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Mercredi 4 décembre se déroulait le deuxième T’éduc à la Cité des Sciences consacré cette fois aux relations entre école et musée. Comment faire de l’élève un visiteur ? Comment repenser la visite scolaire au musée ? Deux questions au cœur de cette table ronde, qui réunissait chercheurs, enseignants et médiateurs scientifiques.

Quels sont les objectifs d’une visite scolaire au musée ?

Pour les enseignants, il s’agit bien souvent d’approfondir une thématique abordée en classe, mais aussi de favoriser l’ouverture culturelle des élèves, en somme de former des visiteurs. Mais ce deuxième objectif est-il vraiment atteint ? Pas si sûr.

Comme l’a rappelé Cora Cohen-Azria, Maitre de Conférences en Sciences de l'éducation à l’Université de Lille, plusieurs études sociologiques ont révélé ces dernières années que les visites scolaires n’avaient que peu d’impact sur la composition des visiteurs de musées.

La formation du visiteur se ferait donc moins avec l’école qu’en famille. Ce constat a récemment amené la chercheuse à mettre en place, avec ses collaborateurs, un projet visant à comparer visites scolaires et familiales dans des musées du nord de la France, et notamment des musées à caractère scientifique.

« Qu’est-ce que les situations offrent d’un côté et pas de l’autre ? Qui forment-elles ? Un élève en science ? Un visiteur ? Un visiteur de musée scientifique ? », s’interroge la chercheuse.

Dans la visite scolaire, le « guide » tient parfois une place centrale, note Cora Cohen-Azria. Il questionne les élèves, sollicite leur attention et construit un discours souvent pensé en lien avec les programmes scolaires. Dans la visite familiale en revanche, le jeune visiteur découvre seul ou avec ses parents, il est libre de déambuler, d’aller et venir, de se laisser guider par son seul plaisir de découvrir. Dans un cas, l’élève est tenu d’écouter et d’apprendre, dans l’autre, le jeune visiteur n’y est pas tenu.

Comment réconcilier ces deux types de visite que tout semble opposer ?

Questionnaires et visites guidées.

Pris dans cette tension entre le désir de laisser leurs élèves libres de visiter et l’inquiétude de ne pas tirer profit de leur sortie scolaire, les enseignants s’en remettent bien souvent au musée pour préparer leur visite. Lequel leur propose des visites guidées et des questionnaires à distribuer aux élèves, en lien avec le programme, qui amènent souvent les jeunes à se focaliser sur des éléments de contenu et permettent de cadrerla visite. « Mais le problème est qu’il y a trop peu d’échanges réels entre ces deux espaces, école et musée, regrette Cora Cohen-Azria, très peu de temps pendant lequel enseignants et guides se parlent. Ou quand ils le font, c’est souvent juste en début de visite».

Quant au questionnaire que plébiscitent les enseignants, il est perfectible. Comme l’a rappelé Philippe Handtschoewercker, professeur relais au sein d’Universcience, « le document idéal devrait être quelque chose de beaucoup plus inventif, qui reste à créer. Il devrait être plus libre, du type ‘choisis une expérience qui te plait, décris-là, photographie-là, essaie de la raconter... ».

Ou comment rendre l’élève acteur de sa visite...

Des ateliers pédagogiques

Depuis quelques années, la Cité des sciences et de l’industrie innove dans ce domaine. Elle propose aux enseignants des ateliers pédagogiques (co-construits via les ressources Canopé et Universcience) qui leur permettent de mieux préparer leur visite, en leur donnant des clefs de lecture d’une exposition.

« Plutôt que de faire un questionnaire, nous nous sommes demandé que peut-on faire ? Comment s’appuyer sur les dispositifs et pas forcément sur les contenus ? Comment rendre les élèves actifs dans l’exposition, en inscrivant la visite dans un projet pédagogique, avec une préparation avant et un suivi après... ? raconte Aurélie Zwang, Maître de conférences en didactique des sciences au Laboratoire LIRDEF à l’Université de Montpellier, qui a œuvré à concevoir les premiers ateliers pédagogiques. Nous leur donnions une méthodologie de préparation de visite et à l’issue de l’atelier, chaque groupe d’enseignants présentait comment il ferait pour mettre ce projet en œuvre ».

Le dispositif, testé avec succès autour des expositions Microbiote, Corps et sport ou encore Effets spéciaux, se poursuit aujourd’hui avec l’exposition De l’Amour (un atelier pédagogique est proposé en janvier :

http://www.cite-sciences.fr/fr/vous-etes/enseignants/formations-et-projets/formations-enseignants-2d-degre/#item-grid-80719)

Pensée dans un continuum, la visite n’est alors plus seulement un moment récréatif et exceptionnel, mais une étape d’un projet pédagogique plus global et volontiers interdisciplinaire, mêlant approches littéraire, artistique, scientifique...

« L’exposition devrait à la fois venir en réponse à des questions que l’élève se posait avant et susciter des questions nouvelles », pense Jean-Michel Zakhartchouk, rédacteur aux Cahiers pédagogiques et auteur du blog Enseigner au XXIe siècle. Former l’élève-visiteur, ajoute cet ancien enseignant, c’est susciter sa curiosité et son étonnement, le rendre acteur de sa visite et producteur de discours, qu’il soit oral ou écrit –pourquoi ne pas imaginer un carnet de visite où l’élève serait totalement libre de coucher sur le papier ses impressions, ses découvertes, ses émotions ? En cela la fiction, volontiers transgressive et ludique, peut être un recours intéressant.

Faire de l’élève un visiteur

Mais alors quid de la classique visite guidée ? Et si elle aussi, était à revoir ? Repenser la place des élèves lors d’une visite au musée, c’est aussi nécessairement repenser celle du guide et des enseignants. Accorder plus de liberté aux élèves, c’est accepter des moments desilence, des moments durant lesquels enseignants et guides setaisent pour laisser se construire le discours des élèves-visiteurs.

Dans cette nouvelle conception de la visite scolaire, où tout est encore à imaginer, le médiateur scientifique joue un rôle essentiel pour accompagner, orienter, aider les jeunes visiteurs à interpréter ce qui leur est donné à voir. Car comme l’a rappelé Aurélie Zwang, à partir de ses travaux et de ceux réalisés par Cora Cohen-Azria,« s’il est un point qui n’est jamais véritablement abordé avec les enseignants, c’est le langage d’une exposition ; faire comprendre aux élèves que l’exposition est un parti pris ».

Or n’est-ce pas précisément cela, devenir visiteur : entrer dans une lecture, personnelle ou collective, d’un lieu ?

Universcience/Département Education-Formation/ 15 décembre 2019

Invités de la table ronde :

Jean-Michel Zakhartchouk. Agrégé de Lettres modernes, il a enseigné le français pendant plus de trente ans dans des collèges en milieu populaire. Jean-Michel Zakhartchouk appartient au mouvement CRAP (Cercle de recherches et d’action pédagogiques) qui publiela revue les Cahiers pédagogiques, dont il a été rédacteur en chef et à laquelle il contribue toujours. Il tient également un blog, Enseigner au XXIe siècle.

Philippe Handtschoewercker. Enseignant de physique chimie en lycée et enseignant-formateur sur l’Académie de Créteil, Philippe Handtschoewercker est également professeur relais au sein d’Universcience, au Palais de la Découverte.

Aurélie Zwang. Maître de conférences en didactique des sciences au Laboratoire LIRDEF à l’Université de Montpellier, Aurélie Zwang a élaboré des Ateliers pédagogiques co-construits via les ressources Canopé & Universcience.

Cora Cohen-Azria. Maitre de Conférences HDR en Sciences de l'éducation à l’Université de Lille Cora Cohen-Azria a commencé à travailler sur les relations école-musée il y a une vingtaine d’années d’abord à Paris dans l’équipe de recherche du Muséum d’histoire naturelle, et aujourd’hui dans le laboratoire CIREL. Elle est l’auteur de nombreux écrits, ouvrages et articles, sur ces questions.

Dernière modification le jeudi, 23 janvier 2020
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