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Jean-Marie Quairel et moi-même nous avons proposé une tribune qui fut publiée dans « Le Monde de l’Éducation » et sur « lemonde.fr » le 24 janvier 2023, réservée aux abonnés. En 6000 signes il est difficile de développer des arguments aussi complexes. Mais dans le contexte des réformes envisagées par le ministère du collège et du lycée professionnel, il est surprenant que les procédures d’orientation ne soient pas discutées, ni l’architecture générale de notre système.

Nous reprenons donc cette tribune afin de poursuivre cette discussion. Les commentaires déposés sur Le Monde sont jusqu’à présent très hostiles et très  violents. Sommes-nous totalement « hors sujet » , ou aurions-nous mis le doigt sur une question ultrasensible ?

« Supprimer les procédures d’orientation au collège pour faire respirer le système éducatif »

TRIBUNE https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/01/24/supprimer-les-procedures-d-orientation-au-college-pour-faire-respirer-le-systeme-educatif_6159034_3224.html   

Bernard Desclaux

Directeur honoraire de centre d’information et d’orientation

Jean-Marie Quairel

Directeur honoraire de centre d’information et d’orientation

Les directeurs honoraires de centre d’information et d’orientation Bernard Desclaux et Jean-Marie Quairel jugent, dans une tribune au « Monde », que les procédures d’orientation au collège, et le tri social auquel elles conduisent au lycée, nuisent à la performance de l’école dans son ensemble.

En France, des décisions d’orientation privent bon nombre de jeunes et de familles d’un pouvoir sur leur devenir et contribuent à l’ambiance de défiance et de ressentiment qui mine notre société.

Au collège, les procédures d’orientation gèrent le passage ou le redoublement en classe supérieure. En 3e, elles gèrent le redoublement, mais surtout la répartition entre les deux voies de formation : le lycée général et technologique d’un côté, et le lycée professionnel de l’autre.

Ces procédures d’orientation ont également un effet sur la forme pédagogique. Celle-ci vise à produire les différences que ces procédures réclament et ne permet pas d’atteindre réellement l’objectif de l’acquisition par tous du socle commun. Enfin, elles ont un effet de « feed-back » sur l’organisation interne du collège. Afin d’être acceptable en fin de parcours, la différenciation s’organise très tôt et contourne l’homogénéité du collège unique.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Au lycée, de nouvelles données révèlent l’ampleur du « tri social » entre les voies générale et professionnelle https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/01/11/au-lycee-les-indices-de-position-sociale-revelent-l-ampleur-du-tri-social-entre-les-voies-generale-et-professionnelle_6157366_4355770.html

Pour ces trois raisons, nous pensons qu’il est nécessaire de supprimer les procédures d’orientation au sein du collège, afin de mettre en œuvre une réelle « égalité des droits » entre citoyens et citoyennes. En plaçant un interdit pour la voie générale [en cas de niveau trop faible], on provoque, de fait, une disqualification des autres voies dans l’esprit des personnes concernées, qui restent sourdes à toute information ou conseil et rendent vaine toute tentative de revalorisation de la voie professionnelle.

Le travail de tri opéré en 3e est préparé bien en amont, par une distillation fractionnée, organisée officiellement par le jeu des classes spécialisées, qui ont fleuri depuis la création du collège unique.

Avec ces procédures d’orientation, les enseignants français sont soumis à une double contrainte : faire réussir tout le monde et garantir un socle commun de connaissances, tout en produisant des jugements discriminants justifiant le tri des élèves.

Pédagogie de la réussite et de l’émancipation

Ces pratiques sont présentées comme permettant d’assurer l’équité et l’égalité des chances, or les résultats du PISA [Programme international pour le suivi des acquis des élèves], depuis la toute première enquête, montrent que non seulement notre système est peu efficace, mais surtout peu équitable, la sélection scolaire renforçant les inégalités sociales. De fait, les systèmes scolaires qui, aux yeux du PISA, réunissent la plus grande efficacité et la plus grande équité sociale, à l’instar de la Finlande, du Canada, de l’Italie ou de l’Espagne, n’utilisent ni notation, ni redoublement, ni procédures d’orientation.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Enquête PISA 2018 : l’école française toujours aussi inégalitaire https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/12/03/pisa-2018-les-eleves-francais-legerement-au-dessus-de-la-moyenne-de-l-ocde-dans-un-systeme-toujours-tres-inegalitaire_6021440_3224.html

Les expériences dans quatre pays différents – dans le Land de Bavière en Allemagne, en Turquie, en Pologne et en Roumanie – montrent que retarder la sélection d’une année (de la 3e à la fin de la 2de) induit une hausse importante de la performance, équivalente à ce que l’on peut apprendre en plusieurs années.

Ainsi, notre système conduit, d’un côté, à un important déficit de travailleurs réellement qualifiés et, de l’autre, à la production d’une élite dotée d’une telle estime de soi que ses membres considèrent qu’ils possèdent indiscutablement toutes les compétences pour exercer seuls les pouvoirs qui sont les leurs. Vaincus et vainqueurs risquent bien de ne pouvoir faire société encore bien longtemps, lorsque les difficultés de la vie se seront accentuées avec les politiques de sobriété et de transition écologique.

Quelles seraient les conséquences de la suppression de ces procédures d’orientation ? Tout d’abord, leur arrêt permettrait de limiter les redoublements et de maintenir les enfants dans leur groupe d’âge. Il donnerait la possibilité aux enseignants de se concentrer sur une pédagogie de la réussite et de l’émancipation.

Dans un second temps, la mise en œuvre d’une école moyenne, regroupant école primaire et collège, serait à reprendre, après son arrêt par le ministère Blanquer. Celle d’une école réellement inclusive pourrait être envisagée, ainsi que l’objectif de l’acquisition, par toutes et tous, d’un socle commun.

Ressentiment

Par ailleurs, notre expérience nous a montré qu’une éducation pour apprendre à s’orienter (trouver une direction, une fonction sociale désirée) n’a de sens que si, et seulement si, les personnes concernées se sentent libres, et si cette liberté est reconnue institutionnellement en n’interdisant, a priori, aucune voie de formation ou d’études – en reconnaissant le droit à l’expérience et à l’erreur.

Des effets se feraient aussi sentir sur le fonctionnement du lycée. Une modification de l’organisation du post-3e ne pourra pas être effective immédiatement. Il est possible, mais pas certain, que nous observions une désaffection des élèves et des familles pour la voie professionnelle. Toutefois, les élèves réellement motivés pourraient toujours choisir cette voie, ce qui créerait les conditions d’un enseignement plus apaisé et de meilleure qualité.

Après trois ou quatre années, nous sommes convaincus qu’une régulation et un rééquilibrage dans les choix de formation s’opéreraient en réduisant au maximum le sentiment de disqualification. Des examens d’entrée dans les filières sélectives ayant un nombre de places limitées seraient à organiser, ainsi qu’un aménagement de l’accueil des élèves à chaque changement de cycle.

Lire aussi la tribune (2021) : Article réservé à nos abonnés Education : « Les lycéens de la voie professionnelle ne sont pas des élèves de seconde zone » https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/07/07/education-les-lyceens-de-la-voie-professionnelle-ne-sont-pas-des-eleves-de-seconde-zone_6087358_3232.html

Et pourquoi pas un lycée unique ? A plus long terme, les pouvoirs publics pourraient modifier cette organisation et mettre en place un lycée unique, rassemblant les trois voies, avec une 2de commune, dont une des fonctions serait de faciliter les choix de formation. La matérialisation de ce lieu unique prendra du temps, et les efforts de plusieurs acteurs (Etat, régions et entreprises) seraient nécessaires. En attendant, des conventions entre établissements dans un même bassin de formation seraient à développer.

Le ressentiment autour de l’orientation ne fait que croître, chez beaucoup de parents et d’élèves comme chez beaucoup d’enseignants, alors que depuis de très nombreuses années le ministère publie des textes incitant à développer les occasions de rencontres entre les parents et les personnels enseignants, recherchant l’apaisement des conflits possibles. De fait, nos procédures d’orientation actuelles définissent ces relations sur un mode conflictuel et non pas coopératif.

La suppression de ces procédures permettrait de rompre le lien entre la fonction enseignante et éducative et les décisions liées à un choix de formation ou d’études. En fait, supprimer les procédures d’orientation, en tant que pouvoir institutionnel, ferait respirer tout le système. Cette solution aurait le mérite de libérer les enseignants d’une mission de triage et de les installer dans leur véritable fonction éducative. Elle reconnaîtrait aussi la véritable responsabilité éducative des familles vis-à-vis de l’avenir de leurs enfants.

Article publié sur le site : https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2023/01/30/supprimer-les-procedures-dorientation-au-college/
Auteurs : Bernard Desclaux(Directeur honoraire de centre d’information et d’orientation) et Jean-Marie Quairel(Directeur honoraire de centre d’information et d’orientation)

Dernière modification le vendredi, 03 février 2023
Desclaux Bernard

Conseiller d’orientation depuis 1978 (académie de Créteil puis de Versailles), directeur de CIO à partir de 90, je me suis très vite intéressé à la formation des personnels de l’Education nationale. A partir de la page de mon site ( http://bdesclaux.jimdo.com/qui-suis-je/ ) vous trouverez une bio détaillée ainsi que la liste de mes publications.
J’ai réalisé et organisé de nombreuses formations dans le cadre de la formation continue pour les COP, , les professeurs principaux, les professeurs documentalistes, les chefs d’établissement, ainsi que des formations de formateurs et des formations sur site. Dans le cadre de la formation initiale, depuis la création des IUFM j’ai organisé la formation à l’orientation pour les enseignants dans l’académie de Versailles. Mes supports de formation sont installés sur mon site.
Au début des années 2000 j’ai participé à l’organisation de deux colloques :
  • le colloque de l’AIOSP (association internationale de l’orientation scolaire et professionnelle) en septembre 2001. Edition des actes sous la forme d’un cd-rom.
  • les 75 ans de l’INETOP (Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle). Edition des actes avec Remy Guerrier n° Hors-série de l’Orientation scolaire et professionnelle, juillet 2005/vol. 34, Actes du colloque : Orientation, passé, présent, avenir, INETOP-CNAM, Paris, 18-20 décembre 2003. Publication dans ce numéro de « Commentaires aux articles extraits des revues BINOP et OSP » pp. 467-490 et les articles sélectionnés, pp. 491-673
Retraité depuis 2008, je poursuis ma collaboration de formateur à l’ESEN (Ecole supérieure de l’éducation nationale) pour la formation des directeurs de CIO, ainsi que ma réflexion sur l’organisation de l’orientation, du système éducatif et des méthodes de formation. Ce blog me permettra de partager ces réflexions à un moment où se préparent de profonds changements dans le domaine de l’orientation en France.
Après avoir vécu et travaillé en région parisienne, je me trouve auprès de ma femme installée depuis plusieurs années près d’Avignon. J’y ai repris une ancienne activité, le sumi-e. J’ai installé mes dernières peintures sur Flikcr à l’adresse suivante : http://www.flickr.com/photos/bdesclaux/ .