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Article publié sur Internetactu.net -Jenna Wortham (@jennydeluxe) pour le New York Times a commis un de ces papiers faciles sur les vertus de la déconnexion à l’heure d’un monde toujours plus connecté. Alors qu’elle se rendait à la ...

piscine, elle a été invitée à déposer son téléphone et a pu profiter pleinement de sa journée, sans avoir à consulter avec anxiété ses comptes Facebook et Twitter pour regarder ce que ses amis faisaient. La peur de manquer quelque chose (Fomo, pour Fear of Missing Out) que décrivait Caterina Fake, cofondatrice de Flickr, s’évaporait quelques instants. Notre connexion permanente aux médias sociaux nous rend plus attentifs à ce que l’on rate et vous donne le faux sentiment de participer à ce que font les autres par leur intermédiaire, estime Caterina. Mais ce n’est pas une peur, c’est un plaisir, lui répondait l’entrepreneur Anil Dash en évoquant la joie de manquer quelque chose (Jomo pour Joy of Missing Out).

Si beaucoup de gens se retrouvent dans le besoin d’être déconnecté de leurs appareils pour mieux se concentrer sur l’instant présent, nombre d’entre eux décrivent aussi la difficulté qu’ils éprouvent à résister à l’appel des médias sociaux, explique encore Jenna Wortham. Pas tous. Nathan Jurgenson (@nathanjurgenson), étudiant en sociologie à l’université du Maryland dénonce sur The New Inquiry le fétichisme IRL.

 

“L’infiltration en profondeur de l’information numérique dans nos vies a créé une ferveur autour de la supposée perte de déconnexion correspondante de la vie réelle. Chaque moment est sursaturé de potentiel numérique (…). Désormais le matériel s’est propagé viralement à l’espace physique et le logiciel est encore plus insidieux. Les pensées, les idées, les lieux, les photos, les identités, les amitiés, les souvenirs, la politique et quasiment tout le reste ont trouvé son chemin vers les médias sociaux. La puissance du social ne repose pas seulement sur le temps que nous passons sur nos applications, ni sur les données que les médias à but lucratif collectent, mais sur la logique que ces sites creusent profondément dans nos consciences. Les téléphones et les médias sociaux symbiotiques nous donnent un surplus d’options pour dire la vérité sur ce que nous sommes et ce que nous faisons et une audience pour tout cela (…). Twitter est nos lèvres et Instagram nos yeux. Les médias sociaux font partie de nous-mêmes et le code source de Facebook devient notre propre code.”

 

“Comme on pouvait s’y attendre, cette intrusion a créé un choc en retour. Les critiques se plaignent que les gens, notamment les plus jeunes, sont sans cesse en train de se connecter et de se consulter. (…) Au lieu d’être présents à la table du diner, ils sont perdus dans leurs téléphones. Auteurs après auteurs, tous se lamentent de la perte du sentiment de déconnexion, de l’ennui, de la paix sensorielle à l’âge de la connexion permanente à l’information, des écrans lumineux omniprésents et de l’autodocumentation quasi constante.” A l’image de ce que dénonçait la chercheuse Sherry Turkle dans un récent article du New York Times (voir “Internet nous rend-il seul ? Non !).

 

Pourquoi sommes-nous obsédés par la déconnexion ?

Pour Nathan Jurgenson, nous sommes devenus obsédés par la déconnexion. “Nous n’avons jamais apprécié une promenade solitaire, un voyage en camping, une conversation en face à face avec nos amis ou notre ennui mieux que nous ne le faisons maintenant. Rien n’a plus contribué a notre appréciation collective de la déconnexion que les technologies de la connexion. La facilité de la distraction numérique nous a fait apprécier la solitude avec une nouvelle intensité. Nous savourons beaucoup plus le face à face avec un groupe d’amis ou en famille dans un moment et un temps donné grâce à la sociabilité numérique qui réarrangent d’une manière si fluide les règles du temps et de l’espace. Nous n’avons jamais autant chéri la solitude, la valeur de l’introspection et la déconnexion à l’information que nous ne le faisons maintenant. (…) L’obsession actuelle pour l’analogique, le vintage, le rétro a tout a voir avec cette fétichisation de la déconnexion.”


“Notre immense autosatisfaction pour la déconnexion est nouvelle. Comme nous sommes fiers de nous-mêmes de lutter contre l’étendue qu’ont pris les technologies mobiles et sociales. Notre nouvel hobby est de nous taper dans le dos pour montrer que nous pouvons nous passer de Facebook. Les gens se vantent de ne pas avoir de profil. Nous nous félicitons de garder nos téléphones dans nos poches et fétichisons la déconnexion comme quelque chose de plus réel pour en être nostalgiques (…). Comment en sommes-nous arrivés à faire l’erreur de faire collectivement le deuil de la perte de ce qui prolifère ?”

 

“La raison est que nous avons appris à tort que ne pas être en ligne signifie être déconnecté. La notion de déconnexion est une invention récente qui correspond à la montée de la connexion. Si nous pouvions corriger cette fausse séparation et voir que le numérique et le physique sont empêtrés, nous comprendrions que ce que nous faisons lorsque nous sommes connectés est inséparable de ce que nous faisons lorsque nous sommes déconnectés. Autrement dit, la déconnexion avec nos téléphones et médias sociaux n’est pas une déconnexion du tout. La logique des médias sociaux nous suit longtemps après nous être déconnectés. (…) L’information numérique a longtemps été présentée comme un ailleurs, un cyberspace nouveau et différent, une tendance que j’ai appelée le “dualisme numérique” pour le décrire : l’habitude de voir notre présence en ligne et hors ligne comme en grandes parties distinctes. La mauvaise compréhension de cette expérience est une somme nulle : le temps passé en ligne signifie moins de temps passé hors ligne. Nous sommes soit dans la Matrice soit hors d’elle : soit nous sommes en train de regarder nos appareils, soit nous ne le sommes pas. (…) Le smartphone est devenu le “symbole parfait” de quitter l’”Ici et Maintenant” pour quelque chose de numérique, d’autre, de cyber, un autre espace.”

 

“Pour être clair, le numérique et le physique ne sont pas les mêmes, mais nous devons chercher à mieux comprendre la relation entre les différentes combinaisons d’informations, qu’elles soient analogiques ou numériques, qu’elles utilisent des technologies de pierre ou des transistors, de chair ou de sang.”

 

“L’idée que nous échangeons le déconnecté pour le connecté, même si elle domine notre façon de penser le numérique et le physique, est myope. Elle ne parvient pas à capturer le simple fait que notre réalité vécue est le résultat de l’interpénétration constante du connecté et du déconnecté. Autrement dit, nous vivons dans une réalité augmentée qui existe à l’intersection de la matérialité et de l’information, de la physicalité et du numérique, du vivant et de la technologie, des atomes et des bits, de l’offline et du online. Il est faux de dire que IRL signifie hors ligne : Facebook est le monde réel !”

 

“Facebook ne limite pas le offline, mais en dépend. (…) Les photos postées, les opinions exprimées, les check-in qui remplissent nos flux d’information sont ancrés dans ce qu’il se passe quand nous sommes déconnectés. Le web a tout à voir avec la réalité. Il est composé de vraies personnes et de vrais corps, leurs histoires, leurs opinons. Ce sont les objets fétiches de la déconnexion qui ne sont pas réels.”

 

“Ceux qui pleurent la perte de la déconnexion sont aveugles à son importance online. Quand Sherry Turkle se promenait à Cape Cod, elle respirait l’air, sentait la brise et regardait les vagues avec Facebook en tête. L’appréciation de ce moment de déconnexion était, en partie, un produit de la connexion. (…) La distinction claire entre la connexion et la déconnexion, entre l’humain et la technologie, est dévoyée au-delà de ce qui est tenable. Ce n’est pas réel tant que ce n’est pas sur Google ! Nous ne sommes pas amis tant que nous ne sommes pas amis sur Facebook. Nous avons besoin de comprendre de plus en plus nos vies via la logique de la connexion numérique. Les médias sociaux sont plus que quelque chose auquel vous vous connectez : c’est quelque chose que nous portons en nous. Nous ne pouvons pas fermer la session.”

 

“La résolution de ce dualisme numérique résout aussi la contradiction. Nous ne pouvons jamais totalement nous déconnecter, mais cela ne signifie nullement la perte du face à face, du lent, de l’analogique, de l’instropection profonde, des longues promenades ou l’appréciation subtile de la vie sans écrans. Nous apprécions cela plus que jamais.”

 

A quoi sommes-nous vraiment “accros” ?

Matt Richtel (@mrichtel) pour le New York Times signait lui aussi cet été un article sur notre dépendance technologique, en montrant combien cette préoccupation était prise au sérieux par bien des entrepreneurs de la Silicon Valley, qui ont recours à des coachs pour se faire aider à déconnecter…

 

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Image : image animée extraite de Metropolis de Fritz Lang.

 

C’est Alexis Madrigal de The Atlantic qui répond (@alexismadrigal) : “Je n’ai pas de problème à essayer de comprendre comment les dispositifs ou les réseaux sociaux devraient s’intégrer dans la vie, et je reconnais volontiers que certains d’entre eux possèdent des mécanismes de rétroaction addictifs dans leurs caractéristiques mêmes (ce ne sont pas des bugs). Mais ce type d’articles devrait aussi admettre que notre toxicomanie aux gadgets nécessite de reconnaître le rôle de la “grande accélération” (the Great Speedup) du travail qui attache les gens à leurs appareils.” Et de faire référence à un article de Mother Jones signé Monika Bauerlein et Clara Jeffery qui évoque la grande accélération de la productivité qui conduit chacun d’entre nous à travailler toujours plus. Les Américains travaillent en moyenne 122 heures de plus que les Britanniques et 378 heures de plus que les Allemands – et ce, sans compter les e-mails qui arrivent après 11 heures du soir.

 

Si nous passons autant d’heures devant nos écrans, rappelle Madrigal, c’est peut-être parce que nous ne voyons pas le point clé de notre relation aux technologies modernes. La classe moyenne supérieure travaille plus d’heures et reste plus connectée à son travail qu’elle ne l’a jamais été. “Il s’agit d’un problème avec la façon dont nous abordons le travail, et non pas un problème lié à nos appareils.” Nos appareils nous ont juste permis de faire travailler les salariés 24h sur 24, 7j. sur 7. “Lorsque Richtel accuse nos gadgets, il canalise l’anxiété et la colère que les gens ressentent quant à leur travail” et qui s’expriment à l’encontre de nos objets technologiques. “Une grande partie de notre connexion compulsive (dans la mesure où elle existe) est un symptôme d’un problème plus important, pas le problème lui-même.”

Hubert Guillaud 

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Dernière modification le vendredi, 08 décembre 2017
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Hubert Guillaud, rédacteur en chef d’InternetActu.net, le média de laFondation internet nouvelle génération.