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Cet article intitulé De « l’objet usuel connecté » au « bien social », fait suite aux deux articles précédents : Article 1 : Aspects géopolitiques et rapports Rapport public/privé et Article 2Protection des mineurs.es : leurs paroles ?

1. Enfant, adolescent.e et institution scolaire

« Entrer à l’école dés trois ans », c’est le plus souvent le passage de l’univers de la parentalité à un cadre institutionnel, l’école.

Dans certaines situations, l’enfant a connu une crèche, lieu communautaire dans lequel l’équipe des professionnels de l’enfance privilégie une continuité des rapports enfant parent et plus particulièrement mère enfant.

L’enfant scolarisé à 3 ans est porteur des choix et des contraintes de leur tutelle, parents, parentèles, services sociaux. Ces choix ont des causes sociales, économiques dépendantes de décision politique. L’enfant , l ‘adolescent.e les expriment par des comportements physiques et psychologiques.

Ainsi, Les jeunes enfants de 3 ans inscrits à l’école ont des histoires singulières. Ils représentent une diversité que nous trouvons aussi dans les pratiques des langues et langages. En entrant à l’école, ils devront découvrir qu’ils ont à construire collectivement une expérience commune qui donne du sens à leur diversité. Cette expérience est de devenir membres d’une institution qu’elle soit publique, conventionnée ou privée sous contrôle juridique, comme l’exprime bien  le texte officiel, « L'instruction est obligatoire pour chaque enfant dès l'âge de trois ans et jusqu'à l'âge de seize ans.» [1] 

La finalité de ce temps de parole collective est une initiation à l’institution. Leurs paroles échangées productrices d’un discours collectif en font progressivement  des acteurs de l’institution scolaire.

Il s’agit d’un véritable rite de passage de la petite enfance à l’enfance : toutes les équipes de professionnels de l’enfance en sont conscientes, tout parent ou proche l’a vécu. 

Saisir toute occasion pour donner la parole aux enfants, porteurs de leur propre inquiétude et de celle de ses proches, c’est abréagir leur angoisse.

Pour libérer cette parole, un possible  rôle de l’adulte est de proposer un objet qui crée un pont à la fois entre l’environnement enfantin et l’institution ; il permet d’exprimer des expériences vécues différentes pour constituer progressivement des représentations et des pratiques communes.

2. Un choix de l’adulte : un objet usuel social, connecté.

Le choix des objets propres à l’enfance et à l’adolescence a son importance.

L’objet transitionnel qui rassure l’enfant de sa séparation avec sa parentèle ne peut être celui qui correspond au pont du passage de la petite enfance au statut institutionnel d’élève car il est le prolongement utile mais bref de la relation affective enfant/ parentèle.

Il y a la possibilité de faire un choix entre objets usuels familiaux et objets usuels sociaux.

Les objets usuels familiaux font partie de la vie domestique et familiale et ne peuvent être utiles à une prise de conscience pour l’enfant qu’il n’est plus dans l’environnement de sa parentèle. Si les objets usuels sociaux (le téléphone, la console de jeux…) sont pratiqués le plus souvent au sein de la parentalité, ils font partie de la vie sociale des enfants, des adolescents.es et des adultes,  ils  sont des moments d’échange avec  les pairs et avec les adultes tantôt à partir de représentations imaginaires tantôt à partir de réelles pratiques.

L’objet usuel social, tout en ne niant pas l’apport des parentèles, centre l’activité scolaire sur le monde extérieur de l’enfance, sur la vie sociale. Pour cette raison, il est celui qui correspond à la finalité de la « prise de parole » qui prépare à la vie sociale et collective tout au long de la vie.

Au vu de l’importance que prennent les objets connectés dans le quotidien et celle du danger que leur fonctionnalité fait courir aux mineurs dans le contexte de ce demi 21ème siècle, leur choix correspond aux critères attendus ; ils sont  représentatifs de la vie sociale tant dans les rapports informels que professionnels et de la vie scolaire comme le stipule les directives gouvernementales [2]

Ce choix ne peut suffire. Pour réponde à la mission éducative de l’école, il doit donner la possibilité aux jeunes de construire la réalité pragmatique de leurs usages sans au préalable un jugement posé par les adultes.

Cette réalité pragmatique résulte du maillage de leurs propres récits.

3. Un processus collectif, émergence d’une finalité.

Au cours de leurs énoncés, les élèves commencent à former une communauté scolaire « qui se parle ».

Une communauté vivante : au cours des années, les évolutions technologiques, les modifications du groupe scolaire (arrivées ou départs d’élèves) créent une dynamique.

Les prises de parole et les capacités d’écoute et d’attention évoluent suivant les classes d’âge : il s’agit donc de moduler le temps consacré à ce débat.

Progressivement, les capacités cognitives permettent de poursuivre l’écoute de l’autre par un classement des récits en catégories dépassant une hétérogénéité apparente  et de proposer une recherche documentaire sur le contenu de leurs propositions.

Le processus commence par l’expression libre de l’usage de l’objet usuel social. Il se poursuit par une construction collective des représentations et pratiques exprimées. Ces deux premiers temps permettent aux élèves de saisir que chaque ensemble d’usages regroupés donne naissance à une série de questions auxquelles il faut trouver des chemins qui conduisent soit à de nouvelles interrogations soit à des réponses sous forme de controverse pour que chaque énoncé y trouve sa place.

Cette longue évolution collective nécessite un temps qui se répète tout au long de la scolarité à des intervalles réguliers dont la durée est modulée suivant l’âge.

Elle répond à une finalité éducative qui reconnaît au public scolaire le droit à « la parole », la capacité cognitive de passer d’échanges informels à des analyses réflexives documentées. Elle précède et introduit progressivement à une recherche documentaire qui situe les enseignements académiques dans les usages des objets usuels sociaux.

Ce processus, énonciation des usages suivie de thèmes de réflexion argumentés par le recherche documentaire, transforme la dépense effectuée pour posséder un objet usuel social, attente économique des entreprises productrices et commerciales, en un « bien », ressource cognitive et matérielle  de cet objet usuel social.

La reconnaissance par les adultes de la capacité des jeunes à trouver des accords soit des normes pour contrôler les usages des objets usuels, c’est leur permettre de développer une autonomie basée sur un acte collectif, c’est une confiance établie entre les jeunes et les adultes.

Cette confiance passe par les expressions verbales. Elle existe quand les expressions des jeunes et celles des adultes éducateurs  ont une égale valeur. Cette égale valeur  donne à l’adulte les éléments qui permettent de situer l’expression des jeunes dans une langue de l’enseignement [3] qui donne du sens à celle des jeunes. Au discours collectif des jeunes, elle donne le statut d’un élément indispensable à la vie scolaire qui est un préparation au système social dont ils font partie.

Dans l’exemple de la protection des données des mineurs, la fonctionnalité du système numérique n’est plus subie.

La prise en compte du discours collectif des jeunes usagers explicite leurs usages. Progressivement la mise en commun de points de vue donne les arguments qui font de l’objet connecté un bien qu’il faut protéger et en particulier ses propres données.

4. Regard vers l’Institution

L’introduction de ce temps de la parole libérée du public scolaire s’oppose à une conception de l’enfant qui n’aurait aucune ressource cognitive et pragmatique, comme certains le supposent.

Elle s’appuie sur de nombreuses expériences et  études argumentées.

Elle reprend un objectif du code de  l’éducation en le finalisant : « l'éducation lui (l’enfant) permettant de développer sa personnalité, son sens moral et son esprit critique, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, de partager les valeurs de la République et d'exercer sa citoyenneté. » [4] 

« Permettre de développer sa personnalité » : N’est-ce pas reconnaître une valeur à toute expression ?

« Permettre de développer son sens moral et son esprit critique» : N’est-ce d’abord comprendre l’altérité par l’échange et la controverse d’abord entre pairs de sa génération puis savoir la confronter collectivement aux autres générations ?

« Elever son niveau de formation initiale et continue » : N’est-ce pas d’avoir pu exprimer son propre savoir et ses propres expériences pour par la suite prendre conscience de son évolution au cours d’une scolarité et d’un formation?

« S’insérer dans la vie sociale » N’est-ce pas le temps nécessaire préalable à une orientation professionnelle.

« Partager les valeurs de la République et d’exercer sa citoyenneté » : N’est-ce pas commencer par des pratiques démocratiques reconnaissant les paroles collectives et acceptant les controverses qui de la parole libérée de chaque génération permettent  de saisir les règles constitutionnelles d’un régime politique, tel que la république.

La finalité éducative  de faire de « l’objet usuel social » un « bien » à partir des paroles des enfants et des adolescents.es  dans le contexte scolaire ne peut être confondu avec l’enseignement des disciplines académiques basé sur la transmission de connaissances instituées  et sur un échange sur la compréhension de cette connaissance entre un adulte et un jeune au sein d’une classe.

Si une complémentarité existe entre l’enseignement des disciplines académiques et la finalité d’un projet éducatif traitant des usages sociaux à partir du discours des scolaires, ce projet qui répond aux énoncés du Code de l’éducation n’a pas de reconnaissance réelle dans la cité scolaire. Il sera donc nécessaire de s’interroger sur sa concrétisation dans l’organisation de la cité scolaire et sur la qualification professionnelle du personnel éducatif en charge de ce processus.

A suivre...

Alain Jeannel

[1] code de l’éducation, Article L131-1
[2] https://www.education.gouv.fr/l-utilisation-du-numerique-l-ecole-12074
[3] « Multilinguisme et langue de l’enseignement : Particularité et unité linguistique » https://www.educavox.fr/formation/analyse/multilinguisme-et-langue-de-l-enseignement-particularisme-et-unite-linguistique « Savoir accueillir et plurilinguisme »
https://www.educavox.fr/formation/analyse/savoir-accueillir-et-plurilinguisme
[4] Code de l’éducation Article L131-1-1

Dernière modification le mercredi, 08 mars 2023
Jeannel Alain

Professeur honoraire de l'Université de Bordeaux. Producteur-réalisateur. Chercheur associé au Centre Régional Associé au Céreq intégré au Centre Emile Durkheim. Membre du Conseil d’Administration de l’An@é.