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Je sais. Vous êtes surpris. En plein débat à l’assemblée nationale sur la refondation de l’école, je n’écris rien. Je ne publie rien. Et pourtant, je ne suis pas (encore) mort.
D’une part, je suis débordé. D’une main, je termine un film sur la guerre d’Algérie. Quinze appelés issus du même village témoignent… et c’est une bombe. De l’autre, je tourne un autre film sur la scolarisation des enfants de moins de trois ans, dans une école des Minguettes, à Vénissieux, dans le Rhône. Autre bombe potentielle sur les possibles du vivre ensemble et de l’apprendre ; évidemment à condition de les proposer avant qu’il ne soit trop tard ; ce qui semble être dans l’air du temps.
 
D’autre part, je suis un peu circonspect quand je vois que mon film précédent (Enseigner peut s’apprendre !), qui semble avoir été vu par nombre de décideurs concernés, n’a pas pu empêcher le vote d’une réforme bâclée de la formation des enseignants. Pour faire simple, avant Sarko, cette formation était très insuffisante. J’avais écrit qu’un enseignant bénéficiait de moins de formation professionnelle qu’un gardien de la paix. Avec Sarko, c’est devenu la cata totale. Demain, il se peut que ce soit moins pire que sous Sarko, mais presque moins bien qu’avant lui. Quelle avancée ! Reste que les réformes sont surtout ce que les acteurs en font. L’exemple sur lequel s’appuie le film cité - l’UFRSTAPS de Lyon - montre que, même dans les pires situations (on était alors en pleine « Sarkozie »), la volonté, le militantisme et l’intelligence collective peuvent « tordre » les textes pour en tirer de l’exceptionnel. Mais on pouvait espérer plus volontariste et plus courageux comme réforme.
 
De plus, le débat sur les rythmes scolaires, totalement pris à l’envers, à tout pollué et ça, ça m’énerve. Cette réforme aurait du être la conséquence d’autres pas en avant. Surtout pas un a priori ! Même si la semaine de quatre jours posait problème, dans les écoles primaires. Pour résumer, il fallait commencer par le commencement : mettre sur pieds une formation initiale des enseignants dans l’esprit du film « Enseigner peut s’apprendre ! » et lancer une opération de formation continue de masse des enseignants en place.
 
Surtout pas pour en faire de parfaits applicateurs de circulaires ministérielles. Mais au contraire des acteurs responsables et capables de « décider dans l’incertitude et d’agir dans l’urgence », pour lutter contre l’échec scolaire et réduire les inégalités autant que faire se peut. J’ai même proposé que ces deux opérations se nourrissent mutuellement, dans le cadre d’une formation par alternance, réellement interactive ; autrement dit, que les étudiants soient massivement mis en stages tutorés (et non pas en responsabilité) très tôt dans leur formation, que ces stages mobilisent donc un maximum de conseillers pédagogiques, qui bénéficient, en parallèle, d’opérations d’échanges-formation avec les centres de formations (UFR ? ESPE ?) afin de se former, mais aussi de former les formateurs de formateurs de ces instances universitaires.
 
Comme « tout se tient », je suis bien conscient des limites de cette double priorité, ainsi que des difficultés pour la mettre en œuvre. A qui confier l’animation d’une formation continue de masse des personnels et sur la base de quels contenus ? Plus de quinze ans après la fermeture des MAFPEN par le célèbre Claude Allègre, où en est le réservoir de formateurs de formateurs, qui, déjà à l’époque, était quantitativement et, surtout, qualitativement déficient ?
 
Autre question : au niveau national, dans combien d’UFR existent les compétences et, surtout, les volontés de s’emparer réellement de la formation initiale des enseignants ?
 
Dans combien d’IUFM domine une véritable nourriture de la formation initiale par les réalités des métiers de l’enseignement et non par les simples contraintes des concours (ce qui est compréhensible) ou par des délires personnels (ce qui est scandaleux) ?
 
Combien de recherches sur l’enseignement ou les apprentissages sont-elles prêtes à être massifiées, voire simplement mises à disposition de formateurs de formateurs, qui manquent cruellement de matière pour nourrir efficacement leurs cours ? La question ne semble pas seulement quantitative, car, en ce domaine, un certain nombre de thèses sont produites tous les ans. Elle est surtout systémique et qualitative. Entre le travail pointu d’un chercheur qui creuse « son trou » le plus à fond possible et la massification de ses avancées, il manque une étape de vulgarisation/distanciation. Qui s’en charge dans le système actuel ? Personne ou presque !
 
De façon plus systémique, d’un côté les UFR de « sciences de l’éducation » et même parfois les IUFM, travaillent souvent « en général » - disons un peu « hors sol » -, et de l’autre les UFR de chacune des disciplines ne se penchent pas ou très peu sur les conditions précises de la transmission des savoirs qu’elles travaillent ou produisent. Comment créer les synergies pour que tous ces mondes, qui au mieux s’indifférent, avancent ensemble ? Une seule solution : changer radicalement le contenu des concours de recrutement ! L’évaluation pilote toujours la formation :
 
Sans oublier l’affirmation d’une nécessaire réflexion sur la formation « politique » des (futurs) enseignants ? Là se situe le nœud du problème. Les enseignants sont abandonnés sans formation solide sur le rôle « politique », qui est le leur. Evidemment, je parle ici de la conception originale du mot « politique » : agir dans la ville, dans la société. Et si cette étape de réflexion essentielle était le préalable à toute ambition de refondation réelle de l’école ? Savoir à quoi l’on peut/doit servir n’est-il pas la condition pour, un jour, être capable de voir le bout de ses actes et donc de se passionner pour son métier, car bien fait et, donc, gratifiant ?
 
Condition que j’accompagnerai d’une autre remarque, tirée de travaux sur le travail au sens large du terme. Les réformes qui simplifient la vie des acteurs et qui augmentent leur efficacité réelle et, à la fois, le sentiment qu’ils ont de cette efficacité, marchent. Toutes les « usines à gaz » (aussi « justes soient-elles sur le papier) ne vont pas au delà de la publication de circulaire. Tout ce qui ne fait pas sens sur le terrain ne se traduit pas durablement en actes. A bon entendeur, salut !
 
Enfin, pour dire deux mots sur les rythmes scolaires et tendre une perche aux partenaires concernés, l’ex-prof d’analyse du système éducatif, que je suis, veut bien pointer quelques questions qu’il aurait aimées voir soulever collectivement ?
 
Avant tout : faut-il continuer à déscolariser nos enfants ?
 
Depuis les années soixante dix, un élève de seize ans bénéficie d’une année de moins de cours qu’auparavant, si l’on met bout à bout les horaires d’enseignement passés à la trappe des diverses réformes ? Quels sont les élèves les plus touchés par cette déscolarisation insidieuse ? Quels sont les élèves dont les familles sont capables de construire une « école en plus de l’école », enchainant cours particuliers, activités culturelles, sportives, associatives, catéchisme, accès maitrisé à Internet, etc. ?
 
Deuxième grande question : l’école est-elle condamnée à être ennuyeuse, si tant est qu’elle le soit ? Etre assis pour écouter peut, effectivement, être ennuyeux. Mais est-ce la seule façon d’apprendre ? D’enseigner ?
 
Pourquoi donc faudrait-il « externaliser » une part significative des savoirs en jeu ? Autrement dit, pourquoi, après 16H00, un BAFA formé en quinze jours, serait-il plus performant qu’un prof formé à bac plus six ? Même si ça arrive parfois dans les faits… et que cela pose la question soulevée plus haute de la formation des enseignants, on ne peut pas fonder une réforme – donc refonder l’EN – sur un tel système.
 
Question qui en découle : faut-il entériner, voire accentuer, les différences locales ou au contraire tendre vers une plus forte égalité des situations ? Autrement dit, le mouvement de décentralisation ne doit-il pas être discuté sur le fond ? Pourquoi des collectivités territoriales seraient-elles plus performantes que l’Etat pour assurer des formations fondamentales ? Et surtout plus égalitaires ? A moins que le souci d’égalité n’existe que… dans les mots.
 
Dernière question : existe-t-il une hiérarchie des savoirs, évidemment implicite, y compris au sein de certains syndicats ou mouvements pédagogiques ? Comment expliquer que l’on confie aux municipalités, voire bientôt aux départements et aux régions, le « sport » (au passage l’EPS devient quoi ?), les activités culturelles… ou la formation professionnelle ? Tout en baissant leurs dotations globales de fonctionnement. Etrange constat : toutes ces activités sont, souvent, à forte implication corporelle… Autrement dit, même « à gauche » (pour faire simple, car, visiblement, ce concept ne veut pas dire la même chose pour tout le monde) le « Lire, écrire, compter » ne serait-il pas un « socle » inavouable et inavoué des savoir à maitriser en priorité ? « Socle commun », « matière principales », etc. ne sont-ils pas autant de concept chargés d’implicites plus forts qu’on ne le croit ?
 
Je ne répondrai pas, aujourd’hui, à toutes ces interrogations. Mais vous devinez facilement mes préférences. Reste que je voudrai soulever une réflexion de fond préalable. Pourquoi ces questions – mes questions – ne sont-elles pas venues plus fortement sur le tapis des débats, négociations et autres consultations ?
 
D’abord par manque de formation des acteurs, y compris syndicaux, sur les analyses systémiques. Ensuite par manque de temps pour prendre du recul et réfléchir. Mais aussi par manque d’écoute démocratique. Comment est-il possible que personne n’ait crié « au suicide », lors la campagne présidentielle, dès que l’affaire des rythmes scolaires est sortie du chapeau du prestidigitateur ? Qui s’est posé simplement la question des impacts réels sur la vie réelle des enseignant(e)s réel(le)s ?
 
Enfin, et peut-être, surtout parce que des implicites et des tabous ne sont pas soulevés, sur la formation initiale des enseignants, la décentralisation et sur la nature même des savoirs à enseigner et à apprendre… de la part des élèves. Pour refonder l’école, il faut oser affronter les non-dits et les implicites. Etrange ! Jeune prof, sorti en 1969, j’ai été embarqué, dès 1973, dans des opérations de formation continue, qui avaient pour objectifs : « découvrir les implicites inscrits dans nos pratiques réelles… en les mettant collectivement en mots » ; ce qui veut dire que nous acceptions d’enseigner devant nos collègues et de débattre avec eux, mais avec un grand principe de fonctionnement, ne pas poser, a priori, de jugement de valeurs, mais tout faire pour analyser et décrire le réel.
 
Et si c’était ce réel qui était, justement, le grand absent d’aujourd’hui, « bouffé » qu’il est par les enjeux de pouvoirs, les modélisations médiatiques et les enfumages idéologiques… majoritairement néolibéraux ?
 
Jean Paul Julliand
17.03.2013
Julliand Jean Paul

Professeur retraité