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Année après année, le thème des inégalités s’invite à chaque rentrée scolaire. La généralisation contrainte de « l’école à la maison » accentue nécessairement les inégalités entre les élèves. Ce qui était déjà le cas avant le confinement mais s’est accéléré avec lui. L’égalité des chances méritocratiques est un principe de justice incontestable dans les sociétés démocratiques...Est-ce bien réalisable aujourd'hui ? Les inégalités sociales et les diplômes fixent le destin social des individus...Echanges avec François Dubet, sociologue.

Année après année, le thème des inégalités s’invite à chaque rentrée scolaire : quelles en sont les principales causes ?

On peut distinguer grossièrement trois grands types de causes des inégalités scolaires :

La première, bien connue, est que les élèves ne sont pas égaux devant l’école en fonction de leurs origines sociales et culturelles, des ambitions de leurs parents… Tous les élèves ne se lancent pas dans la compétition avec les mêmes ressources et les mêmes handicaps.

La deuxième cause est que l’offre scolaire n’est pas équitable : tous les établissements ne sont pas également efficaces, pas plus que ne le sont les enseignants. De manière générale, en dépit des dispositifs spéciaux, ont donne plus à ceux qui ont déjà plus, que ce soit dans le public et dans le privé. Chacun sait que l’égalité scolaire est assez formelle et que la composition sociale des établissements accentue sensiblement l’impact des inégalités sociales sur les parcours scolaires.

Enfin, il va de soi que beaucoup de parents déploient toutes les stratégies possibles pour accentuer les inégalités scolaires favorables à leurs enfants : choix des établissements, des filières, des langues, investissements dans les soutiens et les loisirs éducatifs… A terme, l’école française est beaucoup plus inégalitaire que ce que supposerait le seul impact des inégalités sociales ou, pour le dire autrement, l’amplitude des inégalités scolaires est plus grande que celle des inégalités sociales.

Le phénomène s’est-il aggravé avec la crise sanitaire ?

Nous n’avons d’études précises, mais on peut imaginer que le confinement a accentué les inégalités existantes en confiant une partie du travail scolaire aux familles qui n’ont ni les mêmes moyens ni les mêmes compétences pour aider leurs enfants. La généralisation contrainte de « l’école à la maison » accentue nécessairement les inégalités entre les élèves. Ce qui était déjà le cas avant le confinement mais s’est accéléré avec lui.  

Parmi les remèdes proposés à ce mal récurrent il y a la “mixité scolaire”.

Celle-ci peut-elle constituer une solution alors même qu’elle suscite des réactions ambigües tant de la part des parents que des enseignants ?

La mixité scolaire est un facteur d’égalité, mais aussi d’efficacité car elle aide beaucoup les moins favorisés sans trop pénaliser les plus favorisés. Ceci dit, la carte scolaire est elle-même inégalitaire et les expériences de busing, de déplacement des élèves ne sont pas des réussites.

Par ailleurs, les enseignants et les parents des établissements favorisés ne sont guère favorables à une mixité qui rend le travail pédagogique plus difficile et qui « pénaliserait » les meilleurs élèves. L’avenir des enfants est un enjeu trop lourd pour prendre des risques et la fuite vers le privé est toujours une solution. Politiquement, la recherche de la mixité scolaire est donc perçue comme un risque à l’égard des classes moyennes qui bénéficient des inégalités scolaires. Mais on pourrait attendre que les responsables et les élus soient plus hardis qu’ils ne le sont.

Une autre stratégie consiste à soutenir les établissements les moins favorisés. Mais il n’est pas certain que des moyens supplémentaires suffisent ; il faudrait sans doute revoir les modes d’affectation des enseignants, la constitution des équipes éducatives, le soutien aux enseignants en termes de salaire, de conditions de travail, de logement…  Il n’est pas certain que les syndicats y soient favorables.

Inégalités, méritocratie, hiérarchies sociales forment un triptyque dont il semble mal aisé de sortir. Quelles issues pouvez-vous proposer?

L’égalité des chances méritocratiques est un principe de justice incontestable dans les sociétés démocratiques postulant que les hommes naissant libres et égaux, ils doivent pouvoir occuper toutes les positions sociales en fonction de leur mérite et de leur utilité plus que de leur naissance. Nous devons donc tout faire que la compétition scolaire soit la plus équitable possible, un peu à l’image d’une compétition sportive idéale.

Mais cette affirmation de principe se heurte à plusieurs difficultés :

La première est qu’elle n’est pas facile à réaliser dans une société où il y a des inégalités sociales (c’est-à-dire dans toutes les sociétés), et quand les diplômes fixent le destin social des individus ce qui conduit chacun à préférer les inégalités qui lui sont favorables.

La seconde difficulté, la plus considérable à mes yeux, tient à ce que la compétition méritocratique fait le tri entre les vainqueurs et les vaincus et légitime les inégalités qui en résultent. Ce principe de justice indiscutable peut donc avoir des conséquences sociales très inégalitaires si on ne s’attache pas à dire d’abord ce qui est du aux vaincus. Est-il juste que les vaincus se sentent humiliés ? Est-il juste que le mérite scolaire définisse tout le mérite d’un individu comme on le croit beaucoup trop en France ? Il faut donc défendre l’égalité des chances méritocratiques et nous méfier des effets pervers et injustes de cette conception de la justice.

L’intelligence artificielle, dont il est beaucoup question aujourd’hui, peut-elle porter quelques espoirs de réduction des inégalités scolaires ?

Je ne suis pas certain de pouvoir répondre à cette question. En revanche, si on est optimiste, on peut penser que l’IA peut renforcer le rôle éducatif de l’école. Si des programmes d’IA bien faits permettent aux élèves d’acquérir des connaissances et de remplacer avantageusement un cours traditionnel, alors, le travail des enseignants peut se consacrer aux exercices, aux petits groupes, au travail pratique, à la formation d’expériences communes. Si le cours de science est fait par l’IA, l’enseignant peut « faire de la science » dans un laboratoire avec ses élèves…

Il me semble que l’école gagnerait à être une école du « faire » et du faire ensemble plutôt que d’être l’école de travail individuel conçu comme un apprentissage en vue d’évaluation. Mais ceci dépend moins de l’IA que des transformations du travail des enseignants et de la vocation de l’école. De manière générale, à l’école comme ailleurs, les outils ne sont que ce que nous en faisons. 

Autre article sur le sujet de Bernard Desclaux : Tir groupé sur la méritocratie

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François Dubet : " Acclimater les technologies, construire des relations de travail, reconstruire une vie politique "

Francois Dubet : " Ce qui nous unit "

Et encore : François Dubet présente son ouvrage "10 propositions pour changer d’école" aux éditions Seuil. Auteurs : François Dubet, Marie Durut-Bellat. Vidéo par Mollat.com. Article sud-Ouest

Dernière modification le samedi, 02 octobre 2021
Puyou Jacques

Professeur agrégé de mathématiques - Secrétaire national de l’An@é