle », c’est-à-dire sans que le choix de la spécialité professionnelle découle d’une véritable attraction exercée sur les élèves et leurs parents.

Comment s’étonner, dès lors, que nombre de ces élèves orientés vers une formation professionnelle sans vocation professionnelle affirmée décrochent ensuite, une fois entrés en première année de CAP ou de bac pro ? D’après les statistiques du Ministère de l’Education Nationale, en 2022, les taux de décrochage moyens des élèves entrés en voie professionnelle sont nettement plus importants que ceux concernant les élèves des deux  autres voies de l’enseignement secondaire français (générale et technologique), ainsi que le montrent clairement les données fournies par le Service statistiques du Ministère de l’Education Nationale in « Repères et références statistiques » (RERS,  édition de 2022) : 52% de décrocheurs durant le parcours en filière CAP ;  35% en filière baccalauréat professionnel ; 8% en voie technologique et 4% en voie générale.  

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Ce que le Chef d’Etat soumet à la concertation pour résoudre ce problème

Lors de son discours d’ouverture de la réunion de rentrée des Recteurs, le 25 août 2022, Emmanuel Macron a fortement insisté sur la nécessité d’agir en faveur d’une amélioration de l’image de la voie professionnelle par un recours plus systématique et plus efficace à l’orientation.

Dans ce but, il a annoncé l’obligation d’organiser dans chaque collège, dès le niveau de la classe de cinquième, « des journées ou demi-journées de découverte des métiers ». Le point de vue du Chef de l’Etat est qu’« il faut informer mieux (…) les élèves et leurs familles, pour qu’ils choisissent mieux leur orientation  (…) ».

L’un des objectifs assignés  est de permettre ainsi aux élèves et à leurs parents d’avoir une vision plus claire et positive de l’éventuelle orientation vers la voie professionnelle en fin de collège.

Cette annonce a surpris car elle n’a rien de nouvelle ! Dès 2008, une circulaire (N° 2008-092 du 11 juillet 2008) relative à ce qu’on nommait alors « le parcours de découverte des métiers et des formations » (PDMF), incitait les équipes des établissements  secondaires à agir afin de permettre aux élèves et parents, dès la classe de cinquième, de découvrir les secteurs d’activité et les métiers « par des visites d’entreprises et organisations administratives, des conférences faites par des professionnels, des enquêtes … ».

Ce même texte réglementaire ajoutait qu’il convient désormais de travailler sur ce thème « dans une logique de continuité s’étendant de la classe de cinquième en collège jusqu’aux classes terminales des lycées ».

Quelques années après, cette approche de l’orientation fut confirmée par la « loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République » du 8 juillet 2013 qui, entre autres dispositions, instaurait l’obligation de mettre à la disposition des élèves et parents un « Parcours Avenir », dans chaque établissement secondaire, et ce dès la classe de sixième. 

Alors pourquoi une telle annonce du Chef de l’Etat ? Force est de penser qu’à ses yeux, ces textes réglementaires n’ont que très insuffisamment été suivis d’effet. Sans nier que dans certains collèges et lycées des actions efficaces de ce type ont lieu, trop de cas de non ou trop maigre application effective  de ces textes officiels existent, qui ont conduit le Président de la République à en rappeler « l’impérieuse nécessité ».

Autre axe de valorisation de la voie professionnelle : plus fortement l’inscrire dans la continuité du parcours bac -3 / + 3. Du fait qu’à l’issue du parcours de formation qui mène au baccalauréat professionnel une part croissante de ces diplômés choisissent de prolonger leurs études dans l’enseignement supérieur (ils sont désormais un peu plus de la moitié en moyenne à faire un  tel choix, et ce taux va croissant d’année en année), l’attraction de la voie professionnelle secondaire augmente progressivement.

Pour les élèves qui entrent en seconde professionnelle, la perspective s’inscrit de plus en plus dans un continuum d’études secondaires et supérieures en cinq/six années découpées en deux étapes successives : d’abord celle qui, en trois ans, mène au baccalauréat professionnel, suivie de celle, en deux/trois ans, qui conduit à un BTS et/ou à une licence professionnelle ou équivalent.

Il y a là de quoi valoriser l’image de la filière « bac pro », d’autant que l’architecture européenne des études mise en œuvre depuis l’an 2000, se cale désormais sur le système dit « bac + 3/5/8 (licence/master/doctorat).

Au niveau international, le premier niveau de l’enseignement supérieur se situe donc à bac + 3 et non à bac + 2, ce qui pose le problème du statut des BTS (bac + 2), d’autant que son  équivalent DUT a connu récemment un passage à bac + 3 avec sa transformation en « bachelor universitaire de technologie » (BUT).

De plus en plus nombreux sont celles et ceux qui demandent le même alignement pour les BTS. Ce sujet a été confié à l’un des quatre groupes de réflexion sur la réforme de la voie professionnelle qui ont été mis en place à la mi-septembre 2022 : celui chargé  du thème « poursuite de études dans le supérieur ». Entre autres questions, il faudra se pencher sur le problème du financement d’une telle extension  de la durée des cursus BTS. Le nombre de leurs implantations est tel (plus de 3000 en 2022, se répartissant entre un peu plus de cent spécialités de BTS) que le coût d’une telle décision serait considéré comme trop lourd pour peser sur les seuls deniers publics.

L’idée serait donc de le faire sous forme d’une année complémentaire sous statut d’apprentissage, donc en grande partie financée par les recruteurs.

Troisième axe envisagé de cette volonté d’augmenter l’attractivité de la filière bac pro : mieux adapter l’offre de formation aux besoins actuels des employeurs, en particulier en développant et créant des formations de ce type dans des secteurs d’activité actuellement trop peu ou pas pris en compte par la voie professionnelle secondaire, tels les secteurs des métiers du web, de la DATA, des jeux vidéo, du management sportif, de l’environnement, du numérique... Il est évident que des formations qui débouchent sur de réelles perspectives d’emploi sont jugées plus positivement que d’autres, marquées par un trop important chômage à leur issue. Nous reviendrons plus en détails sur ce thème dans la partie suivante de cet article.

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3. La nécessité de réduire la relative inadaptation de l’offre de formations par rapport aux besoins des employeurs :

En plusieurs occasions, le Président de la République a insisté sur le fait que plusieurs formations dispensées dans les lycées professionnels offrent des débouchés qu’il juge insuffisants, soit parce qu’il y a excès d’offre de formation, soit parce que les contenus sont mal adaptés aux besoins des employeurs.

Ce serait tout particulièrement le cas en ce qui concerne certaines filières gestion-administration, comptabilité, secrétariat… Inversement, on constate que des formations existantes à bon potentiel de débouchés mériteraient des créations supplémentaires, et/ou des ajustements de leurs programmes.

Enfin,  pour divers métiers émergents, on observe qu’il n’existe pas ou trop peu de formations de niveau CAP et/ou baccalauréat professionnel.

Se fondant sur les travaux de recherche prospective sur « les emplois de demain » réalisés par la DARES, France stratégie, l’Institut Dell (en particulier, le rapport « Métiers 2030, accessible sur le site https://www.strategie.gouv.fr/publications/metiers-2030 ), le Chef de l’Etat considère qu’il est désormais nécessaire de « réviser les cartes des formations » proposées par la voie professionnelle secondaire française : « il nous faudra assumer ensemble de fermer les formations qui n’insèrent pas, et développer celles qui marchent » (discours prononcé le 13 septembre 2022 à l’occasion d’une visite du lycée professionnel des Sables d’Olonne).

Ce reproche n’est pas nouveau : périodiquement, des critiques sont émises par les représentants du monde des employeurs pour dénoncer la trop faible capacité de l’enseignement secondaire professionnel à satisfaire leurs besoins en recrutement. D’un côté, des filières spécialisées dans des activités professionnelles trop peu recruteuses pour absorber de trop nombreux diplômés de niveau bac pro/CAP, de l’autre côté, de nombreux métiers qui manquent de diplômés de ce niveau, le lycée professionnel ne les formant qu’insuffisamment, voire pas du tout.

Cette relative inadaptation explique sans nul doute, mais en partie seulement, le fait que le chômage frappe fortement les diplômés issus de la voie professionnelle secondaire.

Attention  cependant à ne pas avoir sur ce problème un point de vue univoque : si c’est un vrai problème pour certaines spécialités, ça ne l’est pas pour d’autres. Il convient donc de nuancer. Cependant, d’après une étude réalisée par le Centre d’études et de recherche sur les emplois et les qualifications (CEREQ) sur l’insertion professionnelle des jeunes diplômés issus de l’enseignement professionnel de tous niveaux (« Enquête 2020 auprès de la génération 2017 », revue « Bref » N° 422 , publiée en 2022), les jeunes diplômés ayant acquis un CAP ou un  baccalauréat professionnel et qui ont choisi de s’insérer dans le monde du travail à l’issue de ces diverses parcours de formation, sont en moyenne plus fréquemment victimes du chômage que les autres diplômés de l’enseignement professionnel de niveaux bac +2/3 et bac + 5.

D’après cette enquête du CEREQ, le taux de chômage constaté en 2020 chez les personnes qui, en 2017, s’étaient dotées d’un CAP, était de 31%, 19% pour les porteurs d’un baccalauréat professionnel, 15% pour les BTS et autres diplômés de niveau  bac + 2/3 , et 9% pour les détenteurs d’un master ou autre diplôme de niveau bac + 5.

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Ce que le Chef de l’Etat soumet à la concertation pour résoudre ce problème

Lors de son traditionnel entretien télévisé du 14 juillet dernier, Emmanuel Macron a déclaré qu’il inscrivait sa volonté de réformer le lycée professionnel dans la cadre d’une vaste « bataille pour le plein emploi ». Le but principal est d’améliorer l’insertion des jeunes issus de la voie professionnelle  secondaire et de s’efforcer de mieux répondre aux besoins en main d’œuvre des recruteurs.

Plusieurs axes d’évolution sont mis en avant :

1) Développer les synergies entre la voie scolaire secondaire de formation professionnelle et le monde de l’apprentissage, deux secteurs que le Président de la République considère comme étant complémentaires et non en concurrence. Avantage cependant à ses yeux à l’apprentissage, plus à même de « coller » aux besoins des recruteurs et d’assurer aux jeunes diplômés une grande « employabilité » à l’issue de telles études.

Le Président de la République appelle donc de ses vœux une relance de la formation par l’apprentissage pour le niveau de qualification 4 (celui du bac pro). Il le souhaite d’autant plus que depuis quelques années, on assiste en France à une forte croissance de l’apprentissage aux niveaux supérieurs (niveaux de qualification 5 et plus) mais pas aux  niveaux 3 (CAP) et 4 (bac pro).

Il convient donc de relancer l’apprentissage à ces niveaux 3 et 4. 

2) Pour les formations qui continueront d’exister sous statut scolaire, il faudra renforcer la part des enseignements de nature pré professionnelle, et ce de plusieurs façons : augmentation de 50% de la part des périodes de formation en milieu professionnel (stages) qui pourraient passer de 12 à 16 semaines actuellement en CAP à 18/24 semaines sur deux ans, et de 22 semaines actuellement en filière bac pro à 33 semaines sur trois ans.

3) En outre, pour améliorer l’attractivité du lycée professionnel, le Chef de l’Etat souhaite que l’on rémunère correctement ces stages. Lors de sa visite du lycée professionnel Eric Tabarly du 13 septembre 2022, il a déclaré qu’ « aujourd’hui, l’écart qu’il y a entre les stages que nous connaissons en lycée pro et ce que touche un apprenti, n’est pas soutenable ». Actuellement, l’employeur chez qui un lycéen professionnel sous statut scolaire effectue un stage  n’est tenu de l’indemniser que si la durée du stage est supérieure à 44 jours, ce qui  est rarement le cas. Et dans ce cas, la rémunération est des plus modestes : 3,90 euros par heure. Soucieux de ne pas se heurter à un  refus des employeurs, il a ajouté que l’Etat prendra en charge cette rémunération.

4) Ajouter aux « professeurs de métier » des « professeurs associés » venant des milieux professionnels. L’une des difficultés de l’enseignement professionnel sous statut scolaire est que les divers enseignements (généraux et professionnels) sont principalement confiés à des professeurs de métier, pour la plupart recrutés sur concours (certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement professionnel,  CAPLP) et donc bénéficiant de la garantie d’emploi due à tout fonctionnaire.

Difficile dans de telles conditions de faire jouer la nécessaire souplesse de gestion  des ressources humaines qui est propre à des enseignements qui sont caractérisés par des cycles de vie qui ne durent que rarement le temps d’une carrière.

De ce fait découle la lourdeur d’un système qui maintient diverses filières (et les enseignements qui vont avec) parce qu’il faut bien donner du travail à ces bénéficiaires de la garantie d’emploi, alors qu’il conviendrait de réduire voire de supprimer certains enseignements, notamment professionnels.

Un exemple de ce type de difficulté nous a été récemment donné par la décision de l’Etat de réduire l’offre de formation à l’ex baccalauréat professionnel gestion-administration, en forte perte de sens compte tenu de l’important taux de chômage observé à son issue. Il a été décidé de s’attaquer à un  difficile travail de rénovation de cette filière, réduite de moitié, et reconstruite en filière Agora (« Assistance à la gestion des organisations et de leurs  activités »), plus à même de correspondre aux besoins des employeurs.

S’est alors posé la question de la reconversion des professeurs chargés des enseignements de secrétariat et comptabilité, nombreux dans cette filière. Il a été décidé de les reconvertir en professeurs de commerce-vente, sans véritable plan de reconversion. Ayant droit au maintien dans le corps des « PLP » (professeurs des lycées professionnels), on a freiné le processus de fermeture progressive de cette filière et donc maintenu une grande partie de l’offre de cette formation, malgré le chômage qui attend nombre de  ses diplômés à son issue. Une difficulté qui ne se rencontre pas avec les « professeurs  associés » qui exercent principalement en milieu professionnel, et ne bénéficient donc pas de la garantie de l’emploi. Ajoutons que l’appel à de tels enseignants existe déjà, et de longue date, dans l’enseignement supérieur professionnel et y donne grande satisfaction.

5) Le Chef de l’Etat  a clairement déclaré que « dans les prochains mois », il faudra lancer un travail de « cartographie des besoins de la Nation, bassin  d’emploi par bassin  d’emploi ». Pour être véritablement « utile », la politique d’offre des formations professionnelles sous statut scolaire devra s’élaborer non « d’en haut » (au niveau ministériel, avec un fort pilotage pédagogique (définition  des programmes, des modalités d’examens finaux, recrutement des enseignants …) par l’Inspection Générale, mais « en partant du  local ». Et de mettre en avant l’exemple de l’association  « Talents du numérique » qui  réunit des entreprises du secteur et des responsables de lycées professionnels et établissements supérieurs, et a porté récemment un projet de création d’une nouvelle filière bac pro destinée à former des professionnels du numérique.

C’est sans doute ainsi qu’il  convient d’interpréter les propos tenus le vendredi 9 septembre 2022 par Carole Grandjean, Ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnelle », lors d’une visite du lycée César Baggio de Lille, qui prépare à quatre baccalauréats professionnels industriels, salué pour la capacité d’initiative de son équipe qui a su concevoir localement des dispositifs efficaces de lutte contre le décrochage et la création très innovante d’un « espace d’accueil » ou peuvent se rencontrer des demandeurs d’emploi et des recruteurs.

6) La volonté de rapprocher les lycées professionnels et les représentants des organisations professionnelles pourrait être marquée par une évolution de la gouvernance des établissements scolaires. Ne pourrait-on envisager d’ouvrir plus largement les conseils d’administration des lycées professionnels à des représentants d’entreprises ou organisations professionnelles géographiquement proches, et concernées par les formations dispensées dans l’établissement scolaire ? Jusqu’où pourrait-on vouloir aller sur ce point ? Certains vont jusqu’à avancer qu’un chef d’entreprise ou un représentant patronal d’un secteur professionnel pourrait présider le conseil d’administration.

Nous n’en sommes pas là, mais la seule évocation d’une telle décision suscite une opposition plus ou moins vive de la part des syndicats enseignants et de chefs d’établissements qui y voient un désengagement potentiel de la tutelle de l’Etat sur l’enseignement secondaire professionnel.

 Aux yeux de la FNEC FP-FO, ce serait considéré comme une « véritable déclaration de guerre ».

7) Le fait que le chef de l’Etat ait décidé de confier le soin de mener les premières étapes de la consultation concernant cette réforme à la Ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnelle, et non au Ministre de l’Education nationale, est en soi un signe fort  de la volonté de rapprocher l’enseignement secondaire professionnel du monde professionnel.

Les syndicats des personnels enseignant et de direction  ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : une forte majorité d’entre eux y voient une volonté de détacher l’enseignement secondaire professionnel de sa tutelle scolaire, au profit d’un renforcement du contrôle par les organes professionnels C’est ce qui a conduit la plupart d’entre eux de se joindre au mouvement de grève nationale du 18 octobre 2022, annonçant à cette occasion leur vive opposition à un projet qui, selon eux, « s’attaque aux diplômes nationaux » et « vise à transformer les lycées professionnels en centres d’apprentissages » (SNETAA-FO)

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4. La double mission difficilement conciliable que doit remplir la voie professionnelle : préparer ses élèves à la poursuite d'études dans le supérieur, mais aussi à bien s’insérer dans le monde du travail.

Dès sa création, au milieu des années 1980, la nouvelle voie secondaire professionnelle s’est vue confier deux missions : répondre de façon satisfaisante aux besoins en recrutement au niveau de qualification professionnelle 4 (selon la grille des niveaux de qualification des divers diplômes du répertoire national des certifications professionnelles - RNCP), mais aussi doter les jeunes bacheliers  professionnels  des connaissances et compétences requises pour qu’ils puissent majoritairement passer dans l’enseignement supérieur et y réussir, notamment dans les formations supérieures professionnelles de niveau bac + 2/3 (BTS ...).

Atteindre ces deux objectifs est manifestement très difficile car relativement contradictoire :

Si la mission fondamentale est de faciliter l’insertion professionnelle à l’issue du cycle de formation, il convient de donner la priorité aux enseignements de nature professionnelle (stages en milieu professionnel, travaux dirigés et/ ou pratiques, cours à contenus professionnels…), au détriment des programmes d’enseignements généraux, et demander à ce qu’ils soient en partie dispensés par des intervenants exerçant principalement en milieu professionnel, et fortement sollicités pour l’évaluation des candidats lors des épreuves finales des examens de sortie. En outre, dans ce cas de figure, on sera porté à envisager les programmes d’enseignement dans un esprit de spécialisation relative.

Si l’objectif principal est de doter les jeunes diplômés de compétences et connaissances susceptibles de faciliter leur entrée dans l’enseignement supérieur, et d‘y réussir, il y a bien évidemment nécessité à faire l’inverse : la plus grande part des enseignements doit alors être consacrée aux disciplines susceptibles de renforcer la culture générale des élèves, et les enseignements professionnels doivent dans ce cas être abordés dans un esprit de plus grande polyvalence.

De plus, cette question ne saurait être traitée de la même façon selon que l’on décide de concevoir les formats CAP et bac pros de façon identique ou pas. Rappelons qu’en l’état actuel des choses, le CAP est un diplôme qui se prépare en deux années (et non trois comme pour le baccalauréat professionnel) et ne confère donc pas un droit automatique de se porter candidat(e) en vue d’entrer dans l’enseignement supérieur. S’adressant principalement à des élèves présentant fréquemment des lacunes dans l’enseignement général, il lui est clairement demandé de valider une bonne capacité d’insertion professionnelle au niveau de qualification 3, la poursuite d’études étant dans ce cas chose rare, et ne concernant que très exceptionnellement l'enseignement supérieur. Il en va tout autrement pour le baccalauréat professionnel, qui voit la part de celles et ceux qui parviennent à se doter de ce diplôme croître d’année en année, ainsi qu’on peut le constater dans le tableau suivant :

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Evolution du taux de poursuite des études dans l’enseignement supérieur des bacheliers professionnels

1996 : 31%

 2002 : 37%

2010 : 41%

2021 : 46%

Source : Service statistique du Ministère de l’Education nationale

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Une telle évolution contribue à permettre d’atteindre l’objectif européen de conduire 60% d’une génération à un diplôme de l’enseignement supérieur d’ici 2028. Pour cela, il est nécessaire d’ouvrir plus largement les portes qui permettent d’accéder à l’enseignement supérieur aux bacheliers issus de la voie professionnelle.

Rappelons qu’en 2021, 46% seulement des bacheliers professionnels ont accédé à l’enseignement supérieur, alors qu’ils étaient 90% dans ce cas à l’issue de la voie technologique, et 98% après le baccalauréat général. Il faut en outre que ces bacheliers  professionnels aient des chances raisonnables d’y réussir, notamment en filière BTS, compte tenu du fait que c’est celle qui intègre le plus de ces bacheliers professionnels.

Or, en 2022, ces derniers ne furent que 40% en moyenne à y parvenir (en deux ou trois ans), alors que les bacheliers technologiques furent 62% dans ce cas, et les bacheliers généraux 78% ! Il faudra donc que cette ouverture de l’accès des bacheliers professionnels en sections de techniciens supérieurs (STS) soit accompagnée  par  une augmentation significative  des taux de réussite des bacheliers professionnels.

Or, le fait que le Président de la République suggère de donner un poids plus important aux enseignements professionnels et périodes de formation en milieu professionnel (stages) va dans le sens d’un changement d’équilibre entre ces deux objectifs, au profit d’une volonté de donner la priorité à la préparation à l’insertion professionnelle des jeunes diplômés issus de la voie professionnelle. Comme le fait justement remarquer Vincent TROGER, historien de l’enseignement professionnel, dans un entretien qu’il a accordé au journal Le Monde des 31 juillet et 1er août 2022.

En réponse à la question « Réussir à ce que nos jeunes aillent plus vite et mieux vers le marché du travail est l’un des objectifs assignés à la réforme du lycée professionnel. Y voyez-vous un « mauvais » objectif ? »,

L’historien  répond :

« ce qui me frappe surtout, c’est que cet objectif semble être en contradiction avec l’ambition affichée par le système depuis de nombreuses années : conduire plus de jeunes vers plus d’études supérieures. C’est la tendance de fond, en France comme ailleurs dans l’OCDE. On attend des jeunes polyvalents et diplômés au-delà du bac.

Et c’est d’autant plus vrai que tous les indicateurs attestent que cette élévation du diplôme est la voie pour trouver du travail, Ou en tous cas une protection contre le chômage. Va-t-on vers un changement de fond  de cette logique ? ».

Conclusion :

Au cœur de la question que nous posons dans cet article (« Quel avenir pour l’enseignement professionnel secondaire en France ? ») se trouve une autre question, politiquement et idéologiquement ultrasensible, qui est celle de savoir si l’enseignement professionnel français doit continuer d’être principalement piloté par l’Etat, comme c’est  le cas depuis près d’un siècle ou s’il faut couper ce lien de tutelle et le remplacer par  un rattachement au Ministère en charge de l’économie et/ou de l’emploi.

Or, en France, ce débat semblait tranché depuis plus d’un siècle, lorsqu’Edouard Herriot, Ministre de l’Education nationale, édicta une circulaire en date du 15 octobre 1927 confiant au Ministère de ce qui se nommait alors le Ministère de l’instruction publique, le soin d’administrer l’enseignement professionnel secondaire. Depuis, rien n’est venu contrarier le principe de cette tutelle du Ministère en charge de l’Education nationale.

Nul doute qu’une tentative du pouvoir de remettre ce lien en cause sera considérée par la plupart les organisations syndicales d’enseignants et de chefs d’établissements comme une « inacceptable attaque frontale » comme l’a déclaré un responsable un responsable du SNUEP - FSU, le principal syndicat d’enseignants de l’enseignement professionnel, un point de vue largement partagé par la quasi-totalité des syndicats d’enseignants et de chefs d’établissements. Il est symptomatique que peu après les déclarations du Chef de l’Etat, en août et septembre 2022, les divers syndicats  d’enseignants se soient regroupés en une « intersyndicale » qui a tôt fait d’exprimer ses grandes inquiétudes, et prévenu que toute avancée dans ce sens sera suivie d’une vive réaction de leur part.

Pour le moment, rien n’est décidé : on est entré en phase de consultation. Pour ne pas engager la réflexion sur ce que sera le lycée professionnel de demain, le Président de la République et sa Ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation  professionnelle, jouent la carte de l’apaisement en martelant que « cette réforme ne viendra pas d’en haut », qu’elle sera fondée sur une large consultation de l’ensemble des parties prenantes, et qu’elle pourrait se mettre en place progressivement au terme de diverses expérimentations de terrain. Et cependant d’ajouter  que « le pire serait de ne rien faire », car s’il est un diagnostic largement partagé, c’est celui qui consiste à considérer que la voie professionnelle secondaire française va mal, et qu’on ne saurait en rester là !

Magliulo Bruno, Inspecteur d’académie honoraire, Agrégé de sciences économiques et sociales, Docteur en sociologie de l’éducation, Formateur/conférencier

Dernière modification le jeudi, 03 novembre 2022
Magliulo Bruno

Inspecteur d’académie honoraire -Agrégé de sciences économiques et sociales - Docteur en sociologie de l’éducation - Formateur/conférencier -

(brunomagliulo@gmail.com)

Auteur, dans la collection L’Etudiant (diffusion par les éditions de l’Opportun : www.editionsopportun.com ) :

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