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Depuis la fin du dernier automne, le nouveau Conseil supérieur des programmes est au travail. Nombreux sont ceux qui fondent de très sérieux espoirs quant à l’avancement et la réussite de ses travaux, en particulier pour faire avancer comme il convient le chantier de l’école numérique. 
J’ai rappelé l’importance de tout cela car, en étant missionné pour modifier profondément les programmes disciplinaires et les modes d’évaluation, y compris les examens, en faisant supposémentévoluer dans le bon sens la formation initiale — car on part de très loin à ce sujet, et les nouvelles récentes semblent désespérantes ! —, en proposant des modalités différentes et des postures nouvelles pour enseigner, le C. S. P. était censé mettre enfin en adéquation les missions de l’école avec les enjeux de la révolution numérique.
Fort heureusement, ce chantier de l’école numérique est toujours vivant, porté par les deux ministres qui se sont succédé rue de Grenelle mais aussi par la jeune Direction du numérique pour l’enseignement.

La nomination et les prises de parole successives du premier président du C. S. P., Alain Boissinot, laissaient augurer des avancées prometteuses. Ce dernier avait aussi montré sa capacité à rester plutôt insensible aux pressions des lobbys de toutes provenances. Et puis ces dernières furent si fortes et le calendrier si contraint qu’il fut malheureusement amené à démissionner. C’était, je l’avais écrit à l’époque, le premier coup porté au numérique éducatif.

À lire les premières productions aujourd’hui disponibles sur le site du ministère, l’entreprise de retrait et de désengagement est en marche et on reste très loin des enjeux comme des promesses initiales.

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Commençons par le projet de programme pour l’école maternelledont le C. S. P. nous propose la lecture en date du 3 juillet dernier.
« Le numérique trouve sa place dans tous les domaines »

Cette indication finale dans la présentation synthétique serait plutôt plaisante et bienvenue… compte tenu de la transversalité atavique du numérique. La lecture attentive du projet fait, au contraire, apparaître que, loin de trouver leur place dans tous les domaines, la culture et la littératie numériques ne sont nulle part.

Si le numérique est mentionné, c’est toujours du bout des lèvres et en lui assignant unefonction strictement utilitaire. Ainsi, des indications sont données aux enseignants :
« À ce titre, les supports numériques ont leur place à l’école maternelle à condition que les objectifs et leurs modalités d’usage soient mis au service d’une activité réelle. »

On admirera les précautions et le présupposé qu’il soit possible, avec ces « supports numériques », de mener des activités qui ne soient pas réelles !
Pour le reste, c’est le vide, à la notable exception de la mention de la possibilité que les arts soient aussi numériques et — devinez ! —, dans les attendus de fin de cycle, de la traditionnelle mention, avec le vocabulaire convenu et approprié, de l’utilisation des outils numériques : appareil photo, tablette, ordinateur.

Un chapitre complémentaire est consacré à des recommandations. Parmi ces dernières, un paragraphe est consacré aux « usages des outils numériques » (sic). Les rédacteurs évoquent la confrontation des enfants à des « technologies nouvelles » ! Savent-ils, ces rédacteurs, que le numérique est au moins autant fait de culture que de technologies, lesquelles n’étant d’ailleurs nouvelles que dans leur esprit ? Ce texte conforte ensuite les éventuelles pratiques numériques professionnelles des professeurs d’école maternelle dans l’utilitarisme convenu : il s’agit d’en [les fameuses technologies] « comprendre l’utilité et [de] commencer à les utiliser » (sic encore) ! À titre d’exemple, les rédacteurs de ces recommandations évoquent les appareils photo dont ils précisent bien qu’ils sont numériques, au cas où il en existerait qui ne le soient pas !

Fort heureusement, et pour la première et unique fois dans ce texte, est ensuite évoquée la possibilité que le numérique puisse être autre chose que la quincaillerie habituelle : « une idée d’un monde en réseau qui peut permettre de parler à d’autres personnes à distance ».

Dommage qu’on n’envisage par ce biais que de parler et pas d’échanger, de partager, deconstruire ensemble, de publier, toutes sortes d’activités qu’il est possible de mener aussi à la maternelle ! Il est, par exemple et à ce sujet, curieux et triste qu’on n’évoque à aucun moment, dans ces programmes, une initiation à l’information et à ses codes, première étape vers une éducation aux médias qui s’imprègne de la littératie numérique.

Triste constat ! Il ne suffit pas, loin de là, de dire que le numérique concerne aussi l’école, il va vraiment falloir que l’un et l’autre se rencontrent enfin et que les acteurs de cette dernière s’engagent à la hauteur des enjeux, pour la réussite scolaire.

Je reviendrai sans doute, bientôt, sur les autres productions en cours du C. S. P., un projet de programme d’enseignement moral et civique, d’une part, et, d’autre part, la proposition de socle commun de connaissances, de compétences et de culture qui ressort des derniers échanges un peu bâclés, lors des derniers jours de la présidence Boissinot, une version finale bien palote qui suscite si peu d’enthousiasme et dont la culture numérique a aussi disparu, au fur et à mesure de l’évolution des derniers brouillons.
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Crédit photo : chomster.fr via photopin cc
Dernière modification le vendredi, 10 octobre 2014
Guillou Michel

Naturaliste tombé dans le numérique et l’éducation aux médias... Observateur du numérique éducatif et des médias numériques. Conférencier, consultant.