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S’il est bien un sujet qui fasse l’objet d’assauts répétés et concurrentiels de la part de l’institution et des marchands, c’est celui de l’innovation. 
Et de l’innovation numérique en particulier. Attention, ce sont de gentils assauts, on est entre gens qui savent vivre, tout cela est de bon ton ! Pourtant, c’est la foire d’empoigne. Qui veut être innovant ? Qui veut recevoir un prix pour avoir innové plus que les autres ? Qui veut monter sur l’estrade pour y être distingué honoris causa ? Qui peut espérer recevoir les honneurs d’une franche accolade par un inspecteur général ou un cadre technico-commercial d’une grosse firme à vocation internationale, sous les applaudissements de la foule admirative et un peu jalouse ?

Remarquez bien que cette préoccupation ne concerne, peu ou prou, que les enseignants eux-mêmes et, comme le remarque à juste titre Jean-Paul Moiraud, à trop désigner et, éventuellement, récompenser des enseignants supposément innovants, on en oublie le reste de l’organisation éducative. Quid de l’innovation dans les corps d’inspection, chez les chefs d’établissement, les responsables administratifs, les délégués syndicaux, les personnels des collectivités locales en charge de l’éducation ? Du coup, cette notion même d’enseignant innovant n’est-elle pas un frein à l’innovation ? N’est-elle pas un prétexte pour ne pas innover, dit-il ?

Par ailleurs, j’ai un gros problème avec l’innovation. Je crois qu’on ne parle pas de la même chose.

Mettons-nous d’accord : l’innovation, c’est de la nouveauté, certes, mais aussi du changement, forcément en mieux et de manière assez radicale. L’innovation, dans un système éducatif aussi statufié et contraint que le nôtre, c’est un acte transgressif, une forme de désobéissance qui ne dit surtout pas qui elle est avant d’être plus ou moins normalisée, c’est le fait des renégats, des pirates… C’est de l’irrespect.

Innover, au sens où il faut l’entendre comme défini supra, c’est aussi prendre des risques considérables avec son entourage, ses collègues, sa hiérarchie pédagogique et administrative, les élèves plus rarement, les parents plus souvent, c’est prendre des risques, disais-je avec sa tranquillité personnelle et surtout sa carrière.

Ça y est, je crois que le temps est venu de me fâcher pour de bon avec de nombreux amis et collègues… Car, à l’exception notable de quelques-un(e)s d’entre eux — ne comptez pas sur moi pour les dénoncer, ils font souvent figure basse après avoir fait les frais de conflits longs et ouverts avec leur hiérarchie —, ce qui est rapporté à longueurs de pages dans les médias, ce qui est valorisé par les agences locales ou nationale dites des « usages pédagogiques du numérique », ce qui fait l’objet de récompenses lors des cérémonies de remises de médailles, rien de tout cela ne correspond à la définition rappelée ci-dessus de l’innovation.
Car ce n’en est pas, tout bonnement. Ni radicalité, ni transgression, ni désobéissance. Juste la passivité complice et bienveillante des institutions. Au mieux, car, le plus souvent, elles s’en fichent.

Marie Courbon le sait bien qui dit récemment :
« ... dans l’enseignement, quand on “innove”, quand on ose sortir des sentiers battus, quand on prend le risque d’une pratique différente pour le bien de ses élèves, on en crève ! ».
Eh quoi, j’utilise les MOOC, les SPOC, les « serious games » (quels mots et acronymes laids et abscons !), les tableaux numériques, les tablettes avec mes élèves et je ne serais pas innovant ? Eh quoi, je pratique la pédagogie inversée et ce ne serait pas profondément renversant ? 
Innover, ce n’est pas changer les outils ad libitum ou l’ordre des choses si on ne modifie pas profondément sa posture magistrale, si on ne change pas les modalités mêmes de l’accès des élèves aux connaissances ou si on n’est pas capable de proposer de nouvelles formes de co-constructions des savoirs.
Innover, ce n’est pas mettre des cataplasmes sur son enseignement quand les modalités de ce dernier sont profondément changées par le numérique omniprésent — je pense en particulier à la copie numérique des œuvres, à leur utilisation et reproduction collective, au plagiat, au copier-coller, au travail collectif et collaboratif…
Qui innove à ce sujet ? Où est l’innovation ?

Et si on la cherchait du côté des structures et de l’organisation ?

Innover aujourd’hui, ce serait, par exemple, modifier profondément les services des enseignants pour y faire place aux activités en ligne, avant ou après la classe, ou à l’accompagnement personnalisé — prenez ces mots dans leur acception originelle sans penser au dispositif éponyme —, ce serait, puisqu’on en parle, modifier complètement le concept de classe, défini en heures comme il y a deux siècles maintenant, borné en quatre murs épais et inamovibles, constitué d’un groupe d’élèves auquel on ne touche pas pendant une année scolaire.
Innover aujourd’hui, ce serait, à la lumière des réussites de certains enseignements en ligne, réformer complètement l’éducation prioritaire, d’une part, l’éducation populaire, d’autre part.
Innover aujourd’hui, ce serait refonder le pilotage et les missions des corps d’inspection — il y a tout à changer, ou presque.
Innover aujourd’hui, ce serait supprimer pour n’en garder qu’un seul l’un des deux concours de recrutement des professeurs, pour un corps unique de la maternelle à la terminale.
Là, ce n’est plus de l’innovation, c’est du sacrilège ! Je me tais…

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Crédit photo : Ross Mayfield via photopin cc
Dernière modification le lundi, 15 septembre 2014
Guillou Michel

Naturaliste tombé dans le numérique et l’éducation aux médias... Observateur du numérique éducatif et des médias numériques. Conférencier, consultant.