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L’approche systémique des organisations nous apprend qu’il est indispensable d’identifier et de faire du lien entre les différentes composantes internes et externes des établissements. 
Malheureusement, l’émiettement des contenus à enseigner et des situations scolaires vécues est une sorte de dogme auquel chacun tient très fortement, comme une sorte de garantie identitaire et territoriale. Or le développement de l’informatique puis du numérique dans nos sociétés a affaibli ces distinctions. Aussi est-il surprenant de voir resurgir à intervalles réguliers des revendications territoriales disciplinaires. Informatique, sciences de l’information sont les dernières venues à vouloir s’inviter au festin du découpage disciplinaire. Et pourtant les deux disciplines tiennent, en partie, leur force de leur transversalité opérationnelle, sans ignorer bien sûr les fondements scientifiques de chacune.
 
Il y a bien longtemps que l’accès à l’information, en particulier par les moyens « modernes », est inscrit dans le préambule des programmes d’enseignement de la plupart des disciplines scolaires. Plus récemment, le développement d’Internet a amplifié ces préconisations qui reviennent actuellement dans l’écriture des programmes. Or certains souhaitent que des apprentissages spécifiques soient mis en place indépendamment des autres disciplines. D’une part l’institution se défausse facilement en l’acceptant sans pour autant le structurer, d’autre part les revendications territoriales sont insatisfaites. Autrement dit la situation de tension générée par ces deux attitudes rendent tout débat difficile voire impossible, ou au moins délicat. Surtout que les questionnements de fond sur l’apprendre dans le contexte actuel sont secondaires ou tout au moins mis de coté.
 
La rencontre avec l’Information est la base de tout apprentissage. Ici le terme information est utilisé comme le « signe de », le « perçu ». Apprendre c’est d’abord percevoir et ensuite traiter. Dans ce traitement, complexe, de nombreuses opérations mentales sont mobilisées et elles sont tributaires du traitement, mais aussi des intentions, buts et projets de celui qui les réalise. Dans le monde scolaire ces buts sont d’abord définis par les prescriptions institutionnelles (les programmes) relayés par les établissements (l’organisation scolaire), les enseignants (les enseignements). Autour de ces derniers le contexte d’accueil des élèves a évolué au cours des années. Il s’est progressivement réduit jusqu’à, dans certain cas, ne laisser que cette partie d’enseignement exister, toute autre activité étant reléguée à l’extérieur de l’établissement. Pourtant les espaces de vie scolaire et de documentation sont bien présents, mais marginalisés, en quelque sorte, par la domination de la logique programme/évaluation qui prévaut. En d’autres termes, la relation à l’information se réduit alors à sa plus logique expression : la relation aux disciplines d’enseignement. On comprend pourquoi certains peuvent revendiquer le statut disciplinaire (info-com, informatique…) pour exister dans ce contexte, même si c’est contre productif ou plutôt a de moins en moins de sens dans un monde de liens.
 
Au moment où le constat d’une utilisation quasi continue du lien à l’information avec Internet par chacun de nous, on revendique, dans le monde scolaire, une séparation contrôlée du lien à l’information disciplinaire. Le choc que constitue pour un enseignant la contestation de ses connaissances continue de produire plus de scolaire qu’auparavant. Or c’est l’inverse que cela devrait produire : de la reconstruction non scolarisante. En d’autres termes et par analogie, puisque la vie entre directement dans la salle de classe, on peut peut-être commencer à la regarder de plus près et à la prendre en compte. Non pas naïvement, ou démagogiquement, en faisant semblant, mais bien en construisant les connaissances avec le monde qui les environne et non pas sans, comme pendant longtemps l’école a voulu le faire avec d’ailleurs quelques bonnes raisons. Il va de soi que parmi les priorités de cette prise en compte du monde (cher à John Dewey), il y a l’apprentissage des « codes » de toutes natures qui peuplent ce monde. Pas un apprentissage refroidi, mais un aller retour constant entre l’immédiat et l’intermédié. Car à l’époque où l’on parle de désintermédiation et de translittératie, il convient de ne jamais perdre de vue que le travail dialectique et dialogique est indispensable à l’acquisition des compétences et des connaissances. Il ne s’agit pas de développer ces compétences théoriques de l’apprendre à apprendre (d’ailleurs bien codifiée par Benjamin Bloom mais pour d’autres raisons), mais bien plutôt de favoriser l’aller retour métacognition/activité qui permet justement de passer de l’apprendre à apprendre à « l’apprendre à apprendre de » c’est à dire à des « connaissances situées et contextualisées ».
 
Ce que le numérique nous apprend, c’est que l’information n’est pas un objet en soi, mais bien plutôt un processus permanent, relié à la communication. Il nous apprend que ce processus fait désormais partie de manière explicite de notre mode de vie au quotidien alors qu’auparavant il était surtout implicite et non externalisé par des artefacts. L’informatique pervasive qui vient petit à petit se glisser à notre poignet, à nos chaussures, dans nos poches, dans nos lunettes, amplifie ce mouvement qui donne à l’information la primauté sur tous les autres phénomènes qui nous entourent. Si l’on raisonne en psychologue on pourrait considérer que ce n’est pas nouveau (nos sens ne sont que des capteurs d’information et notre cerveau une machine à la traiter). Si l’on observe l’omniprésence des objets numériques dans le quotidien, on peut considérer qu’il y a externalisation, objectivation de fonctions jadis enfouies en chacun de nous, cachées. Désormais nous pouvons avoir recours, par ces artefacts, à une perception augmentée du monde extérieur. Or ce monde est désormais de plus en plus présent dans notre cerveau et donc au coeur de la salle de classe. Comment l’ignorer au moment où l’on sait que nombreux élèves utilisent largement leurs smartphones en classe ou leur ordinateurs dans les amphis pendant les cours….
 
A suivre et à débattre
 
Bruno Devauchelle
 
Article initialement publié sur le blog Veille et analyses Tice
Dernière modification le mercredi, 01 octobre 2014
Devauchelle B

Chargé de mission TICE à l’université catholique de Lyon et professeur associé à l’université de Poitiers, département IME.