fil-educavox-color1

L’éducation reste un domaine où les tendances conservatrices, dans l’opinion publique, dans l’ensemble de la classe politique et à tous les niveaux de la grande pyramide du système éducatif, continuent de s’imposer inexorablement.
On persiste à concevoir l’avenir exclusivement en fonction de l’existant et du passé avec l’espoir d’améliorer, de compléter, de faire évoluer sans tenir vraiment compte de l’avenir qui se construit devant nous. On persiste à considérer que pour inventer l’ampoule électrique, on a multiplié les efforts pour améliorer la bougie.
 
 
C’est la relance des polémiques sur la triche au baccalauréat qui me suggère de proposer à nouveau des idées fréquemment rencontrées dans mes billets qui s’accumulent depuis janvier 2 011, notamment l’idée de la nécessité de ruptures pour garantir le progrès ou celle de la place de l’intelligence dans les programmes.
 
 
Il est quand même curieux de constater que la tendance générale appelle à la répression, aux sanctions, aux interdictions, aux fouilles… On finira par le passage obligatoire dans les portiques de détection comme dans les aéroports et par des caméras dans les toilettes. Pourtant des voix s’élèvent pour signaler que le progrès technologique est fulgurant, que les élèves maîtrisent parfaitement les technologies sans avoir eu de cours, de formation formelle académique et que de nouvelles formes de triche seront de plus en plus difficile à détecter. Quelques commentateurs, souvent étrangers au sérail, s’interrogent pourtant sur les modalités et contenus des examens. L’un d’eux ce matin, sur France Info, explique même que tant que l’examen sera fondé sur la capacité de restitution de savoirs scolaires transmis pour être contrôlés avant d’être oubliés, il ne pourra échapper à la triche. Il est étonnant que l’on pense répression pour protéger une organisation obsolète en s’interdisant de la transformer et encore moins de passer de la bougie à la lampe électrique.
On observe le même phénomène dans tous les domaines de l’éducation formelle.
 
 
C’est vrai pour les évaluations en général. Au fond, les pratiques de l’enseignement élitiste demeurent. Elles sont colorisées, on ose même les nommer « évaluation » alors qu’il ne s’agit que de contrôle en pensant que le changement de mot suffira pour en changer la conception et l’intérêt.
 
Elles s’inscrivent encore et toujours dans la recherche de la faute, de la carence, du manque, donc toujours dans une perception négative des performances. L’argument souvent invoqué, ou l’alibi, pour se donner bonne conscience, est la connaissance précise de la faute pour y remédier mécaniquement. Les pédagogues savent pourtant que cette certitude est infondée et que l’apprentissage est beaucoup plus complexe que la réparation automobile. Ils expliquent aussi, inlassablement, que l’on n’apprend qu’à partir de ses réussites et non de ses échecs. J’avoue que je suis résistant à la pédagogie de l’erreur qui tend à favoriser le renoncement plutôt que l’appétit et la volonté, et qui renforce, qu’on le veuille ou non, le caractère négatif du contrôle. Pourtant depuis de nombreuses années, la philosophie des examens par unités capitalisables ou de la validation des acquis de l’expérience fait discrètement ses preuves sans que l’on n’en parle trop. Pourquoi cette philosophie n’imprègne-t-elle pas tout le système éducatif depuis l’école maternelle jusqu’aux apprentissages tout au long de la vie ? Aujourd’hui, certains prétendent que les évaluations au CE, au CM, à la maternelle sont bonnes et qu’il suffit de les améliorer. Que leurs concepteurs, baignés dans la culture libérale, ou que ceux qui ont tenus durant cinq années un discours de propagande pour ces pratiques sans intérêt l’affirment, cela peut se comprendre. Mais que les progressistes adoptent une telle position et veuillent simplement améliorer la bougie est scandaleux
 
 
C’est vrai pour les programmes. Le développement exponentiel des savoirs de l’humanité et de leur diffusion impose une remise en cause fondamentale plutôt que des ajustements et des compléments.
 
La tendance est toujours d’ajouter des choses à des programmes trop lourds depuis toujours sous la pression de corporatismes surannés, mais surtout pas de se poser la question des savoirs nécessaires à l’éducation du futur, pour reprendre le titre du livre fondamental d’Edgar Morin. Alors que le système est au bord de l’explosion, que l’ennui des élèves s’accroît dangereusement avec l’incompréhension du sens des apprentissages scolaires, que le système étouffe rapidement la curiosité et le goût d’apprendre et de comprendre, on tente d’améliorer la bougie.
 
 
C’est encore plus vrai par rapport au numérique que l’on ignore encore comme levier de remise en cause des pratiques, comme exigence de redonner toute sa place à la pédagogie, et que l’on utilise d’abord pour conforter la bougie et lui donner des aspects de modernité.
 
Pourtant le bond en avant à réaliser en la matière est bien plus que le passage de la bougie à l’ampoule, c’est le passage de la bougie aux leds, aux puces et à des modes d’éclairage à venir que l’on ne connaît pas encore mais qui s’imposeront à l’insu de notre plein gré.
 
 
En fait, toute notre système conçoit ses évolutions en ne regardant que le passé et en refusant de prendre en compte la prospective. Il n’est donc pas étonnant que les progrès soient si lents et si fragiles.
 
 
Puisse la refondation avoir l’audace du futur, dans le respect du passé, certes, mais avec la volonté de construire vraiment l’avenir à long terme.
 
 
Mais vous n’êtes pas obligé d’être d’accord. 
Frackowiak Pierre

Inspecteur honoraire de l’Education nationale. Vice-président de la Ligue de l’Enseignement 62. Co-auteur avec Philippe Meirieu de "L’éducation peut-elle être encore au cœur d’un projet de société ?". Editions de l’Aube. 2008. Réédition en format de poche, 2009. Auteur de "Pour une école du futur. Du neuf et du courage." Préface de Philippe Meirieu. La Chronique Sociale. 2009. Auteur de "La place de l’élève à l’école". La Chronique Sociale. Lyon. Auteur de tribunes, analyses, sur les sites educavox, meirieu.com. Prochainement, une BD avec les dessins de J.Risso :"L"école, en rire, en pleurer, en rêver". Préface de A. Giordan. Postface de Ph. Meirieu. Chronique Sociale. 2012.