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Il faut entendre ce qu’on vous dit, l’école ne serait plus ce qu’elle était. Plus du tout, paraît-il. Qu’est-ce qui aurait changé ?

Pas grand chose en fait. En ce moment-même, les professeurs documentalistes sont réquisitionné(e)s comme manutentionnaires pour entreposer les centaines de nouveaux manuels papier à peine sorties des presses de nos éditeurs éclairés et visionnaires. Comme elles ou ils le seront à la rentrée pour les distribuer aux élèves. Les professeurs documentalistes font un beau métier, au service de l’édition scolaire et de la transmission des connaissances via le livre. C’est comme ça depuis des années, des décennies, pourquoi voulez-vous que ça change ?

Savez-vous pourquoi on distribue de nouveaux manuels ? Parce que les programmes ont changé. Enfin, non, ils n’ont pas vraiment changé, pas au fond, ils se sont juste adaptés, à l’école du premier degré et au collège, aux nouveaux référentiels du socle. Ces derniers fonctionnent aujourd’hui par cycles de trois ans et ne sont qu’une version un peu plus moderne des premiers. On change les programmes mais, en fait, ils ne changent pas, c’est juste pour vendre de nouveaux manuels. En informatique — c’est très branché, en ce moment, il faut apprendre à penser comme les informaticiens —, on appelle ça une boucle. Mais là, c’est de l’économie.

En fait, il y a une raison à tout cela : au départ, il était question, il y a quatre ans, de refonder l’école, ce qui impliquait de nouveaux programmes, avec de nouveaux professeurs formés différemment et des nouvelles modalités d’enseigner. Tout cela était cohérent : refonder, c’était changer au fond les enseignements, transformer l’école. Au fond, vous dit-on. Oui, mais ça, c’était avant.

Un petit bilan de la refondation ?

RefondationAu centre de la réforme, il était question de redéfinir les programmes. Comme je l’ai déjà dit plus haut et ailleurs sur ce blogue, c’est raté. Le cénacle choisi, la méthode, l’absence de concertation avec les autres directions du ministère — nos fameux silos étanches fonctionnent très bien — sont des points qui ont tous contribué à rendre une copie bien palote. Concernant le numérique, par exemple, j’ai déjà eu l’occasion de montrer que les auteurs de ces programmes, où qu’ils soient, d’où qu’ils proviennent, n’ont, à aucun moment, manifesté une quelconque vision prospective des enjeux. A contrario, ils ont fait le choix à court terme d’un matérialisme bien réducteur du numérique qui n’est pas insensible, loin de là, à la pression continuelle de tous les lobbys. 

Ceux qui se sont attardés à relever dans ces programmes les contours du numérique ne peuvent que le constater, bien malgré eux. La simple mention du mot dans les programmes est d’ailleurs l’indication que ses auteurs séparent ce qui est numérique de ce qui ne l’est pas, ce qui aujourd’hui n’a pas le moindre sens.

Au centre de la réforme, il était aussi question de reconstruire la formation des enseignants. Le moins que l’on puisse dire, c’est que, si le chantier est ouvert, il est encore loin, très loin d’avoir vraiment avancé.

Concernant la formation initiale, on apprend encore dans les ESPE, pour la plupart des cas — j’en reçois des témoignages tous les jours —, exactement les mêmes formes d’enseignement que celles que les maîtres formateurs ont reçu eux-mêmes comme modèles, quarante bonnes années auparavant. Ce qui est nouveau, c’est que ces vieilleries sont mâtinées de considérations vaseuses sur les neurosciences, censées tout expliquer. 

Concernant la transformation numériquedes enseignements et la nécessaire prise de conscience qui s’impose, on est encore très loin du compte.

On a vaguement entendu parler du numérique dont on n’évoque, là encore, l’appoint en classe que sous la forme de ses outils ou des ressources. Cette constance souffre bien sûr de notables exceptions, curieusement mais fort heureusement, dans les disciplines où les maîtres ont à faire l’étonnante démonstration tous les jours, dans les salles de professeurs, qu’ils font bien partie de l’estimée corporation. Je pense à l’éducation physique et sportive et à la documentation. Concernant la formation continue, même si ses formes ont évolué, avec la présence de modules en ligne sur les plateformes académiques et nationales, on ne sent pas non plus souffler très fort le vent de la nouveauté ou de l’innovation. La lecture des nouveaux plans, sur les sites académiques, apporte tous les jours des preuves d’un grand conformisme.

Au centre de la réforme, il y avait aussi bien sûr le développement du numérique éducatif.

Je le répète, Vincent Peillon savait, lui, n’en déplaise aux grincheux, que la refondation de l’école serait numérique ou ne serait pas. Le plan bolchévique qui descend aujourd’hui de l’Élysée ou de Matignon ne risque pas de changer grand chose, sinon parfois le sentiment d’un peu plus de confort technico-pédagogique pour quelques enseignants, en premier degré ou en collège. Elles aussi soumises aux pressions lancinantes de lobbys tout puissants, les collectivités connectent, équipent et fournissent les écoles et établissements dont elles ont la charge, dans le plus grand désordre et sans guère d’impulsion et de coordination de l’État central, voire contre les conseils de ce dernier.

Autre constante qui ne laisse pas d’étonner : les équipes d’enseignants, dont François Taddei disait récemment qu’il convenait de renforcer l’autonomie, ne sont pas en mesure d’exprimer leurs besoins dont on fait, de toutes façons, peu de cas. On ouvre l’oreille pour les entendre puis, sans s’attarder, on déploie (1). Ce n’est pas la culture de la maison que d’écouter les professeurs ou de leur faire confiance. Pourtant, comment faire autrement ?

Bon, je pressens qu’on me reproche de caricaturer. Oui, c’est vrai. Mais, à peine.

Je vous fais grâce du reste des chantiers de la refondation dont il est patent que leur avancement est très retardé, même et y compris pour ce qui concerne la création des postes manquants. Il y aurait tant à dire aussi sur la transmission des valeurs de la République, chantier dont l’école prend enfin conscience aujourd’hui — oh ! une conscience bien passagère… — qu’il s’agissait d’une mission immémoriale qu’elle a bien eu tort d’abandonner.

Mais pour répondre à la question initiale, celle de la transformation de l’école avec le numérique pour levier, dont je disais, il y a trois ans déjà qu’on en prenait encore pour vingt ans à attendre (2), je crois bien que mon estimation était basse et que les retards sont beaucoup plus importants encore.

Est-ce si grave ? Que naîtra-t-il du chaos ?

En attendant, non, l’école numérique, ça n’existe pas !

Michel Guillou @michelguillou

 http://www.culture-numerique.fr/?p=5043

Dernière modification le lundi, 20 février 2017
Guillou Michel

Naturaliste tombé dans le numérique et l’éducation aux médias... Observateur du numérique éducatif et des médias numériques. Conférencier, consultant.