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Qu’est-ce qu’on fait quand un enfant se ramasse 31 "fautes" dans une dictée de CE2 ? Dans la série "si on faisait autrement ? ", l’événement auquel le sous-titre de ce billet fait allusion — et dont j’atteste l’authenticité — me semble de nature à provoquer quelques réflexions, apportant peut-être des précisions supplémentaires à celles du billet précédent. Il représente en effet l’un des dysfonctionnements majeurs de l’école telle que nous la connaissons majoritairement, et surtout telle qu’il est conseillé officiellement de la faire fonctionner.
Franchement, avouez qu’une telle performance d’élève laisse perplexe : 31 fautes dans une petite dictée de CE2, il faut se donner du mal pour y arriver !
Ce qui, personnellement, me bouleverse, c’est un certain fatalisme de l’enseignant pour qui cet enfant (et pas mal d’autres, qui sans atteindre ce record, ont largement plus des cinq fautes rédhibitoires) est "irrécupérable" et qu’on n’y peut rien si bien que cela ne l’empêche pas de continuer imperturbablement à faire faire des dictées régulières, alors qu’elles ne sont convenablement orthographiées que par une petite poignée des gamins de cette classe.


Il me semble que, lorsqu’il y a autant d’échecs, on devrait se poser quelques questions, autres que d’y voir la preuve de la fameuse baisse du niveau. Par exemple :
* Est-il utile de faire faire à un enfant des activités qui semblent à ce point au-dessus de ses possibilités ?
* Si oui, à quelles conditions ?
* Une mauvaise note, est-ce que ça peut être positif pour un enfant ?
* Quel était le but de la dictée : était-ce un moment d’évaluation ou d’apprentissage ?
* Que faire pour aider cet enfant ?


Qu’il puisse être utile de faire faire à des enfants des activités au-dessus de leurs possibilités actuelles, c’est non seulement une évidence, mais c’est même une nécessité pour qu’ils apprennent... Mais pas à n’importe quelles conditions, ni à n’importe quelle hauteur.
Il faut, comme toujours, commencer par préciser le sens des mots : ce qu’on entend par "au-dessus de leurs possibilités" et les conditions dans lesquelles les activités sont proposées.

Quoique "un peu difficile", ce qu’on demande doit, comme le rappelait fermement Vygotski, rester dans la "zone proximale" dite de développement des enfants : assurément, 31 fautes sont la preuve qu’on n’y était pas.
Il faut ensuite qu’il ne s’agisse pas d’un moment d’évaluation : si on évalue, on doit au contraire viser ce qui a été appris, et surtout pas plus !

Mais alors, si c’est un moment d’apprentissage, il ne saurait être question de noter. On ne peut être à la fois en cours de travail et à l’issue de celui-ci. Aucune activité ne peut être à la fois évaluation et apprentissage.

D’emblée, on est dans la contradiction.
En fait, on ne s’en sort pas : si cette dictée se voulait évaluation du savoir orthographier, le résultat met en cause l’objectif lui-même : elle a été proposée trop tôt et/ou a été mal conçue.
Et si c’est un moment d’apprentissage, c’est un désir impossible à réaliser : une dictée ne peut jamais être un moment d’apprentissage : êtes-vous en train d’apprendre la botanique quand on vous demande de décrire de mémoire les diverses sortes d’orchidées ?
J’entends d’ici une objection courroucée : Sans doute, mais la correction, elle, est un excellent moment de découvertes et d’apprentissage...

Il est vrai que la correction, dans certains domaines, peut être un moment fructueux, mais à condition qu’elle mette en lumière le raisonnement par lequel le résultat peut être trouvé. L’orthographe étant, comme tout autre domaine du langage, arbitraire, aucun raisonnement ne permet de trouver comment s’écrivent les mots. La correction consiste donc à substituer aux mots écrits par l’élève, les mots tels que l’usage français les écrit, sans que cette substitution ait le moindre pouvoir de conviction.
 

Seule, une fréquentation ancienne et répétée avec des textes peut avoir ce pouvoir.
Vraiment, je trouve aberrant au CE2, qu’on demande à des enfants de savoir écrire un texte qui n’est pas d’eux, alors qu’ils sortent à peine de l’apprentissage de la lecture et qu’ils n’ont de la chose écrite qu’une expérience encore très minime (surtout s’ils ont appris avec une méthode de lecture !!).
 

Et même lorsque la dictée a été préparée avec soin, ce qui est en général le cas (y compris dans l’exemple que j’évoque, ce qui prouve que ça ne suffit pas !), elle permet au maximum d’apprendre comment s’écrit CE TEXTE-LÀ (qu’on a fort peu de chances d’avoir à écrire un jour !).
 
Mais elle n’apprend rien de l’orthographe française, qui est le véritable but du travail. Pour parler comme Chomsky, on confond "performance" et "compétence". Ce qui est visé, c’est la "compétence", c’est-à-dire, à la fois la connaissance du fonctionnement et la maîtrise de ce fonctionnement. La préparation n’a pu permettre cela : elle n’a pu que favoriser la mémorisation d’un texte — et encore met-elle en jeu une mémoire à court terme, donc sans lien véritable avec le savoir.
La maîtrise de l’orthographe est chose infiniment plus compliquée que la simple mémorisation. Elle passe par une profonde imprégnation de l’écrit, à partir de fréquentes observations approfondies et théorisées de leur fonctionnement orthographique.
L’orthographe, comme la grammaire sont des sciences d’observation, et non d’application de règles, plus ou moins fantaisistes élaborées par monsieur Bled.


Reste la question de savoir ce qu’il importerait de faire devant un tel résultat d’enfant.

Une chose est certaine : les innombrables mauvaises notes qu’il reçoit à chaque production écrite ne peuvent que le détruire petit à petit — ou plutôt, car un sujet ne se laisse pas facilement détruire, l’inviter à s’y habituer, en attendant de s’en faire une fierté et d’y construire son identité. Ce qui est une autre façon d’être détruit, du moins pour ce qui est de l’insertion sociale.
 

J’ai souvent entendu les grands noms de la pédagogie affirmer que l’erreur n’a, à priori, rien à voir avec l’échec. Sauf si on la transforme en catastrophe en la sanctionnant, alors qu’elle doit devenir un lieu de travail et de progrès. C’est presque un truisme de dire que l’erreur est une condition du progrès, mais encore une fois à condition qu’elle soit considérée comme telle.
 

Il est du reste révélateur de voir qu’en orthographe, on ne parle pas d’erreur, mais de FAUTES : une faute, il est vrai que ça ne se travaille pas. On fait amende honorable, on sollicite le pardon, et on récite quelques "ave". Rien à voir avec un travail positif.
Faire disparaître ce terme serait déjà l’indice d’un grand progrès : les mots agissent sur la pensée, c’est connu. En orthographe, comme ailleurs, on commet des ERREURS, jamais des FAUTES.
On n’a pas à reprocher à un enfant de ne pas savoir ce qu’on lui demande : il est là pour l’apprendre. Et si l’on pense qu’on a fait ce qu’il fallait pour qu’il le sache, si son ignorance nous énerve, nous, l’enseignant-qui-fait-bien-son-travail, tant pis pour nous : quand l’autre ne sait pas, il ne sait pas et l’on n’y peut rien !
Chacun d’entre nous a, comme moi j’en suis sûre, un paquet de mots dans ses réserves, qu’il cherche dans le dictionnaire, chaque fois qu’il écrit... Ce sont pour moi des mots que j’ai a eu à copier vingt fois (plutôt cinquante : parce que j’étais la fille de l’instit d’à côté, mes punitions étaient doubles : cinquante fois pour moi !). Or, non seulement ces copies ne m’ont en rien appris l’orthographe de ces mots, mais je pense que c’est PARCE QUE j’avais eu à les copier tant de fois que je les ignore : en fait, la punition m’a laissé le souvenir ... de la punition, pas de la solution !
Qu’on y réfléchisse ...


Pour cet enfant, mais pour les autres aussi à mon avis, il faut arrêter immédiatement les dictées, et les remplacer, au moins pour lui, et à la rigueur, par de la copie du texte dicté, ce qui sera une situation d’observation du texte, déjà assez difficile pour lui, sans doute : copier un texte, c’est loin d’être évident. Il faut apprendre. Et pour ceux qui prônent tellement la mémorisation, j’aime bien rappeler que copier est aussi un entraînement de celle-ci.

Copier ne se fait pas sur ce qu’on voit, mais sur ce qu’on a mémorisé à court terme. Pour copier, il faut, selon la formule de La Garanderie, "substituer l’évocation mentale à la perception".
On ne copie pas en regardant en même temps qu’on écrit : c’est une habitude qu’il faut même éviter de laisser s’installer chez les enfants, car c’est une pratique génératrice d’erreurs par excellence. En principe, on ne devrait jamais les laisser copier lettre à lettre, mais leur apprendre à copier d’un seul tenant, à partir d’une image mentale, qu’on leur a appris à construire auparavant.


A cet âge, l’activité essentielle devrait être d’essayer de comprendre pourquoi les mots du texte qu’ils ont lu s’écrivent comme ils s’écrivent : avant de savoir comment produire de l’écrit, il faut être capable de justifier l’orthographe que l’on trouve quand on lit. C’est là, le cœur du travail d’orthographe, à l’école primaire, travail de recherche, que les enfants devraient mener ensemble, en petits groupes solidaires.
C’est dans ce type de travail qu’ils vont faire les découvertes essentielles, par exemple, qu’il est prudent de ne pas se servir de ce qu’on entend pour savoir comment ça s’écrit, que l’orthographe fonctionne en système, avec des balises qui aident à comprendre ce qu’on lit. Un système dont on peut parfaitement comprendre les rouages.

Certes ils vont, dans toutes les situations de productions d’écrits, petit à petit, réinvestir ce qu’ils ont découvert, mais sans qu’on puisse prévoir quoi, ni comment : tout dépend des enfants, de ce qui a pu les frapper, de ce qui a pu les intéresser. C’est pourquoi, l’évaluation en écriture ne devrait commencer qu’au CM, si la justification des graphies observées dans les textes lus est bien maîtrisée. Menée plus tôt, elle est plus dangereuse qu’utile. Seul ce travail de justification me semble pouvoir être évalué.
 

De grâce, cessons de demander aux enfants de prouver qu’ils savent ce qu’on ne leur a pas enseigné.
Cessons de faire des dictées, qui sont l’emblème de cette erreur, et mettons en place du vrai travail d’observation des écrits pour voir comment le français se sert des lettres et autres signes pour se faire comprendre à l’écrit...
Aidons les enfants à comprendre et non à se rappeler : ils sont tous capables d’y arriver, si on s’y prend comme il faut.
Mais surtout, cessons d’accabler les enfants sous des notes catastrophiques : personne n’y gagne quoi que ce soit.
Ni résignation, ni acharnement pédagogique. Juste, un peu de solidarité.
Charmeux Eveline

Ancienne élève de l’ENS, professeur à l’EN d’Amiens, puis au CRCEG de l’EN, entre 1956 et 1971.

Nommée ensuite à l’ENG de Toulouse, puis à l’IUFM de cette ville jusqu’en 1993, date de mon départ en retraite, j’ai parallèlement travaillé à l’INRP, en tant qu’Enseignant chercheur associé, depuis 1966 jusqu’à mon départ en retraite. J’ai publié de nombreux ouvrages sur la pédagogie du français à l’école primaire et au collège.